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15 janvier 2008 2 15 /01 /janvier /2008 00:00

La condition des femmes kabyles. Un proverbe kabyle résume à lui seul le statut de la femme dans la société ancienne : "Même la femme la plus droite est plus courbe qu'une faucille". En d'autres termes, l'ordre est celui des hommes, et les femmes y sont soumises. Pourtant on disait que la femme est "la poutre du foyer", en d'autres termes le centre de la famille, et la famille est la structure centrale de l'ancienne société amazighe. La société kabyle ancienne s'appuyait sur une stricte répartition des rôles entre hommes et femmes, et les femmes y avaient une grande importance. Les femmes étaient exclues de la vie politique. Elles ne pouvaient pas participer à l'assemblée du village, la Tajmat(1). La tradition voulait même qu'une femme s'éloigne de tout groupe d'hommes discutant entre eux. Si les femmes n'étaient pas admises à l'assemblée, la fontaine du village était leur lieu de rendez-vous, puisqu'elles étaient chargées de la corvée d'eau. Même s'il n'était pas un lieu de délibération officiel, il était un lieu d'échange important. Les femmes y discutaient activement et par ce biais savaient donner des recommandations aux hommes une fois revenues à la maison. Elles y amenaient leurs enfants en bas âge. Sa fréquentation était strictement interdite aux hommes. Cette interdiction est forte : même un jeune homme qui savait qu'une jeune fille lui était promise ne devait pas s'y rendre. Ceci aurait entraîné une malédiction pour son futur couple. La fontaine est lieu de l'eau, source de vie. Elle est le lieu exclusif des femmes qui symbolisent la vie et sa renaissance. Dans la société traditionnelle, les mondes masculins et féminins étaient séparés, mais la femme n'y était respectée. La maîtresse de maison était considérée comme le pilier de la famille. L'homme vaquait aux affaires extérieures : le dur travail des champs, faire le marché et gérer l'argent de la famille. La femme restait en principe chez elle. Elle tenait la maison, élevait les enfants. Elle s'occupait des animaux, faisait de la poterie et du tissage. Elle avait aussi en charge la corvée d'eau et le ramassage du bois. Lorsqu'elles avaient du temps libre, les femmes se recevaient entre elles à la maison. Entre les enfants et le père, la femme tenait le rôle de médiatrice, un enfant n'ayant pas à interpeller son père. Celui-ci est le chef de famille au sens fort : il est le gardien de l'honneur de sa famille, mais il pouvait difficilement ne pas tenir compte de l'avis de sa femme. Le travail des femmes était respecté autant que celui des hommes. Sur ce point, l'ancienne société kabyle était égalitaire. Par exemple, la mise en place du métier à tisser donnait lieu à une fête. Lorsqu'il fallait couper du bois, c'est bien sûr l'homme qui s'en chargeait. La femme, au nom du partage des tâches, portait ensuite le bois jusqu'au foyer. On trouvera une multitude de partages de tâches de ce type dans la société kabyle ancienne. Une faute grave à l'égard d'une femme était une faute d'honneur, que sa famille défendait comme telle. Lorsqu'un homme parlait à une femme, il se devait de se montrer poli et respectueux. La femme est protégée par les hommes. Elle est considérée comme une personne à part entière, mais ce sont aux hommes de sa famille de la défendre par la force si nécessaire, parce qu'elle est considérée comme ne pouvant pas se défendre physiquement. Ainsi proférer des injures en présence d'une femme, même à raison, ou des plaisanteries graveleuses, est proscrit. Les femmes kabyles, quand un homme exagère par ses propos, savent vite lui rappeler les limites à ne pas dépasser. Elles rappellent le respect qui leur est du. S'il insiste, les hommes réagissent, en exigeant d'abord des excuses, et s'ils ne les obtiennent pas, en chassant celui qui en est l'auteur, si nécessaire par la contrainte physique. Ces pratiques de respect existent toujours. Elles se sont transmises dans l'immigration et mieux vaut soigner son langage en présence de femmes. Ceci est d'autant plus recommandé que lorsqu'un homme est correct, les femmes font preuve de beaucoup d'attention à son égard, y compris à l'égard d'un étranger. Entre hommes, on peut s'injurier, ce qui est assez courant, voir se battre, pratique qui n'est évidemment pas recommandée. Alors les hommes sont alors d'égal a égal, par la parole, voire par la force physique. Ils défendent leur honneur respectif. Si une femme de la famille est présente tout change : l'honneur de cette femme (et donc de la famille) a été insulté, et elle ne doit pas assister à ce genre de rivalité. Si un homme a été injurié, et pire, s'il a été provoqué en bagarre en présence de son épouse ou d'une femme de sa famille (sœur, tante, mère, grand-mère, cousine, etc..), même à raison, c'est l'honneur de la famille qui a été atteint, et il ne le pardonnera pas. Il existait, dans la société traditionnelle, une hiérarchie, ou plus exactement un ordre des femmes mais il était caché. Les vielles femmes y tenaient un rôle important, de par leur expérience et leur sagesse. Ceci ramène à un autre aspect. A une vielle femme que l'on croise au village en Kabylie, on lui dit par politesse et même si on ne la connaît pas "A Tamghart", ce qui se traduit littéralement par : "Salut la vieille". Ce terme n'est pas péjoratif. Il signifie au sens figurer "Salut, vénérable femme". La vieillesse est sagesse et honneur, pour la femme comme pour l'homme. Spirituellement les femmes jouaient un très grand rôle : elles étaient considérées comme des médecins de l'âme, capable de chasser les mauvais esprits, ce dont les hommes sont incapables. Ainsi, dans la tradition, avant que tout le monde ne s'endorme, la maîtresse de maison faisait le tour de la maison avec une bougie pour chasser les mauvais esprits. Lorsque l'on croyait que la maison était possédée, c'est elle qui consultait le marabout et exécutait les rites magiques de purification. Dans tous les actes de l'entretien de la maison, elle savait chasser les mauvais esprits, par exemple en balayant et nettoyant la maison, ou en crépissant les murs. Inversement, elle savait comment garder les bons esprits dans la maison, en les nourrissant. Lorsque la situation était particulièrement critique, on s'en remettait aux femmes. En cas de sécheresses graves, la procession à Anzar, pour obtenir la pluie, était leur affaire. Si on craignait une malédiction dans le village, ce sont les femmes qui déclenchaient Timzeght, le sacrifice des bœufs. Par le passé, les femmes avaient aussi un rôle important lors des conflits entre tribus. Souvent, avant une guerre, les tribus envoyaient des délégations de femmes qui tentaient une ultime négociation, souvent avec succès. Dans la vie courante, la condition de la femme était la conséquence de la primauté de la lignée masculine. Celle-ci s'exerçait surtout dans le mariage. Il n’était pas l’affaire des futurs mariés mais des familles. Le jeune homme pouvait être fiancé très jeune, parfois avant l'âge de dix ans. Une fois majeur, il pouvait s’opposer à ce choix, par l’intermédiaire d’un ami. Cette opposition était rare, mais dans ce cas, son père pouvait éventuellement modifier son choix. Quant à la jeune fille, elle apprenait le plus souvent qu’elle allait être mariée après que l’accord soit conclu. Elle pouvait être mariée très jeune, dés 12 ou 13 ans(2). La jeune fille kabyle était entièrement éduquée dans cette condition d’acceptation du mari qui lui serait imposé. Les rituels de mariages, qui étaient très complexes dans la société kabyle sont décrits sans la page "Le mariage Kabyle". Comme dans toutes les sociétés méditerranéennes traditionnelles, la virginité de la jeune fille était une condition impérative au respect de l'honneur de sa famille. Le viol ou la tentative de viol d'une jeune fille était considéré comme un crime, qui obligeait la vengeance par la mort du violeur, et n'acceptait aucun pardon. Tous les hommes adultes de la famille se devaient d'exécuter la sanction, ou d'aider à son exécution en attirant par exemple le coupable dans un piège. Ceci explique aussi que la jeune fille enceinte hors mariage était victime d'un sort très dur. On pensait qu'elle avait déshonoré volontairement la famille. Dans la société traditionnelle, les femmes étaient exhérédiées. Elles ne pouvaient prétendre à aucun héritage. Lorsqu’une femme se mariait, elle restait étrangère à la famille de son mari, n’ayant aucun droit sur les propriétés de celui-ci. Si son mari mourait, l’héritage revenait aux descendants masculins de son mari, et à défaut à ses frères. Cette règle était apparemment extrêmement dure. Mais dans la réalité, elle était tempérée par les usages : Quand la propriété la permettait, on accordait un habous à la veuve. Le habous est une propriété de terre cultivable, dont elle possédait l'usufruit. Si elle reste la propriété de la famille du mari, au moins la femme pouvait pourvoir à sa subsistance en cultivant la terre. L'honneur obligeait les hommes de prendre en charge ses parentes orphelines, veuves ou répudiées. Même dans la pire misère, ils se devaient de leur donner un minimum de nourriture. Ils préféraient se priver durement que de faillir à cette règle de solidarité et d'honneur. Dans le village kabyle, tout le monde se connaissait. Comme dans toute société humaine, il arrivait des adultères, d'autant que bien des couples étaient mal mariés. Si une femme trompait son mari, celui-ci réagissait selon le code de l'honneur : il s'empressait de tuer l'amant. S'il y renonçait, sa propre famille l'y poussait. Les cousins ou les oncles pouvaient se charger de cette tâche à sa place, mais il encourait le déshonneur. Une famille riche pouvait même, pour éviter de se voir mouiller dans une affaire criminelle, recourir au service d'un tueur à gage. La famille de l'amant se retrouvait dans l'impossibilité de venger le crime, puisqu'il avait par son acte, manqué à l'honneur de son propre clan. La femme n'avait pas d'autre solution que de se soumettre au mari, s'il voulait bien ne pas la répudier. Cependant, le mari ne pouvait pas se venger sur sa femme, qui restait membre de sa famille d'origine. Lorsqu'un homme trompait sa femme, il avait tout intérêt à le faire avec une femme célibataire sans quoi il aurait mis sa vie en jeux. On l'aurait en effet accusé d'avoir séduit une femme mariée. Prendre comme maîtresse une femme célibataire avait un avantage : il pouvait répudier sa légitime et se remarier. Dans ce système, on le voit, l'homme est avantagé. Enfin, les naissances hors mariages n'étaient pas acceptées dans l'ancienne société kabyle. Une jeune fille enceinte hors mariage encourait purement et simplement la mise a mort. Il en allait de même de la veuve enceinte. Encore actuellement dans bien des villages, une femme non mariée et enceinte est considérée comme un grave déshonneur. Dans le meilleur des cas, la famille fait en sorte qu'elle puisse aller accoucher à l'hôpital, mais elle doit abandonner immédiatement son enfant à l'assistance publique, qui est très insuffisante en Algérie. Dans le pires des cas, ce sont des tentatives de meurtres qu'elles subissent... Dans les hôpitaux comme celui de Tizi Ouzou, il arrive encore des femmes enceintes épuisées dans un état déplorable. Elles portent souvent des traces de coups, quand ce n'est pas des fractures des côtes ou des membres. Elles ont été chassées par leur famille et ont parcouru à pied des dizaines de kilomètres. Elle n'ont qu'une solution : accoucher et abandonner leur enfant. A son retour au village, le plus souvent, la femme est mise à l'index et doit survivre comme elle le peut, dans la misère et sans l'entraide collective. Il arrive bien souvent que des femmes bannies ne retournent pas dans leur village. Elles se retrouvent à la rue. Certaines de ces pratiques se perpétuent. Aucune recherche n'est faite par les autorités sur bons nombres de meurtres de jeunes femmes. On en jugera aisément, le sort de la femme kabyle n'était et n'est pas toujours enviable, loin de là. La femme, dans la société kabyle ancienne, se devait avant tout d'être mariée et mère. Hors de ce statut, il n'y avait aucun salut pour elle. Ce n'est pas pour rien si un proverbe kabyle dit "La place de la femme, même un chien n'en voudrait pas".

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