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9 décembre 2006 6 09 /12 /décembre /2006 00:01

La chanson kabyle et la lutte identitaire

Mots du terroir, paroles de la subversion


Les vers de Si Mohand U M’hand, les strophes de Youcef U Kaci et les apologues de Cheikh Mohand U L’hocine accordés à la sapience kabyle constituent des exemples édifiants d’une construction littéraire née et promue au sein d’une société qui a eu à subir une vie tumultueuse faite d’occupations, d’oppressions et de luttes sans fin. Ce qui est appelé chanson kabyle est le prolongement de cette poésie exécuté ou accompagné avec les instruments matériels que permet le monde moderne.

La poésie kabyle constitue l’un des rares produits littéraires vivants, à côté du conte, que notre société ait hérités des temps immémoriaux de l’art et de la culture berbères. Société à tradition orale très puissante, mais sans ancrage graphique notable, le monde kabyle a fait de cette tradition orale un instrument de perpétuation de la culture et de l’imaginaire collectif, de résistance à l’oppression et de revendication d’un mieux-être social, culturel et économique.
La chanson kabyle est la continuité logique d’une tradition de bardes et d’aèdes. Tradition riche de la richesse de la vie sociale, avec ses heurs et malheurs, ses lumières et ses ombres, ses cimes et ses abysses. ‘’Race de véhéments qui ont faim et soif de justice’’, selon la formule de Vincent Monteil, orientaliste français. A travers le temps et les épreuves qu’il a charriées avec lui, les Kabyles ont utilisé la chanson comme moyen de communication, de sensibilisation et de résitance.
Les vers de Si Mohand U M’hand, les strophes de Youcef U Kaci et les apologues de Cheikh Mohand U L’hocine accordés à la sapience kabyle constituent des exemples édifiants d’une construction littéraire née et promue au sein d’une société qui a eu à subir une vie tumultueuse faite d’occupations, d’oppressions et de luttes sans fin. Ce qui est appelé chanson kabyle est le prolongement de cette poésie exécuté ou accompagné avec les instruments matériels que permet le monde moderne.
Le caractère de résistance et de revendication était déjà suffisamment perceptible dans les hymnes révolutionnaires réalisés dans les années 1940 par de jeunes lycéens à l’image de Idir Aït Amrane et Ali Laïmèche. Après l’Indépendance du pays et sous le climat de terreur et d’inquisition ayant frappé la Kabylie (1963-66), chanter en kabyle relevait d’une gageure, et le seul fait de chanter dans cette langue était considéré comme un défi à l’ordre politique négateur de l’identité berbère. C’est à cette époque qu’émergèrent Taleb Rabah, Cherif Khessam et Slimane Azem après leurs premières activités enregistrées à,la fin des années 1950. Après l’interdiction de la chanson de Slimane Azem à la radio nationale, celui-ci devint un symbole, symbole de la lutte contre l’arbitraire par le seul moyen de la parole, proscrite des canaux officiels, où se trouvait mêlée la morale kabyle, la fable de La Fontaine et la sagesse d’Ésope. Au début des années 1970, la conscience identitaire s’aiguisait au fur et à mesure que les jeunes rejoignaient l’université d’Alger où ils ont été en contact avec d’autres personnes qui ont connu Mouloud Mammeri et ses travaux sur la culture berbère. Apparut alors le groupe Imazighène Imula dont la cheville ouvrière était Ferhat Mehenni. Les premiers 33 tours et 45 tours annonçaient déjà la couleur d’une immersion totale dans le combat identitaire amazighe. L’on se souvient qu’à l’époque, pour exprimer certaines vérités ou revendiquer les droits culturels, les auteurs de chansons prennent certaines précautions de style en usant à volonté de métaphores fort expressives tirées de notre patrimoine oral. Cela ne pouvait pas se passer autrement sous une dictature oppressive où la moindre contestation est assimilée à une rébellion.
En revisitant ce musée de la chanson des années 1970, Ferhat Imazighene Imula paraît comme une véritable étoile scintillante même si son public était majoritairement composé d’étudiants et de lycéens. ‘’Ighsène n’lmegget ur nemmut’’ (les os d’un mort qui n’en est pas un) est une éloquente allégorie à notre culture vivante, considérée comme morte par les décideurs. Une autre chanson de Ferhat qui figure dans le disque 33 tours collectif (M’djahed Hamid, Sidi Ali Naït Kaci,…) “Tichemlit’’ appelé reprend sensiblement le même sujet. C’était ‘’Aneftiyi ad chnugh’’ (laissez-moi chanter) :
1. Ghef laâyun ttmeslayen        2. U nukni ur nezri dacu ;
3. Wissen ttimi negh dallen        4. Negh dayen nnidhen nettu.
5. Teggirnagh deg meslayene,    6. Yiwen ur izi anda t-tteddu.
7. Akwit awidek ittsen            8. Idles nnegh la irekku"
C’est un ensemble d’allégories se terminant par un appel solennel : "Réveillez-vous, ô vous qui dormez, notre culture tombe en ruine".
Les nouvelles étoiles de la chanson kabyles ont utilisé des néologismes issus du monde universitaire, comme Idles, Tilleli, Agdud. Ces termes ont fait florès du fait qu’ils étaient modérément employés et qu’ils s’inséraient dans un registre de langue somme toute adapté au contexte des luttes de l’époque.

Racines de la terre et malaise identitaire

La dernière moitié des années 1970 fut sans doute la période la plus riche, la plus palpitante et la plus décisive dans le combat identitaire porté par le combat identitaire. Il est évident que c’était l’étape cruciale du réveil de la conscience berbère dans notre pays. Beaucoup d’éléments à la périphérie du mouvement culturel commençaient à constituer une constellation de petits événements, peut-être plus ou moins anodins, pris isolément, mais qui, pris dans leur ensemble en l’espace de quelques mois ou quelques petites années, allaient servir de décor explosif que prendra en charge, sur le plan littéraire et esthétique la chanson kabyle. Ainsi, la guerre du Sahara Occidental dans laquelle était impliquée l’Algérie (affaire d’Amgala) en 1975, l’affaire des poseurs de bombes à El Moudjahid (1976), les incidents graves qui ont émaillé la Fête des cerises à Fort-National et qui ont vu l’intervention de la caserne de l’ANP(1974), les échauffourées permanentes entre les universitaires de la gauche clandestine et les islamistes à Alger, la percée du boxeur kabyle Hamani et la victoire de la JSK en coupe d’Algérie (1977), tous ces événements ont constitué un véritable chaudron qui a inspiré les chanteurs kabyles. Ces dernier ont ‘’contextualisé’’ les faits en leur conférant style et poésie a fin d’en faire de véritables épopées et des textes de dénonciation, de sensibilisation et de résistance.

La culture qui tire ses racines et sa substance du fond des âges, culture faite de labeur, de lutte et d’efforts d’insoumission, est merveilleusement portée par Idir, étoile montante des années 1970. Le génie du poète Ben Mohamed trouve parfaitement son terrain d’expression dans le texte ‘’Vava Inuba’’ chanté par Idir. Cette chanson fera le tour de la planète et apportera au monde entier le message de la renaissance de l’une des plus vieilles cultures de la mer Méditerranée. De même, l’hymne ‘’Ay Azwaw s umendil awragh’’, du même interprète, sera rapidement perçu comme le symbole et la personnification de l’homme amazigh. Ferhat, lui, a su marier l’authenticité berbère (Yemma asif iccayi) avec la revendication d’identité et de justice  (Tizi Bwassa). Il convient aussi de rendre un hommage appuyé à un poète et dramaturge de talent tombé dans un quasi anonymat ces dernières années. Il s’agit de Mohand Uyahia, disparu il y a une année, et dont les textes ont été interprétés par les meilleurs chanteurs de Kabylie (Takfarinas, Ferhat, Idit, Djurdjura, Brahim Izri, Ideflawen,…).

Dans la même période, Lounis Aït Menguellet sort son album ‘’Amjahed’’ (33 tours) que, par un court texte, Mouloud Mammeri a ‘’préfacé’’ au verso. C’était l’expression d’un désenchantement général par rapport aux espoirs nourris par la guerre de Libération. Serments trahis, veuves oubliées et idéaux de justices partis en fumée vont se mêler au sentiment d’humiliation et de mépris généré par un comportement arrogant et tyrannique des nouveaux gouvernants. "Si je pouvais dire toute la vérité, la mule procréerait !", disait Lounis. Le même Aït Menguellet chantera la JSK comme symbole de kabylité et de réussite. Dans son album ‘’Aâttar’’, il a rêvé d’un " arbre doux qui se serait régénéré et d’une chaîne de fer fermée par un fil de fer au milieu ". Le tapis au style ancestral (Aâlaw) que le poète a confectionné a été sollicité par plusieurs visiteurs venus de toutes les contrées. Lorsqu’ils lui ont proposé un prix fort pour pouvoir l’acquérir, il répondra : " Je ne te le céderais pas/Fût-ce contre des lingots d’or ". Le tapis en question est, bien sûr, une image, une allégorie, de la dignité kabyle et de l’authenticité qui n’ont pas de prix. Dans le même album, ‘’Semmeht-as’’ est un texte qui se termine par une sentence d’une puissante éloquence par laquelle l’auteur déclare l’immortalité du verbe :

"Ameslay had ur t ineq, (La parole, personne ne peut la tuer)
Wammag laâbd ittmettet.(Mais,l’homme est bien mortel)
Ameslay ma d itterdeq,(Quand la parole vient à exploser)
L’djil i tibghen yufat. (La génération qui la cherche la trouvera)
Waqila xir lmantaq,(Mieux vaut sans doute parler)
Init-id qebl ak ifat" (Dis-le [le mot] avant qu’il ne soit trop tard).
Dire le mot, la vérité et le courroux avant qu’il ne soit trop tard ! C’est ce que continueront de faire les chanteurs de cette génération que la société a chargés d’un ‘’fardeau’’ qui a fait d’eaux plus que des poètes ou de simples chanteurs. Ils étaient vus et considérés comme des démiurges, les faiseurs de destins, les hérauts et les héros d’une cause historique. Les poèmes ‘’Ardjuyi’’, ‘’Ayagu’’, ‘’D-nubak frah’’, ‘’Amcum’’ d’Aït Menguellet, ‘’Tahya Pésident !’’, ‘’Tidi Ukheddam’’, ‘’Awidek ighihkmen’’ de Ferhat et les premières chansons du jeune Matoub Lounès qui sortiront à la fin des années 1970 constituent le levain ‘’intellectuel’’ du Printemps berbère de 1980.

Le chant général de la révolte

Contre l’injustice, l’arbitraire, le mépris et le déni historique de l’identité berbère, ces animateurs de la conscience sociale kabyle appellent à la résistance, à la fraternité et à la lutte pour réaliser les espoirs déçus de la révolution et consacrer le destin de liberté, d’authenticité et de modernité pour les nouvelles générations. Sur les épaules frêles de nos poètes pèse une espèce de responsabilité historique pour libérer la parole enchaînée et reconquérir les espaces perdus de liberté. Peut-être n’est-ce là que la reproduction ou le prolongement d’une réalité historique qui avait fait des poètes et aèdes de Kabylie des ‘’oracles’’, ou, du moins, des ‘’agents de la culture dans une situation d’impasse’’, comme a eu à l’étudier dans une thèse Farida Aït Oufroukh pour le cas de Cheikh Mohand Oulhocine et Aït Menguellet. En tous cas, sans que cela soit un code explicite, nos chanteurs et poètes ont bien joué ce rôle, ce qui les a poussés, particulièrement pour certains d’entre eux, à puiser puissamment dans le substrat de la culture orale kabyle et dans le patrimoine universel de l’humanité pour exprimer la soif de liberté, la volonté de casser les chaînes de la sujétion et l’idéal de réhabiliter la justice et les valeurs humaines de solidarité et de fraternité. Après les événements du Printemps berbère, les voix se multiplièrent pour revivifier l’esprit de la lutte fût-ce par une certaine autocritique par rapport à des attitudes ou à des comportements qui auraient été jugés maladroits ou inconvenants venant des opprimés eux-mêmes. En période de reflux et, sans doute, de désenchantement aussi, ce genre de jugements est souvent de mise. ‘’Tivratine’’ d’Aït Menguellet, toute une série de chansons de Matoub (‘’Ula d Benbella as iqqar nekk d Amazigh’’,…) et des textes de nouveaux chanteurs exprimèrent, au début des années 1980, des formes de ‘’désillusions’’ ou de déceptions suite à l’action ‘’inaboutie’’ de la révolte d’avril 80. Cependant, la réflexion deviendra plus sereine, le jugement plus mûr et les ambitions mieux cernées.  Malgré les esquisses d’une politisation ‘’organique’’ future du mouvement berbère visibles dès 1985 (Ligue des Droits de l’homme, Association des Enfants de chouhada), la plupart des chanteurs kabyles continueront à assurer leur mission première de ‘’diseurs’’ de verbe en situant la lutte pour l’identité et la cultures amazighes dans le grand combat pour l’instauration des libertés et de la démocratie. Aït Menguellet et Matoub, malgré la différence de leurs styles, ont continué à incarner la chanson kabyle en lutte pour l’identité et la liberté et ce, jusqu’aux moments les plus noirs de l’histoire de l’Algérie indépendante, c’est-à-dire la décennie de terrorisme. Ils n’étaient pas seuls, bien sûr. D’autres chanteurs ont émergé et une grande partie d’entre eux ont fait jouer à la chanson le rôle de vecteur de la conscience identitaire comme l’ont fait les pionniers au début des années 1970. L’innovation se trouve surtout au niveau de la musique, des arrangements et des mélodies. Dans les limites de l’esquisse que nous avons donnée ici du rôle de la chanson kabyle dans la lutte identitaire amazigh, nous ne pouvons aborder les détails du sujet qui devraient nous conduire vers d’autres investigations sur la forme et la structuration  des messages, les échos enregistrés au niveau du public ou de la population et le parcours ou l’évolution de chacun des acteurs cités par rapport à la thématique traitée. L’on peut dire, néanmoins, que la chanson kabyle a constitué l’ ‘’instance intellectuelle’’ du mouvement de revendication identitaire en Kabylie. Elle ne s’est pas contentée d’accompagner les mouvements de contestation. Elle a plutôt servi de vivier, de tremplin et de source intellectuelle de la révolte.

Amar Naït Messaoud

 

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3 décembre 2006 7 03 /12 /décembre /2006 00:01

Mohamed Iguerbouchen : une légende, une œuvre aux racines multiples

Par Karim Kherbouche

Quand Mohamed Iguerbouchen est né, le 19 novembre 1907, à Ait-Ouchen, au pied du mont Tamgout, dans la région d’azzefoun (Wilaya de Tizi-Ouzou), la Kabylie se débattait dans la misère et la pauvreté. L’insurrection de cette région contre l’envahisseur en 1871, l’a mise dans le collimateur du colonialisme français qui a décidé de la réduire à néant. Les populations ayant survécu aux génocide et déportations n’avaient point de choix que celui de s’exiler massivement vers des cieux plus cléments. C’est donc dans ce contexte historique difficile qu’est venu au monde Mohamed Iguerbouchene.


De la flûte du petit berger aux concerts du square Bresson

Mohamed est l’aîné des quatorze enfants de Said Ben Akli et de Ouacik Fatma. Il est entré à l’école d’Aghrib à l’âge de six ans où il était élève du fameux instituteur Janin. Le petit berger qui passait le plus fort de son temps à jouer des airs du terroir avec sa flûte en bois, prenait les études à cœur. En plus de l’enseignement de la langue française et de l’éducation, Janin disputait à ses élèves quelques notions de musique. D’ailleurs, ce fameux instituteur a constitué avec quelques-uns de ses élèves une fanfare qui s’est produite à Paris dans le cadre d’un défilé officiel. Les cours de Janin se sont interrompus très tôt pour Mohamed Iguerbouchen, car sa famille, pour des raisons que nous avons explicitées plus haut, a dû quitté Ait-Ouchen pour s’installer à Alger, à la Casbah. Les Iguerbouchen se sont tout de suite liés une relation amicale avec le comte anglais, Fraser Roth qui tenait un commerce mitoyen à leur demeure.

Le petit Mohamed a alors rejoint l’école de Sidi-Mhemmed de la Casbah. Ce changement d’école n’a pas perturbé le fils d’Ait-Ouchen qui a continué à briller dans les études et à perpétuer son amour pour la musique duquel il ne pouvait se départir. «  C’est sous les préaux de l’école où résonnait des voix cristallines et enthousiastes que je sentais naître ma vocation. Souvent, je fuyais ma charmante compagnie pour me recueillir à l’écart et siffloter, tout à mon aise, les bribes de phrases musicales, glanées au cours de mes excursions sentimentales dans les concerts publiques », se confiait-il.

En effet, le gamin qui s’est vite habitué à la vie citadine se rendait souvent au square Bresson, à Alger, où il assistait à cœur joie aux concerts qui se donnaient trois fois par semaine. En plus de la flûte, Iguerbouchen a appris vite à jouer du piano et le solfège. Sa surprenante mémoire lui permettait de rejouer des airs qu’il n’a entendus qu’une ou deux fois.

Fraser Roth, le protecteur

En 1919, Iguerbouchen était âgé de 12 ans. Le comte Roth, riche et puissant lord, était subjugué par l’extraordinaire mémoire musicale de cette enfant qui jouait de la flûte à côté du lieu où il tenait son commerce. Il proposera alors à son père de l’emmener parfaire ses études en Angleterre. L’accord donné, Fraser Roth a inscrit Mohamed au Norton Collège, ensuite à l’Academy Royal of Music de Londres où il a reçu l’enseignement du célèbre professeur Levingston. En 1924, il est entré au Conservatoire supérieur de Vienne où il a suivi les cours du rénovateur de la musique classique autrichienne, Alfred Grünfeld. Au génie d’Iguerbouchene, se sont ajoutées la volonté et la chance qu’il avait de rencontrer des hommes comme Roth.

Signalons qu’après sa mort, Fraser Roth a légué sa maison de maître sise à Cherchell, à Mohamed Iguerbouchene.

Sous les feux de la rampe

Le triomphe est venu tôt dans la vie d’Iguerbouchen. En plus des études qu’il faisait un peu partout en Europe, Mohamed composait des musiques. A l’âge de 17 ans déjà, le 11 juin 1925, il se retrouve sous les feux de la rampe au Lac Constance à Bregenz de l’Etat libre de Bâle, en Autriche, où il présente son premier concert devant un public autrichien séduit par ses œuvres d’inspiration algérienne, comme Kabylia Rapsodie n°9 et Arabic rapsodie n°7. Suite à quoi, il a obtenu le premier prix de composition et le premier prix d’instrumentation et du piano. Depuis, Iguerbouchene n’a pas cessé de composer et de se produire dans les endroits les plus prestigieux du monde et sa popularité, notamment en Angleterre, allait crescendo.

« Lorsque j’écris des musiques, je suis dans un tel état de surexcitation que j’ai de la fièvre. Il m’arrive même de pleurer », avouait-il.

Dans les années 1920, Iguerbouchen était parmi les rarissimes algériens à étudier la musique occidentale. En 1937, il a reçu, lors d’une réception, son diplôme d’honneur comme membre définitif de la Société des auteurs compositeurs de la SACEM.

Un artiste prolifique aux œuvres atemporelles et universelles

Outre les deux rapsodies que nous avons citées ci-dessus, Iguerbouchen a écrit plus de 160 autres rapsodies toutes d’inspirations de l’héritage algérien. En 1928, il a composé la musique du film Aziza de Mohamed Zinet et 1937, il a co-signé avec Vincent Scotto la musique du film Pépé le Moko de Jean Gabin et J. Duvivier. Ensuite, il a composé pour bon nombre d’autres films, tels que Les Plongeurs du désert et Cirta de Tahar Hennache, ainsi que Le Palais Solitaire qui relate la vie dans le grand désert, L’Homme bleu qui est un film sur la vie des Touareg.

Par ailleurs, Iguerbouchen a présenté des émissions radiophoniques en langue kabyle, sauvant ainsi de l’oubli bien des chanteurs et chants amazighs. Quelques-unes de ces émissions radiophoniques existent encore dans les archives de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) avec d’autres émissions télévisuelles. La télévision française et la Bibliothèque de France disposent dans leurs archives des œuvres de ce monument de la musique universelle. Une partie de son œuvre est également archivée dans sa maison de Bouzeréah, mais l’accès y encore interdit par sa famille.

Près de 600 œuvres de ce musicologue sont aujourd’hui éparpillées à travers le monde et incomplètement répertoriées.

« Iguerbouchene est le seul en son temps qui ait réussi à faire s’interpréter les différentes cultures africaine, arabe et occidentale qu’il maîtrisait tout à la fois  », témoigne son ami Mohamed Yala.

Le polyglotte

Iguerbouchen s’exprimait couramment dans 18 langues dont le Russe et le Japonais. Il a effectué plusieurs voyages à travers l’Europe pour se former tout en continuant à composer. En France, à l’école normale des langues orientales de Paris où il était élève du profeseur Destaing, vers la fin des années 1920, il a étudié sa langue maternelle et ancestrale, le Berbère, dans ses variantes tamachaqt, tachaouit et tachelhit. Il a ensuite poursuivi son voyage en Allemagne, Italie où il a étudié les langues, le Latin, la philosophie, etc.

Iguerbouchen, l’homme libre

L’affection qu’éprouvait Iguerbouchen pour le chanteur Farid Ali pour qui il a composé la musique du fameux chant patriotique « A yemma âzizen ur ttru », est suffisamment éloquente pour nous renseigner de l’amour que vouait ce "Beethoven" kabyle pour son pays et la liberté. Son attachement à ses racines ancestrales n’est pas à démontrer dans la mesure où il a consacré tout un pan de sa vie pour sa langue et sa culture et à enrichir le patrimoine musical de son pays tout en s’inscrivant dans l’universalité.

Par ailleurs, les patriotards ethnocentriques européens d’alors avaient du mal a admettre le phénomène Iguerbouchen. A défaut de pouvoir l’éliminer physiquement, ils ont tenté de déformer son nom en Igor Bouchen pour le faire passer pour un quelqu’un d’autre qu’un Kabyle. En 1944, pendant la Seconde guerre mondiale, Iguerbouchen est même suspecté de collaboration avec les Allemands, les Boshes. Si ce n’était son statut de sujet anglais et d’idole de bien d’Européens, il aurait sans doute été exécuté.

Les amis d’Iguerbouchen

Le fils d’Ait-Ouchen recevait souvent sa grande amie Edith Piaf chez lui à la rue Saint-Didier. Outre cette diva de la chanson française (dont la grand-mère est d’origine kabyle), les amis d’Iguerbouchen se comptaient parmi les grands de ce monde : on cite entre autres, Taos Amrouche, Albert Camus, Farid Ali, Cheikh Nourredine, Emmanuel Robles, Georges Auric, Vincent Scotto, Max Derrieux, Salim Hellali, Amar El-Hasnaoui, Kamel Abdelwahab et le poète hindou Robindranath Tagore.

Iguerbouchen a collaboré avec une pléiade d’artistes algériens et nord-africains qu’il a aidés à se lancer, à l’image de Rachid Ksentini, Ahmed Agoumi, Mohamed El Kamel, Salim Hallali, Farid Sifaoui, Soraya Naguib et j’en passe.

La légende oubliée

En 1956, le musicologue universaliste est rentré au pays pour se consacrer, à Alger, aux émissions radiophoniques sur les musiques amazighe, arabe et occidentale et ce, jusqu’à sa mort dans l’anonymat survenue le 21 août 1966 des suites du diabète.

A l’indépendance, l’Algérie officielle a, toute honte bue, tourné le dos à ce grand monsieur qui est la fierté de tout un peuple. Cette Algérie qui a préféré nous gaver de culture orientale d’une laideur artistique nauséabonde. Aujourd’hui, n’est-ce pas le moment pour cette Algérie officielle de le réhabiliter dans toute sa grandeur ? N’est-ce pas le moment de voir ses œuvres éditer pour que les Algériens que nous sommes puissions enfin profiter de l’héritage légué par ce maestro ? En tout cas, l’espoir est permis.

N-B. Cette évocation de Mohamed Iguerbouchen ne prétend pas être exhaustive, toute contribution pour son enrichissement serait la bienvenue.


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3 décembre 2006 7 03 /12 /décembre /2006 00:01

La chanson kabyle en immigration :

une rétrospective

par Mehenna Mahfoufi


Implantation et lieux de pratique :

Au début de l’implantation de la communauté ouvrière kabyle dans les centres industriels français, la musique, faite par les artistes venus à la musique au sein de la société en exil, était reléguée principalement dans les lieux d’habitation : les cafés-hotels tenus par d’autres kabyles, ou sur les lieux de travail.

Les chanteurs les plus anciens, dont on peut dater la présence en France, grâce à des éléments biographiques ou à des enregistrements musicaux, sont : Cheikh El-Hasnaoui, Zerrouki Allaoua, Farid Ali, Slimane Azem, Moh Saïd Ou Belaïd, Cheikh Arab Bouyezgarene et quelques autres). Cheikh El-Hasnaoui arrive en France en 1932; Slimane Azem en 1937, mais ne commence à chanter, en tant qu’amateur, que sept ou huit ans plus tard. A l’exception de Cheikh El-Hasnaoui qui avait déjà une pratique musicale au pays, les artistes de l’immigration étaient avant tout des hommes venus travailler comme ouvriers. C’est ensuite qu’ils se lançaient dans la musique en tant qu’amateurs avec l’espoir d’une reconversion professionnelle possible. Beaucoup d’entre eux étaient doués. Slimane Azem, ancien ouvrier des usines de sidérurgie de Longwy et des tunnels du métro parisien, a obtenu un disque d’or en 1970 pour l’ensemble de ses chansons éditées chez Pathé Marconi. Noura a été également primée la même année.

Les chanteurs bi-professionnels faisaient la tournée hebdomadaire des cafés des compatriotes et se produisaient par groupe parmi les travailleurs réunis en grand nombre, le vendredi soir, le samedi soir et le dimanche après-midi jusqu’à 22 h. Jusqu’à la fin des années soixante, pendant la période de jeûne du mois de ramadan, l’activité musicale plus intense se déroulait souvent du mercredi soir jusqu’au dimanche soir. Il faut dire qu’un grand nombre des cafés tenus par des Maghrébins en France appartenait aux Kabyles. Même le fameux cabaret El-Djazaïer, ouvert à la rue de la Huchette à Paris dans les années quarante, avait été un café transformé en cabaret oriental par Mohand Seghir, un chauffeur de taxi kabyle. D’ailleurs, depuis cette époque, les artistes ont commencé à se produire dans les différents cabarets de la capitale, aux côtés de chanteurs arabophones de toutes origines. Avec l’immigration familiale, en progression depuis la fin des années cinquante, les artistes kabyles commencèrent à animer des fêtes familiales dès le milieu des années soixante. Plusieurs chanteurs kabyles étaient alors accompagnés par des musiciens arabes pour les instruments qu’ils ne maîtrisaient pas encore (la cithare qanoun, le luth oud , la flûte nay et parfois le violon et le banjo).

La chanson kabyle et la chanson arabe :

La chanson kabyle de Paris s’institue en composante incontournable de la chanson dite arabe faite en France depuis le début du siècle, grâce au talent de ses artistes ainsi qu’à la fidélité du public nombreux pour lequel elle était destinée. La communauté kabyle a toujours représenté plus de la moitié de l’immigration algérienne de France. De façon durable, les artistes kabyles tiennent une place prépondérante dans les réseaux artistiques: spectacles, radios, maisons d’édition, etc. Pathé-Marconi avait dans son catalogue de production et de distribution de musique arabe un Chérif Kheddam et un Slimane Azem, aux côtés d’un Mohamed Abdelwahab ou d’un Farid El-Atrache, deux artistes égyptiens incomparables. Parlant des artistes algériens issus d’autres régions, un chanteur kabyle qui fait une double carrière, en kabyle et en arabe algérien, dit ceci: "C’est parmi nous qu’ils gagnent leur pain", yidna‡ i te‚t‚ten a‡®um, signifiant par-là que sans le public kabyle, les artistes arabophones d’Algérie en France n’auraient pas trouvé à se produire suffisamment parmi la communauté immigrée. Entre autres, Dahmane El-Herrachi, illustre représentant de la musique chaabi (algéroise), avait mené presqu’entièrement sa carrière parisienne parmi le public kabyle. Cela s’est vérifié souvent, dans le domaine de la composition et dans celui de la production des années cinquante et soixante. Amraoui Missoum, algérien arabophone, avait beaucoup joué avec des artistes kabyles (Allaoua Zerrouki, Oultache Arezki, Mohamed Saïd, Slimane Azem, Khedidja, etc.); Mohamed Jamoussi, l’un des plus grands compositeurs tunisiens immigrés en France, avait longtemps fréquenté le milieu musical kabyle et dirigé des orchestres ayant accompagné des chanteurs kabyles; il avait aussi suscité l’initiation à la musique modale arabe (jeu du luth oud et rudiments théoriques sur les modes, naghamat, et les rythmes, mawazin ) chez certains chanteurs, dont Amouche Mohand et Chérif Kheddam. Des maisons d’édition comme "La voix du globe" ou "L’Oasis" et, par la suite, le "Club du disque arabe" se sont emparées de la musique berbère et ont produit des chanteurs kabyles à tour de bras jusqu’à la fin des années soixante-dix. Mohamed El-Kamel (alias Mohammed El-Hamel), homme de théâtre et chanteur algérien arabophone (élève de Rachid Ksentini), avait engagé dans sa troupe artistique (théâtre et musique), dès la fin des années quarante, des artistes kabyles comme Slimane Azem ou Farid Ali . Ce dernier s’était produit avec lui dans le spectacle organisé par J. Yala (alias Mohand Saïd Yala), en 1949 à la salle Pleyel. Cela permettait à la troupe de l’artiste algérien de toucher, lors de ses tournées parmi les ouvriers maghrébins, aussi bien le public des arabophones que celui des berbérophones. A l’inverse, des artistes kabyles se sont mis à chanter en arabe algérien: Akli Yahyaten, Saadaoui Salah, Mustapha Halo El-Anka et d’autres ont fait double carrière.

Par ailleurs, cette sorte de prééminence de la communauté ouvrière et artistique kabyle a largement renforcé et justifié l’ampleur des activités du département kabyle de Radio-Paris. Ce département dirigé et animé par une équipe de journalistes et d’animateurs kabyles produisait toutes sortes d’émissions (information, théâtre, poésie et musique). Le volume et la richesse de la documentation de ce département avaient nécessité la création, à la Discothèque / sonothèque arabe des ELAB, d’une section réservée aux seuls enregistrements kabyles. Cette radio avait collaboré à la création d’émissions d’intoxication politique en direction des Algériens de Kabylie pendant la guerre d’Algérie. Un studio spécialisé dans l’enregistrement de pièce de théâtre et de chansons "" se trouvait du côté de Reims.

La présence et la fidélité, sans cesse renouvelées, du public kabyle de l’immigration a toujours servi les artistes. Depuis le début de l’immigration jusqu’à nos jours, quel que soit le lieu de déroulement des récitals kabyles, les organisateurs de spectacles sont assurés de faire salle pleine. Encore aujourd’hui, l’Olympia, le Zénith, le Palais des Congrès, le Théatre de la ville, grandes salles parisiennes, n’ont pratiquement jamais d’invendus pour chacun des spectacles qui y sont programmés. Il reste vrai, cependant, qu’un grand nombre d’artistes se encore et seulement dans les cafés-restaurants des compatriotes où se retrouvent les ouvriers, hommes seuls, en fin de semaine, les salles de concerts leur restant toujours inaccessibles.

L’édition de la chanson kabyle :

La grande activité professionnelle des artistes a haussé la musique kabyle en bonne place dans les catalogues des éditeurs européens spécialisés dans l’édition de la musique arabe et berbère depuis le début du siècle. Gramophone, Voix de son maître, Odéon, Pathé, Pacific, Teppaz, Phillips, etc., ont édité des centaines de chansons appartenant à des dizaines de chanteurs et de chanteuses kabyles. L’édition de la musique kabyle de France est aujourd’hui en bonne partie entre les mains d’éditeurs kabyles. Mais, le grand amateurisme, dont font preuve beaucoup d’entre eux, les empêche d’évoluer en dehors du cercle restreint du public kabyle, alors qu’il existe une réelle demande de musique kabyle ailleurs que chez les Kabyles. L’un des revers immédiat de cette situation est que bon nombre de chanteurs et chanteuses, au succès croissant, leur échappent et sont produits par des éditeurs étrangers mieux placés dans les circuits de production et de distribution internationaux.

Les premiers enregistrements de musique kabyle connus, édités en Europe, en particulier en France, datent de 1910. Mais, F° S. Daniel, dans le cadre général de son étude sur la musique arabe, a fait découvrir pour un public français un aspect de la musique kabyle dès 1865, dans une conférence donnée à la bibliothèque du Conservatoire de Paris.

Repères historiques :

L'histoire de la chanson kabyle issue de l’immigration se divise en trois grandes périodes. La première va du début de l’immigration kabyle elle-même jusqu’à la fin des années 1940. La deuxième correspond à l’époque de la découverte, par le public kabyle et par ses artistes, de la musique du Moyen-Orient des films égypto-libanais et des orchestres des cabarets orientaux de Paris. La troisième marque l’arrivée d’Algérie des artistes venus apporter un certain renouveau de la chanson kabyle amorcé au pays par des chanteurs comme Aït Manguellat, Idir , Meksa, Nouredine Chenoud, Ferhat (groupe Imazighen Imoula), suivis plus tard par Maatoub Lounas, Malika Domrane, Mennad et d’autres encore.

La chanson des années soixante-dix était en rupture avec celle de la génération précédente que certains jeunes artistes considéraient alors comme étant "définitivement sclérosée ".

La première génération d’artistes kabyles en France :

A propos des membres de la première génération d’artistes installés en France depuis le début de l’immigration algérienne, seule une étude spécifique permettrait de mettre au jour les données nécessaires à leur identification et à une meilleure connaissance de leurs compositions et des lieux de représentation de leurs spectacles. Le chanteur réputé être le plus ancien connu à ce jour est Cheikh Amar El Hasnaoui. Or celui-ci n’est arrivé à Paris qu’en 1932, alors que des disques kabyles existaient depuis le début du siècle. Yamina et Houria, Si Moh et Si Saïd (1910), Si Saïd Benahmed (1911), Saïd Ou Mohand (1924), Saïd Elghoundillot (1927), Fettouma Blidia (1927), Amar Chaqal (1929), Yasmina (1932) et d’autres, avaient déjà leurs chansons sur disques en Europe. Parmi les noms cités, seul celui de Amar Chaqal, communément connu, est souvent cité par les vieux immigrés kabyles.

La deuxième génération :

La deuxième génération d’artistes est celle qui a oeuvré pour la première étape de modernisation de la musique: rupture avec le type d’orchestration précédent où prédominait encore l’accompagnement instrumental des musiciens tambourinaires (hautbois et tambours: l‡i?a d ††bel).

Slimane Azem, dont les débuts en tant que musicien professionnel remontent à la fin des années quarante, Cheikh El-Hasnaoui, Zerrouki Allaoua, Farid Ali, Moh Saïd Ou Belaïd, Arab Ouzellag, arab Bouyezgarene, pour les hommes, et Hanifa, Khadidja, pour les femmes, forment les premiers véritables éléments du panthéon des artistes reconnus par la communauté immigrée. Dans le même temps, d’autres artistes ont émergé à Paris. Mustapha Halo El Anqa, Hsisssen, Amouche Mohand, chérif Kheddam, Kamal Hamadi, Karim Tahar, Oultache Arezki, Youcef Abjaoui, Akli Yahyaten, Saadaoui Salah, Noura, Farida et d'autres encore, ont donné un caractère nouveau à la chanson d’immigration des années cinquante et soixante qui l'éloigne définitivement de ce qui s'était fait jusque-là. Il n'y a donc plus d'accompagnement du chant par des tambourinaires, comme c’était le cas, par exemple chez Cheikh Boulaaba, Cheikh Nourredine dans certaines de ses chansons, Lla Zina n Aït Wertilane, etc., au cours des années quarante. L’orchestre dit moderne est composé de: qanoun, oud, nay, violons, contrebasse, clarinette d’orchestre, banjo, accordéon, derbouka, tambourin, etc., fut définitivement adopté dans la chanson kabyle. En réalité ce modèle d’orchestre correspondait à celui que faisaient découvrir les films égypto-libanais, puis la radio du Caire.

L’un des mieux reconnus parmi les artistes modernes, dans le domaine de l’orchestration de l’époque (1956/62), est Chérif Kheddam. Son oeuvre musicale s’inscrit dans ce que nous appellerons la première révolution de la chanson kabyle: écriture des mélodies en vue de leur dépôt à la SACEM par un chanteur kabyle et début d’harmonisation de certaines de ses chansons qui, jusque-là, étaient homophoniques. Tout en travaillant à l’usine, Chérif Kheddam apprend d’abord des rudiments de formation musicale qui lui permettent très vite de noter ses mélodies et de s’affranchir des scribes français et juifs auxquels il est courant de faire appel et qui, au demeurant, rendent service aux artistes arabes et kabyles qui n’écrivent pas eux-mêmes la musique. Le compositeur kabyle attiré par l’orchestration à l’égyptienne se rapproche, à Paris, d’artistes arabophones comme Mohamed Jamoussi qui l’initie aux modes et aux improvisations modales de la musique savante arabe. Il enregistre avec l’orchestre symphonique de Radio-Paris, administré par J. Buguard, plusieurs mélodies harmonisées dès la fin des années cinquante. Ecrire la musique procure à Chérif Kheddam la possibilité nouvelle d’anticiper sur la forme du phrasé mélodique de ses chansons et de réduire, d’exclure même parfois, les improvisations laissées jusqu’alors au grès du musicien. Les fins de phrases et les répliques instrumentales sont désormais fixées par écrit dans les chansons du chanteur, alors que dans le reste des chansons berbères de la même époque elles continuent à dépendre de l’inspiration spontanée du musicien accompagnateur. D’autres tentatives d’orchestration polyphonique avaient été amorcées dès les années quarante. Des recherches permettraient sans doute de mettre au jour les enregistrements de chansons harmonisées de Cheikh El-Hasnaoui datant de la période de l'occupation allemande à Paris où il était accompagné par l'orchestre symphonique Muscat . L’empreinte de l’influence exercée indirectement par Mohamed Igherbouchen sur le style mélodico-rythmique de certains artistes algériens, en particulier sur Cheikh El-Hasnaoui, s’est faite sentir dans l’adoption par quelques chanteurs du style propre à l’époque des années quarante et cinquante. C’est lui qui aurait inauguré l’utilisation des rythmes afro-cubains (clave ) dont ses compositions portent la marque et qui sont décelables dans un certain nombre de chansons kabyles et dans quelques rythmes des chansons chaabi de El-Anka. Mohamed Iguerbouchen était un ami très estimé des frères Barreto. De plus en plus l'orchestre s'étoffe d'instruments nouveaux grâce à des musiciens maghrébins (musulmans et juifs) installés en France. L’orchestre accompagnateur était principalement dirigé, pour la chanson kabyle et arabe de Paris, par Amraoui Missoum, Mohamed Jamoussi, Kakino de Paz et Zaki Khreïef (les enregistrements de la radio portent presque tous le nom de ces chefs).

Au cours des années cinquante, il existait une émission à Radio-Paris réservée aux chanteurs amateurs algériens qui venaient présenter des chansons en kabyle et en arabe accompagnés par un musicien ou deux. Farid Ali se chargeait de recruter les copains, dont Oukil Amar, qu’il amenait à la radio. Ce fût l'époque que, dans la musique arabe de Paris, la chanson égyptienne tenait une place importante. Les films arabes projetés dans les salles spécialisées, avaient beaucoup de succès chez le public et parmi une partie des artistes de la communauté dont , entre autres, Amouche Mohand, Chérif Kheddam, Brahim Bellali, Kamal Hamadi, grands amoureux de la musique orientale et admirateurs des artistes égyptiens.

Troisième génération :

Vers 1973, la rupture radicale avec la chanson kabyle de la génération précédente, induite puis prônée par de jeunes chanteurs comme Aït Manguellat, le duo fertile que furent Idir (musique et chant) et Ben Mohamed (paroles poétiques), et Ferhat à sa façon, va bouleverser les conditions de production de la chanson. Aït Manguellat quitte alors le pays pour se produire assidûment en France où ses chansons révèlent un poète engagé à exposer, dans ses chansons, les problèmes de la vie sociale de son peuple. A son tour, Idir s’installe à Paris vers 1976/77. En 1978 c'est au tour de Ferhat de venir y chanter et enregistrer.son premier album Le travail de réveil des consciences effectué dans le cadre de l’association des Berbères de France des années soixante a impulsé chez les chanteurs kabyles de Paris la détermination de faire savoir au public national algérien et international que la culture berbère est partie intégrante de la culture algérienne. Slimane Azem, dont les chansons n’étaient plus diffusées en Algérie depuis la fin de 1967, me disait encore sur son lit de mort en décembre 1982: "Ce n’est pas moi ou mes chansons que le pouvoir algérien interdit (sic), c’est ma culture, c’est mon appartenance à la société berbère". Cet artiste a participé à tous les galas organisés par l’Académie berbère de Paris dans les années soixante et soixante-dix, alors que l’Amicale des Algériens en Europe, antichambre du pouvoir algérien de l’époque, le programmait aussi dans ses galas communautaires.

Pour tenter d’éradiquer ce qui était considéré comme un essoufflement de la chanson kabyle de l’ancienne génération et pour contourner les difficultés techniques d'enregistrements en Algérie (absence de studios privés d’enregistrement de qualité) et l'inexistence de la liberté de création individuelle, imposée par l'orchestre d'état à la radio: un orchestre unique pour toute la chanson de variété, les jeunes chanteurs et chanteuses kabyles ont dû inventer d’autres styles et d’autres moyens de productions. Émergèrent alors des groupes constitués (Ferhat du groupe Imazighen Imoula, le groupe Abranis, le groupe informel de Idir, le groupe Igoudar, le groupe Yougourthen, etc.) dont les instruments et le style de musique n'entraient pas dans le cadre de ceux de l'orchestre de la radio. Il y eut alors un rejet d’opportunité de la derbouka, du qanun, du luth oriental =ud, de la flûte nay et des violons. En effet, ni Idir, ni Les Abranis, ni Ferhat, ni même Aït Manguellat (sauf quelques rares chansons) dont le chant était accompagné, pendant de longues années, par seulement un instrument à cordes à manche fretté (mandole) et une derbouka, n'avaient été accompagnés par l'orchestre de la radio, fut-il "moderne" comme celui mis sous la houlette de Chérif Kheddam. Ainsi, une nouvelle chanson s'était affranchie du joug de l’orchestre de l'état. Mais le rejet de l'accompagnement orientalisé, préconisé par les nouveaux chanteurs, a induit chez Idir et chez ceux qui ont été inspirés par son style d’orchestration et de composition, une occidentalisation inévitable de la chanson. Cette occidentalisation, caractérisée par l’utilisation d’instruments exogènes et le type d’accompagnement polyphonique nouveau, n'était pas au départ un projet foncièrement voulu et recherché. Le cachet occidental, marque de la nouvelle chanson kabyle, réside donc dans son instrumentation (batterie, piano, guitare d'accompagnement, orgue électrique puis synthétiseur, etc.), dans son orchestration polyphonique (harmonie mal maîtrisée au début) et, surtout, dans les rythmes qui sous-tendent la mélodie. En effet, les chansons de Idir, qui, au début, n'ont eu qu'un succès relatif parmi le grand public kabyle, sont construites sur des rythmes qui ne se prêtent pas à la danse villageoise. Or, ce qui fait le succès d'une nouvelle chanson auprès du public des villages du pays, même lorsqu’elle vient de Paris, c'est avant tout son caractère rythmique: les villageois dansent ou ne dansent pas dessus. Le succès des chansons à thèmes nouveaux, construites sur des rythmes étrangers, est venu à la suite d'une longue et constante construction de très grande qualité entreprise intelligemment principalement par Idir et quelques rares autres qui opèrent en France et dans le monde depuis une vingtaine d’années. D'ailleurs, quand on croit que cette chanson va s’essouffler à nouveau, des talents novateurs, apportent de nouveaux styles qui viennent rassurer le public et enrichir ce domaine d'expression issu d’un mode de création et de transmission traditionnel oral fort. Dans ce domaine, entre autres, Takfarinas, servi par une voix et une musicalité exceptionnelles, est le principal artiste algérien actuel qui développe, avec son arrangeur, un langage musical neuf, même si celui-ci paraît quelquefois audacieux ou déroutant, comme le furent ceux de Zerrouki Allaoua, Karim Tahar, Chérif Kheddam, Youcef Abdjaoui en leur temps ou celui de Idir à ses débuts. Du côté des femmes, Malika Domrane est la chanteuse kabyle actuelle qui a le style d’interprétation le plus audacieux. Tout en s’inspirant de la tradition féminine qui lui convient parfaitement, Domrane, tragédienne d’envergure, maîtrise tellement bien les soubassements harmoniques de ses mélodies qu’elle parvient à sauvegarder le cachet originel de la musique kabyle villageoise dont elle se nourrit grâce aux femmes qu’elle ne rechigne jamais à fréquenter lors de ses séjours en Kabylie.

Aujourd'hui, les chansons de Ferhat, Idir, Rabah Asma, Karima, Takfarinas, Malika Domrane et d'autres, produites en immigration, font partie des sonothèques privées des nationaux arabophones, de même qu'elles le sont de celles des Européens. Certaines chansons kabyles sont même adaptées en arabe, par des chanteurs algériens arabophones (Khaled a chanté des chansons de Idir), ou par des interprètes du Moyen-Orient, ou en d’autres langues.

Thématique :

Les thèmes de la chanson kabyle sont multiples et recouvrent plusieurs champs d’évocation dont l'immigration. L'exil des hommes venus travailler en France depuis le début du siècle a constitué le sujet de plusieurs centaines de chansons kabyles. L'une des plus anciennes chansons répertoriées dans le genre se trouve parmi les mélodies données dans le livre de Boulifa consacré à la poésie de Si Mohand Ou Mhand (Recueil de poésies kabyles, 1904: LXXI): Cette chanson illustre bien le débarquement à Marseille de l’immigré déraciné. Depuis, chaque chanteur ou chanteuse consacre une ou plusieurs chansons au thème de l'exil. Sur la nostalgie du pays. Sur la famille laissée au pays: Sur le chômage: Les rudes conditions de vie en immigration, la solitude des hommes seuls, la xénophobie, l'alcool, etc., ont été des thèmes chantés dans des centaines de chansons.

Des chansons militantes ont été également composées à l'encontre du pouvoir colonial en Algérie.

A la suite de cette lignée de chanteurs engagés de la guerre, la génération montante des années soixante-dix, dans l’Algérie indépendante, aborde de nouveaux thèmes non moins engageants: la démocratie et la quête de la reconnaissance et de la considération objective de l'histoire berbère de l'Algérie sont au coeur de plusieurs centaines de chansons de ces vingt-cinq dernières années. Ces questions y sont abordées de façon frontale ou de manière détournée, certains chanteurs et chanteuses étant plus engagés que d’autres quant à la forme d’expression de leur poésie. L’immigration a toujours servi d’espace d’expression pour les Algériens, tant dans le domaine de la politique que dans celui de la culture, d’ailleurs parfois inséparables et imbriqués.

Tentative de valorisation du patrimoine en immigration

Les artistes kabyles de France s’inspirent souvent d’airs traditionnels ou "pseudo" traditionnels appartenant à des chanteuses et chanteurs kabyles devenus si familiers à chacun de nous (Hanifa, Chérifa, Azem et d’autres) que certains chanteurs d’aujourd’hui se croient libérés de l’obligation de déclarer aux droits d’auteurs le nom des auteurs originaux des chansons ainsi reprises. Valoriser la culture traditionnelle vernaculaire est une chose, induire en erreur le public sur l’origine d’une oeuvre et priver l’auteur de son droit d’auteur en est une autre. Les fondements d’une démarche appelée à servir de modèle aux artistes à venir doivent avoir pour base le respect immuable d’une éthique, à savoir, dire à n’importe quel prix, l’origine d’une inspiration poétique et musicale. Certains hommages rendus aux artistes disparus par les chanteurs d’aujourd’hui deviennent des opportunistes de bas commerce qui n’honorent pas leurs auteurs.

La musique kabyle de l’immigration se compose de milliers de chansons faites dans des conditions qu’il serait intéressant de connaître et de faire découvrir. Le dépôt légal à la Phonothèque nationale de Paris, le stock de bandes et de disques de l’I.N.A. et les collections privées non encore répertoriées, pourront aider à reconstituer l’histoire complète de la chanson kabyle allant du début du siècle à nos jours. Puisse ce premier survol servir de départ à un tel projet. Les acteurs principaux de cette histoire: auteurs, compositeurs, interprètes et éditeurs, commencent à vieillir et à partir doucement emportant avec eux une mémoire irremplaçable. Amraoui Missoum, Slimane Azem, Zerrouki Allaoua, Hanifa, Farid Ali, Cheikh Arab Bouyezgarene, Abchiche Belaïd, Mustapha Halo El-Anka, Mohamed Iguerbouchen, et beaucoup d’autres nous ont déjà quitté. Il ne faut plus attendre pour aller recueillir tous les témoignages auprès des personnes qui ont connu ces artistes qui, en dehors de leur art, qu’ils ont merveilleusement bien pratiqué, n’ont pas écrit sur eux-mêmes et sur leur époque. Cheikh El-Hasnaoui, Khedidja et quelques autres sont encore vivants ...

Bibliographie succincte :

Azem, Slimane
1984 Izlan. Numidie Music. Paris. Préface Mohia. Conception Mehenna Mahfoufi.

Benbrahim, Malha et Mecheri-Saada, Nadia
1984 Chants nationalistes algériens d’expression kabyle. In: Libyca T. XXVIII-XXIX, 1980-81: 213-236. Alger, C.R.A.P.E.

Boulifa, Si Amar n Saïd (dit)
1904 Recueil de poésies kabyles (texte zouaoua). Alger, A. Jourdan.

Djafri, Yahya
1984 La chanson miroir de l'immigration. In: Les Nord--Africains en France . Paris.

Ferhat, Mehenni
1983 La chanson kabyle depuis dix ans. Dans: Tafsut, 1: 65-71, série spéciale: "études et débats". Tizi-Ouzou.

Froment, Pierre
1986 Chérif Kheddam, une grande figure de la chanson algérienne. In: Etudes et documents berbères, 1: 78-85. Paris , La Boite à documents.

Hachlef, Ahmed et Mohamed El-Habib
1993 Anthologie de la musique arabe (1906-1960) . Paris, Centre Culturel Algérien/ Publisud.

Khouas, Arezki
1988, Pression à l'uniformisation et stratégies individuelles et collectives de différenciation sociale. Le cas de la chanson kabyle contemporaine. Thèse de 3ème cycle. Université de Paris VII "Jussieu"/ Laboratoire de psychologie sociale- CNRS.

Mahfoufi, Mehenna
1986 Les musiciens migrateurs. Dans: France, musique d'ailleurs. PP. 14-17.

Paris, Les guides du CANANT.
1994 Le chant kabyle. In: Documents berbères . Paris. La Boite à documents. (A paraître).

Mokhtari, Rachid
1991 Les chants d'exil de Cheikh El Hasnaoui. In: Tin Hinan, 1:20-23. Tizi-Ouzou. Tin Hinan.

Nacib, Youcef
1993 Anthologie de la poésie kabyle. Ed. Andalouses. Alger.

Ouary, Malek
1974 Poèmes et chants de Kabylie. Paris. Libr. de Saint-Germain des Près. (Poésie)

S., Djamila et B. Louisa
1991 Lounis Aït Manguellat: le retour. In: Tin Hinan 1:3-9. Tizi-Ouzou. Tin Hinan.

Yacine, Tassadit
1990 Aït Manguellat chante ...Bouchène/ Awal. Alger. (Poésie).

Zeghidour, Slimane
1994 Les Kabyles. In: GEO, n° 185, juillet: 46-52. Paris.

Zoulef, Boudjema
1981 L'identité culturelle au Maghreb à travers un corpus de chants contemporains. Dans: Annuaire d'Afrique du Nord (A.A.A.) XX: 1022-1051, Paris, édition du CNRS. (Chants kabyles)

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1 décembre 2006 5 01 /12 /décembre /2006 00:01

Azeffoun – Patrie des artistes

Les légendes du siècle continuent Une ville d’Algérie peut avoir une histoire millénaire, connaître les affres des conquêtes impériales, abriter des légions de corsaires et offrir au monde des dizaines d’hommes et de femmes illustres, mais elle peut oublier, pour un moment, de cultiver cette mémoire fondatrice. Par bonheur, ce reniement affectant jusque-là la bourgade d’Azeffoun a vécu.Cet été, dans un sursaut mémoriel, près d’une dizaine d’associations culturelles de cette ville côtière ont tenu le pari, du 15 au 20 juillet dernier, d’exhumer des abysses de l’oubli des légendes de l’art pictural et des monuments de la musique que l’antique Ruzazus (nom donné par les Romains à l’ancien village d’Azeffoun) a vu naître au siècle dernier. Ainsi, à l’ombre de la saison estivale, Azeffoun a abrité au centre culturel Tahar Djaout, une activité culturelle faite de pèlerinage, théâtre, soirées musicales et expositions reprenant la vie et l’œuvre de ses enfants prodiges. Des volontés juvéniles ont ressuscité, au bonheur de centaines de familles juillettistes, le célébrissime Mohamed Iguerbouchène, un maestro de la musique classique, né en 1907 au village d’Aït Ouchène. En 1923, Iguerbouchène abandonna sa flûte de berger et part en Angleterre dans le sillage d’un Ecossais qui possédait un domaine à Cherchell. Apprenant la théorie musicale chez le professeur Livingson de la Royal Academy of Music, il composa les musiques de nombreux films tels Aziza, Dzaïr sur La Casbah et surtout la musique de Pépé le moko à la demande de M. Duvivier. Celle du film Terres idéales, produit en 1937 sur la Tunisie, est aussi son œuvre tout comme il composa, en 1938, la musique du film Kaddour à Paris, réalisé par André Sarrouy. A l’actif du prodigieux, dont quelques manuscrits ont été exposés au public. Reçu avec brio en 1934 à l’examen d’entrée de la Société des auteurs et compositeurs, il devient aussi membre de la Société des auteurs dramatiques la même année. Son talent reconnu par ses pairs, il dirigea les œuvres symphoniques de la BBC sur initiative de la chaîne british et présenta la 3e rapsodie mauresque pour un grand orchestre symphonique. Cela lui a valu le nom à sonorité slave d’Igor Bouchène. Selon le représentant de l’association culturelle portant son nom au village natal Aït Ouchène, le célèbre compositeur possède un répertoire de 590 œuvres musicales et trois contes inédits, dont Au bord du bois et Aïcha et Mechoucha. « Originelle » explosion L’artiste peintre M’hamed Issiakhem, né le 17 janvier 1925 à Ath Djennad s’est invité, lui aussi, à l’espace culturel d’Azeffoun. Elève de Omar Racim, Issiakhem fréquenta l’Ecole nationale des Beaux-arts d’Alger de 1947 à 1951, puis celle de Paris de 1953 à 1958. Enseignant à l’ENBA d’Alger et y exerçant plusieurs responsabilités, il « collabora » à Alger républicain. Facette méconnue du comparse du père de Nedjma, Issiakhem a même exercé en tant qu’ergothérapeute pour enfants handicapés mentaux dans une clinique française. En 1963, « Œil de lynx » comme aimait à l’appeler Kateb Yacine « pour sa clairvoyance », disait-il, fonda l’Union nationale des artistes peintres (UNAP). En 1967, il réalisa les illustrations de Nedjma de Kateb Yacine et participa, la même année, à la réalisation d’un film pour la télévision Poussière de juillet. Après d’innombrables « sévices picturaux », Issiakhem décéda le 1er décembre 1985 à Alger. Dans une note retrouvée parmi les articles de l’exposition consacrée à ce peintre, Kateb Yacine disait de lui : « (…) C’était un narrateur inépuisable. Il me racontait son enfance, sa vie de tous les jours jusqu’à notre rencontre. Il se livrait entièrement, ce qui ne l’empêchait pas d’affabuler et de brouiller les pistes, lorsqu’il se laissait prendre au charme du récit. Il devenait alors un grand écrivain, sauf qu’il parlait au lieu d’écrire. » Yacine évoque son « jumeau » (dixit Benamar Médiène) par des mots intenses : « tyrannique », « virtuose » et « martyr ». Sous la plume du poète, Issiakhem est synonyme de volcan, destruction, fleurs, générosité, mort, réaction, explosion, etc. L’explosion d’une bombe entre les mains du peintre fera éclore dans la douleur un génie à l’art traumatique. Depuis 1989, une association de son village natal Taboudhoujth porte son nom et sa mémoire. Architecte de l’exposition, l’artiste peintre Mohamed Boughanem révèle qu’Azeffoun a offert au monde 98 artistes, mais déplore « le manque de documentations concernant les œuvres et la vie de ces étoiles ». Pour l’occasion, cet artiste a tapissé les murs du centre culturel portant le nom du fils d’Oulkhou des dizaines de portraits de ses illustres aînés. Commentant ces illustrations, Boughanem parle d’El Hadj M’hamed El Anka, d’El Hadj M’rizek, d’El Ankis, de Omar Mkraza, de Omar Boudjmia, de Fadhéla Dziria, de Abdelkader Charchem, de Fellag et tant d’autres artistes nés ou originaires d’Azeffoun. Le peintre ne cesse de s’interroger : « Pourquoi La Casbah a été longtemps l’île d’échouage pour les naufragés d’Azeffoun ? » Au fil de la visite, une voix chaude, mélancolique et sensuelle emplissait comme un esprit en mal de repos, les recoins des stands. La figure de H’nifa, diva de la chanson kabyle, de l’exil et du reniement des siens était là. Née dans cette terre sèche et maritime un jour d’avril 1924 à Ighil M’henni, H’nifa fait une entrée mélodieuse à la Radio algérienne en 1952 par la grâce de Cheikh Nordine. En 1953, le rossignol blessé produit un disque chez Pathé Marconi, mais n’oublie pas de s’engager corps et âme au profit du FLN et de la cause nationale. En 1958, la maison Barclay s’offre, elle aussi, cette voix suave et tourmentée. Elle a laissé les classiques South Ouarthirane, Yemma, Taâzizthiou et Ah Yamali. Après une ultime parution publique en 1978 à la salle de la Mutualité, la mort la ravit un certain 29 septembre 1981 dans une chambre d’hôtel parisien, nous indique l’animateur d’une association portant son nom et qui vient de naître à Ighil M’henni. La fable de la courge Bourlinguant d’un stand à l’autre, le visiteur marque une halte sur celui consacré aux artistes peintres. Entre les copies des toiles d’Issiakhem, une fresque en quatre scènes capte l’attention. Datant de 1997 et réalisée par Mme Sadi, l’œuvre reprend une légende locale ayant pour objet l’entremise d’un saint poète de cette contrée, Cheikh Youcef Oukaci, pour apaiser un conflit tribal ayant opposé l’arch d’Ath Djennad à l’une des tribus des Igaouaouène (Haute-Kabylie). Les deux archs se sont livrés bataille au sujet de la paternité d’une courge ayant pris racine sur les terres d’Ath Djennad, mais dont le fruit s’est retrouvé sur celles des Igaouaouène. L’intercession du poète, mais néanmoins grand sage Youcef Oukaci, impose que la courge de discorde soit passée au fil de la lame pour départager les protagonistes. Et la paix pris possession des lieux pour longtemps. Mme Sadi nous dit avoir « voulu fixer, sous l’impulsion de (mon) père, l’artiste peintre, Akham, l’histoire locale pour l’épargner de la déperdition ». Aujourd’hui, elle espère pouvoir compléter son œuvre par un cinquième acte, celui de la mort du sage Youcef Oukaci… Abdenour Bouhireb

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 00:01

Jean Amrouche (1906-1962)

Jean El-Mouhoub Amrouche est né le 7 février 1906 en Algérie, sur le versant sud de la vallée de la Soummam, dans l'un des villages de la commune d'Ighil Ali, et meurt le 16 avril 1962 à Paris.

Kabyle d'origine et de culture, la colonisation a fait de lui un chrétien avec le français comme langue, ce qui lui donnera le sentiment d'être exilé dans son propre pays. L'image de l'innocence perdue et de l'enfance hante sa poésie, toute à la recherche de lumière. Une part de son œuvre encore non publiée se découvre progressivement : se révèle un poète important, universel. En exprimant en français les Chants berbères de Kabylie, il en a fait un trésor de la poésie universelle.

Convertie au christianisme la famille de Jean Amrouche s'installe à Tunis. Après de *brillantes études secondaires Jean Amrouche rentre à l'Ecole Normale de Saint-Cloud. Il est ensuite professeur de Lettres dans les lycées de Sousse, Bône et Tunis, où il se lie avec le poète Armand Guibert et publie ses premiers poèmes en 1934 et 1937. Pendant la Seconde Guerre il rencontre André Gide à Tunis et rejoint les milieux gaullistes à Alger.

Jean Amrouche est de février 1944 à février 1945 à Alger, puis de 1945 à juin 1947 à Paris le directeur de la revue L'Arche qui publie les grands noms de la littérature française (Antonin Artaud, Maurice Blanchot, Henri Bosco, Joë Bousquet, Roger Caillois, Albert Camus, René Char, Jean Cocteau, André Gide, Julien Green, Pierre-Jean Jouve, Jean Lescure, Henri Michaux, Jean Paulhan, Francis Ponge ...).

Jean Amrouche réalise simultanément de très nombreuses émissions littéraires, sur Tunis-P.T.T. (1938-1939), Radio France Alger (1943-1944), et surtout Radio France Paris (1944-1958), dans lesquelles il invite philosophes (Gaston Bachelard, Roland Barthes, Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin, Jean Sarobinski, Jean Wahl), poètes ou romanciers (Claude Aveline, Georges-Emmanuel Clancier, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Jean Lescure, Kateb Yacine) et peintres (Charles Lapicque).

Il est l'inventeur d'un genre radiophonique nouveau dans la série de ses entretiens, notamment ses 34 Entretiens avec André Gide(1949), 42 Entretiens avec Paul Claudel (1951), 40 Entretiens avec François Mauriac (1952-1953), 12 Entretiens avec Giuseppe Ungaretti(1955-1956).

Après avoir été mis à la porte de Radio France par le Premier ministre de l'époque, alors qu'il sert d'intermédiaire entre les instances du Front de Libération Nationale] algérien et le général de Gaulle dont il est un interlocuteur privilégié, Jean Amrouche ne cessera à la radio suisse, Lausanne et Genève, de plaider de 1958 à 1961 la cause algérienne. Il meurt d'un cancer quelques semaines après l'accord du cessez-le-feu.

Jean Amrouche a tenu de 1928 à 1961 un journal qui demeure inédit.

Poésie
Cendres, poèmes (1928-1934). 1ère édition, Tunis, Mirages, 1934. 2ème édition, Paris, L'Harmattan, présentation de Ammar Hamdani, 1983
Etoile secrète. 1ère édition, Tunis, "Cahiers de barbarie", 1937. 2ème édition, Paris, L'Harmatan, présentation de Ammar Hamdani, 1983
Chants berbères de Kabylie. 1ère édition, Tunis, Monomotapa, 1939. 2ème édition, Paris, collection "Poésie et théâtre", dirigée par Albert Camus, Editions Edmond Charlot, 1947. 3ème édition, Paris, L'Harmattan, préface de Henry Bauchau, 1986. 4ème édition (édition bilingue), Paris, L'Harmattan, préface de Mouloud Mammeri, textes réunis, transcrits et annotés par Tassadit Yacine, 1989
Tunisie de la grâce, gravures de Charles Meystre, impression et typographie de Henri Chabloz à Rénens (Suisse), tirage limité, 1960. Republié dans la revue "Etudes méditerranéennes", n° 9, Paris, mai 1961
Les poèmes Ebauche d'un chant de guerre (à la mémoire de Larbi Ben M'hidi, mort en prison le 4 mars 1957) et Le combat algérien (écrit en juin 1958), publiés en revues, ont été repris dans Espoir et Parole, poèmes algériens recueillis par Denise Barrat, Paris, Pierre Seghers éditeur, 1963

Essai

L'éternel Jugurtha, dans L'Arche, n°13, Paris, 1946

Entretiens

Giuseppe Ungaretti / Jean Amrouche, Propos improvisés (texte mis au point par Philippe Jaccottet, Paris, Gallimard, 1972
Entretiens avec Paul Claudel, 10 cassettes, Editions du Rocher, 1986
Extraits des Entretiens Gide / Amrouche in Eric Marty, André Gide, qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, 1987
Jean Giono, Entretiens avec Jean Amrouche et Taos Amrouche, Paris, Gallimard, 1990
Pierre-Marie Héron, Les écrivains à la radio: les entretiens de Jean Amrouche, Montpellier, Université Paul Valéry, 2000

Sur Jean Amrouche
Jean Amrouche, l'éternel Jugurtha, Rencontres méditerranéennes de Provence, 1985, Marseille, Jeanne Lafitte, 1987
Jean-Louis Joubert, Jean Amrouche, dans Dictionnaire de Poésie de Baudelaire à nos jours, sous la direction de Michel Jarrety, Paris, Presses Universitaires de france, 2001
Réjaune Le Baut, Jean El-Mouhoub Amrouche, Algérien universel, biographie, [avec une bibliographie de L'oeuvre écrite publiée, de L'oeuvre parlée éditée et l' Analyse et inventaire des inédits], Alteredit, 2003

Autour de Jean Amrouche
Fadhma Aït Mansour Amrouche [sa mère], Histoire de ma vie, 1968; Paris, Maspéro, 1972
Taos Amrouche [sa soeur], Moisson de l'exil, I, Jacinthe noire. 1ère édition, Paris, Edmond Charlot, 1947; réédition, Paris, Maspéro. Moisson de l'exil, II, Rue des Tambourins, Paris, La Table Ronde, 1960. L'amant imaginaire, Nouvelle société Morel, 1975

Jugements

"L'oeuvre poétique de Jean Amrouche ne vaut pas par son abondance : elle s'arrête pratiquement en 1937 alors que le poète vivra jusqu'en 1962. La majeure partie de sa vie est consacrée au déchiffrement du monde et à la recherche du territoire natal (Chants berbères de Kabylie, 1939), au questionnement du travail intellectuel (ses entretiens avec J. Giono, F. Mauriac, P. Claudel, A. Gide, G. Ungaretti) et au combat politique (ses interventions dans la presse écrite et à la radio). (...) La figure de l'Absent, au départ imprécise et mystérieuse, s'impose peu à peu et resplendit dans sa pureté et sa grandeur. Elle devient présence obsessionnelle. Mais elle n'est pas l'unique. (...) Présence douloureuse de l'enfance et de l'espace natal doublement perdu (par la distance et par la foi) - qu'on se rappelle dans Cendres ce poème sur la mort dédié aux tombes ancestrales qui ne m'abriteront pas, présence du corps jubilant et des fruits terrestres apaisants. (...) L'inspiration de Jean Amrouche est avant tout mystique, d'un mysticisme qui transcende la religion pour créer ses religions propres : celle de l'amour éperdu, celle de la contemplation cosmique, celle de l'harmonie des éléments. S'éloignant de l'ascétisme religieux, le verbe de Jean Amrouche éclate en des poèmes opulents, gorgés de ciels, de sèves, d'orages, de fruits et de femmes."
Tahar Djaout, Amrouche, Etoile secrète ,L'enfance de l'homme et du monde, dans Algérie Actualité n° 921, Alger, 9-15 juin 1983, p. 21

"Les enregistrements des entretiens de ce véritable créateur du genre qu'est Amrouche avec Gide, puis avec Claudel, Mauriac, Ungaretti sont des oeuvres dont l'histoire de la littérature ne se passera qu'avec dommage, et dont la perte serait aussi grave que celle du manuscrit des Caves du Vatican, de Protée, de Génitrix , ou de l'Allegria. (...) Ce qui est bouleversant ici et à jamais digne de l'attention des hommes, ce sont précisément les voix humaines, en leur origine même, à ce point où elles ne sont pas encore distinctes des mots qu'elles prononcent. Ce sont les soupirs traqués de Gide devant l'impitoyable question que lui inflige Amrouche, ce sont les roulements massifs de Claudel, les essouflements torturés d'Ungaretti, les murmures difficiles de Mauriac. Etneuf fois sur dix Amrouche trouve la question qui contraint son interlocuteur à faire aveu de lui-même, et à renoncer à se protéger du masque que l'existence mondaine a autorisé sa voix à se former."
Jean Lescure, Radio et Littérature, dans Histoire des littératures, tome 3, sous la direction de Raymond Queneau, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1963, p. 1711

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24 septembre 2006 7 24 /09 /septembre /2006 00:01

LA MUSIQUE MAROCAINE CONTEMPORAINE

La musique marocaine actuelle est un cumul de genres très diversifiés . La musique traditionnelle continue à reproduire les formes anciennes modifiées par des interprétations plus modernes .

A coté de la musique traditionnelle d’art, la ville a produit à l’époque contemporaine un nouveau style musical, plus « occidental », une musique faite plus pour divertir et privilégiant les rythmes dansants, l’intellectuel et le spirituel étant exclus .

Les techniques de mixage, les instruments électroniques, la commercialisation de cassettes, la radio ont aidé à la diffusion de cette musique .

La chanson marocaine s’est véritablement développé avec l’indépendance du pays . Deux grandes tendances se sont d’emblée dessinées : l’une adoptant l’arabe classique et l’autre adoptant l’arabe dialectal , la première essaya de rester classique, très conventionnelle alors que la seconde a introduit un répertoire plus léger, plus proches du public populaire .

Mais ce modèle marocain faisait souvent écho à la musique égyptienne ( Oum Kalthoum, Farid al Atrach, Abdelwahab ...) et a entraîné une crise de la chanson marocaine dite moderne .

Au début des années 70, la chanson marocaine est à bout de souffle .

Les années 70

Les années 70 ont vu l’arrivée d’un renouveau dans la musique marocaine avec l’émergence
de groupes tels que Nass el Ghiwan, Jil Jilala, Lem Chaheb, les frères Bouchenak .

Nass el Ghiwan

Ce groupe a été crée à Casablanca en 1970 . Il est composé de cinq garçons tous issus du quartier Hay Mohammedia, un quartier très populaire de Casablanca .

Leur idée est très simple : il fallait requestionner le patrimoine pour créer des textes portant sur des questions de société , il fallait écrire des textes engagés. Ils sont un groupe novateur, tout en respectant les traditions musicales traditionnelles , ils apportent des textes plus engagés, plus militants .

Leur musique est la synthèse de tous les rythmes du pays : aissawi, berbère de l’Atlas et surtout gnaoui, ils réunissent des instruments d’origine différente : ils ont fait se côtoyer le guembri gnawi avec le bendir (grand tambourin) des chanteurs populaires .

Leurs mélodies puisent aussi bien dans le Malhun que dans les chants gnaoua .

Ils symbolisent le renouveau de la musique marocaine contemporaine et ils ont rencontré tout de suite un succès immédiat .

Les Nass El Ghiwane furent les premiers au Maroc à secouer le cocotier des habitudes. Avant eux, la tradition imposait aux groupes de jouer (assis) à l'occasion de mariages, de réceptions officielles du gouvernement ou de l'armée, simples plantes vertes sonores devant "notre ami le Roi". Ils furent les premiers à oser chanter debout, sur une scène, devant un public venu pour leur musique, pour l'essentiel les jeunes du pays, dopés par de tels catalyseurs. C'était en 1971. Plus de vingt-cinq ans plus tard, ils sont toujours là, mais sans Larbi Batma, l'auteur poète et membre fondateur, décédé en 1997, comme avant lui Boujemâa, un autre des fondateurs, et toujours fidèles à l'arabe dialectal et aux instruments traditionnels, le bendir, la taarija (percussion), le guembri et la s'nitra (banjo sans frette). Ce disque date du début 1998 mais ressort avec un son enfin digne.





Jil Jilala

Ce groupe a été créé à Marrakech en 1973. Ils sont six : cinq garçons et une fille . Ils se sont proposé de rechercher d’autre sources d’inspirations . Ils s’intéressent plus particulièrement au style gnawi .

Au début le groupe se cantonne à une musique très typique du folk marocain, puis en 1974 un de leur titre « leklem lembrasa » ( savoir quoi dire ) est une chanson critique sur le monde arabe et sur les politiques, c’est le début d’une renommée dans tous le monde arabe . En même temps se fait une évolution musicale en intégrant davantage les rythmes gnawi .

Un autre virage musical en 1986 alors qu’ils rajoutent une section cuivre . Ensuite ils vont s’intéresser à l’arrivée de deux mouvements qui bousculent le paysage musical africain : le reggae et le rai .

Lamshaheb

Ce groupe a été créé en 1975 à Casablanca, on pourrait les surnommer les Sex Pistols du Maroc . Ils ont un goût prononcé pour les musiques occidentales, la provocation .

Ils introduisent des instruments électriques et utilisent la guitare dans une approche plus moderne . Ils composent des textes très revendicatifs, qui dénonce les excès du régime .

Tous d’origine différente amènent des influences musicales différentes : un amène le rai, un autre la musique berbère, la musique gnawiaa et aussi l’influence du rock et de la pop ; certains sont de plus des chanteurs talentueux .

Malgré la provocation et la dénonciation de l’inégalité du régime , ils ne connaissent pas de problèmes, sans doute du à leur trop grande popularité . Ils ont une grande renommée dans le monde arabe .

Ils disparaissent à la fin des années 80 .

Les frères Bouchenak

Ce groupe a été créé en 1974 à Oujda, qui est la ville du rai marocain .

Le rai est essentiellement une musique d’Algérie, Oujda par sa proximité avec la frontière algérienne a bien sur développé ce style de musique .

Il s’agit de quatre frères et un cousin . Ils imposent tout de suite leur style rai électrisé ou se confondent toutes les facettes du patrimoine musical marocain : arabo-andalou, malhun, gnawa, chants berbères .

La modernité de leur musique , l’introduction de synthétiseurs et leur look en font très vite un groupe phare à la fin des années 70 .

Ils vont effectuer des tournées en Europe, participe à des festivals de musique et signent avec Sony music .

Leur parcours discographique montre une progressive amélioration de leur maîtrise des outils électroniques .

Leurs textes véhiculent des images traditionnelles mais aussi un discours ancré sur la réalité politico-sociale marocaine .




Les années 80 et 90

Le début des années 80 voit le développement de la «world music », synthèse entre les musiques traditionnelles du tiers-monde et le rock occidental ; ce phénomène favorise l’exportation de ces musiques .

Au Maroc, si les groupes des années 70 ont eu une renommée avant tout auprès d’un public marocain et sur l’ensemble du monde arabe , le phénomène « world music » va faire connaître les rythmes marocains et essentiellement gnawa à l’occident .

De nombreux musiciens introduisent alors des rythmes gnawa dans leurs propres compositions .

Sapho

Elle est d’origine marocaine, de Marrakech plus précisément, elle pratique une musique multiculturelle à base de rock, de chanson et de musique arabe, mélangeant des instruments traditionnels marocains et des instruments plus électroniques .

Hassan Hakmoun

Il est avant tout un musicien gnaoui, sa rencontre avec Richard Horowitz, le compositeur de la musique du film « Un thé au Sahara » de Bertolucci, lui permet de rencontrer d’autres musiciens qui sont les plus importants de la scène jazz et rock new-yorkaise comme Adam Rudolph et Don Cherry .

Le résultat est un mélange de jazz et de gnawa, mais aussi des mélanges plus détonants avec des rythmes plus électriques .

Le troisiéme millenaire

Abdellah Boulkhair El Gourd

Abdellah Boulkhair El Gourd est né en 1947 dans la casbah de Tanger. Parallèlement à des études d'ingénieur électricien, il a été initié à la philosophie gnawiaa. Les gnawa forment une confrérie religieuse basée au Maroc, mais descendent des esclaves venus d'Afrique de l'Ouest. Basée sur des pratiques islamistes proches du soufisme mais aussi des croyances animistes africaines, la philosophie gnawa utilise la transe pour soigner les maux physiques et mentaux de l'homme. La musique et la danse y ont une place prépondérante et les principaux instruments sont le luth gumbri ou hajouj, les tambours et les castagnettes de métal (karkab ou crotales).

Le répertoire gnawi comprend 243 chants qui sont interprétés dans un ordre préétabli lors de cérémonies rituelles appelées "Lilas" dirigées par un maâlem, maître initié. En 1967, Abdellah Boulkhair travaille comme électricien à la station de radio "Voice of America" lorsqu'il fait la connaissance du pianiste américain Randy Weston. Le jazzman et le futur maâlem partagent vite une amitié qui ne se démentira plus. Ce séjour marocain revêt la plus grande importance pour le jazzman qui, grâce à son ami, découvre la musique gnawia qui, selon Weston, porte en elle tous les germes de ce qui le fascine dans le jazz. En 1972, les deux musiciens participent ensemble au premier festival de jazz de Tanger. En 1980, El Gourd, qui se sent investi d'une mission de préservation de la culture gnawi ouvre "Dar gnawa". "Situé dans la Médina de Tanger "Dar gnawa" est à la fois un musée de la culture gnawi, un centre d'apprentissage pour les jeunes musiciens et un club de musique.

C'est également sous cette appellation qu'est désigné le groupe de musiciens qui accompagne El Gourd. En 1992, les deux amis réalisent un vieux rêve en réunissant sur un même disque la majorité des anciens maâlems en activité au Maroc. L'album "The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco" reçoit une nomination au titre de meilleur album de World Music en 1996. Randy Weston emmène son ami jouer en Amérique et en Europe où El Gourd rencontre d'autres jazzmen comme Archie Shepp ou Akosh S. avec lesquels il collaborera à plusieurs occasions.

En mai 1999, la troupe française de spectacle vivant, les Barbarins Fourchus vient s'installer quelques temps à Tanger pour travailler sur un spectacle avec Dar Gnawa. Le résultat, mélangeant acrobaties, musique gnawiaa et chanson française fait l'objet d'un film mi-documentaire, mi-fiction de Mohamed Choukri appelé "Mosso Mousso". En septembre, Randy Weston, Abdellah Boulkhair El Gour , le nigérian Babatunde Olatunji et une poignées de virtuoses américains et marocains donnent un concert à l'église presbytérienne Lafayette à Brooklyn qui est enregistré et commercialisé quelques mois plus tard sous le nom de "Spirit The Power of Music". La même année, El Gourd est distingué dans son pays par des prix décernés lors des festivals de Marrakech et Essaouira. Abdellah Boulkhair El Gourd est l'un des principaux ambassadeurs de la culture gnawi et sa maison "Dar Gnawa" est l'un des rares endroits au monde où l'amateur peut trouver renseignements et enseignements sur cette musique et sa riche philosophie. Benjamin MiNiMuM

 SAID MESNAOUI
 
Saïd Mesnaoui. Compositeur, musicien, Saïd Mesnaoui a fondé au Maroc le groupe Jil el Ghiwane dans les années 70. Au Canada où il s’est installé en 1986, il a participé aux festivals Les FrancoFolies de Montréal, Coup de cœur francophone (Montréal), Front Music Festival (Toronto), Festival des journées d’Afrique (Québec), Festival d’été francophone (Vancouver). Il a participé à l’enregistrement des trames sonores de Dessine-moi le Maroc (TV5) et Mon Amérique à moi (ONF). Son premier disque La Montagne est sorti en 1997.

SAMIRA SAID
 
Cela faisait presque 30 ans que Abdel Halim déclara une fois que cette fillette deviendra un jour une star fameuse dans le monde arabe . Elle a connu des grands succès avec des chansons marocaines tel que wa3di, sidi oula bihiri, fayetli sheftak, kifesh fata7t galbi, Bitaqat 7ob.. Cette fillette qui chantait avec assurance devant les caméras de la télévision marocaine il y a une trentaine d'années dans le cadre de la célèbre émission de variétés " Mawahib ", ne pouvait ne pas avoir d’avenir florissant. Son talent sautait aux yeux, même des non-avertis les solliciteurs du monde musical eux, misaient avec certitude sur cet espoir. Ils ne seront pas démentis. Loin de là.

Samira Said, exigences de la scène obligent, a fait plus que marquer. Elle s'est hissée, à force d'acharnement, au premier rang des stars de la chanson arabe, et y demeure depuis des années renforçant à chaque nouvel album une position quelle ne semble as prête de quitter.
Le chemin semble avoir été tracé de tous temps. Des premiers pas prometteurs, des rencontres marquantes, notamment celles de Baligh Hamdi, Abdelwahab, Mohamed El Mougi, Sayed Mekaoui ainsi que Faïza Ahmad et son mari Mohamed Soltan, et voilà Samira qui débarque au Caire, forte d'un immense talent et des encouragements de ceux qui avaient cru en elle.

Après un passage au conservatoire, ce sont les premières oeuvres. Son amie Faïza Ahmad demanda de Mohamed Soltan de signer deux chansons pour Samira c'étaient " El 7ob elli Ana 3aycheh " et " Eddounia Kedah " qui, même si elles ne furent pas de grands succès, permirent à Samira d’esquisser ses premières marques sur la scène de la musique arabe.
La rencontre avec Baligh Hamdi allait enrichir considérablement le répertoire de la jeune marocaine. Ce seront coup sur des chansons que l’on fredonnera partout dans le monde arabe : "Ben lif", "sayidati sadati", "malich 3enwan", "akher hawa".

Les ponts n'ayant jamais été rompus avec Mohamed Soltan, les retrouvailles se solderont pas "Hikaya", "Metha a'li" et "Ellila deh" Kassid yakoulouna "3anni kathiran"
Pourtant, le tube explosif que présageait le talent de Samira n'était pas encore au rendez-vous. Ses collaborations avec de grands noms qui donnèrent certes des titres aussi appréciés comme Mohamed El Mougi par ya dam3iti haddi, Khaled el Amir par choft 7abibi, Helmi Bakr par Ech gab li gab", "lilet el ouns", "amrak 3ajib", "men ghir sabab" , mais le grand coup, celui qui allait vraiment faire la différence, tardait à venir.


C'est Baligh Hamdi qui enfin propulsa Sami a au firmament. La merveilleuse chanson " 3allemnah el Hob ", quelle la présenta comptant pour le festival des layali al télévision au Caire en 1983.

Le coup d'envoi était donné. Samira, désormais super star, continuera sur sa lancée avec Baligh Hamdi accumulant des succès comme "ketr al kalam", "asmar malak" et "malak moch zay 3awaydak".

Gamal Salama, quant à lui, lui donna la bombe "Al gani ba3d youmin" qui embrasa longtemps les Hit parades. Le nouveau couple ne s'arrêtera pas en si bon chemin et larguera une autre bombe sur la scène : "moch7atnazel 3annak abadan".
Après cela, Samira et après ces grands succès n'avait plus rien à prouver en Egypte. Un autre défi se profilait que la position de la super star ne lui permettait pas d'occulter. Elle fera cap sur le Golfe où elle travaillera avec les plus grands : Talal meddah, Abderrab Idris, Seliman El Malla, Youssef Mahana et enrichira son répertoire de titres comme "Ya ebn al Halal", "tisaddeg, Hatouli 7abibi", "sindibad", "ghariba", "A7ad sa'al Aani".

Les vents soufflant désormais en faveur de la chan on moderne légère, un coup de gouvernail s'imposait. Samira le fera en temps opportun, se tournant vers des jeunes compositeurs pleins de talent comme Salah Charnoubi, Riadh Hamchari, Mohamed Dhia'a signalant des albums tel que Ensani, Khayfa, 3ach2a, Enta 7abibi, Kol de echa3at, 3al bal, rou7i et Lila 7abibi D'autres en ont été pour leurs frais. Mais pour Samira, le succès est encore une fois au rendez-vous. Et enchaallah elle continue ses succès pour rester sur le top ! Toujours sur le top.

HOBA SPIRIT
 
Cela pourrait être du raï, c’est de la " haiha ", comme ils le disent. Haïha music, inconnue au bataillon pourrait bien être le début de quelque chose de nouveau et planant puis même déboucher sur une musique moderne typiquement marocaine, puisqu’elle se nourrit de patrimoine et d’insolence, elle existe, elle est née, elle s’appelle Haïha music et ceux qui la jouent s’appellent The Hoba Hoba Spirit. Mano Negra ont chanté " Aïli hbibi diali fin houwa " et Hoba Hoba Spirit reconnaissent l’influence de l’Orchestre international de Barbès. Pourquoi s’appellent-ils comme ça ? " Une blague complètement con, qu’on est les seuls à comprendre et d’ailleurs on a jamais pensé un jour que ça pourrait devenir sérieux. Alors Hoba Hoba, ça pourrait bien être un cri de paix. Et un éclat de rire en même temps.

Avons-nous affaire à des originaux ? Sans conteste. Mais c’est la dérision qui force le respect de leur folie, leur conviction : la musique heureuse, de belles paroles et plein de sentiments. La fête marocaine revue et corrigée rock, voire folk ou même world, bien que ce mot soit et galvaudé et réducteur. Alors, il y a deux guitares électriques et un derboukiste, mais ils sont tous trois percussionnistes puisqu’il s’agit de rythme. Depuis Lalla Mennana jusqu’au rythme qui fait danser les hétaïres sur un fond de tonneau métallique. Rekza, khemsa ouel khemsin et compagnie. Tout ça dans du Hoba Hoba qui pourrait bien être un élixir enivrant.

D’ailleurs, comme ils jouent au Vertigo qui tient du pub et du cabaret français. Il y a aussi un hommage appuyé à la musique gnawiaaaa, d’ailleurs ils accompagneront Maalem Rougui, gnawi ouvert sur le jazz, en première partie de leur tour de chant. Puis ensuite, Raïna Raï, les virtuoses les plus méconnus de la musique arabe. Ceux que l’on écoute trop vite en disant, " ouais, c’est vachement sympa, comme musique. Cette amitié pour Raïna Raï, les Marocains qui savent l’ont attrapée en 1986. Ils ont suivi le groupe jusqu’au dernier album : Isabelle.

Alors je considère que des gens capables de rendre cet hommage à Raïna Raï sont des artistes. Les amis de Raïna Raï au Maroc, de tous âges et de toute extraction sont d’ailleurs très hoba hoba.

Réda dit que toute " intellectualisation de nos mobiles est inutile ". Nous, on en a marre des gens sinistres, alors on chante Bienvenue à Casa. Il faut absolument dire que ces musicos baroques sont de dignes enfants de la culture rock et pop. Et que leur répertoire compte une quinzaine de morceaux originaux.

Samir & Raï-X - La musique

C'est un mélange original - aluni du savoir et des expériences musicales du groupe et des connaissances profondes de Samir Essahbi qui apporte sa culture marocain et international. Le Raï, le Reggae, le Chaabi, le Gnawa, les rythmes de l'Arabie entière, de l'Afrique noire, des deux Amériques, des Caraïbes, de l'Europe se mêlent à des musiques exotiques, les mélodies mélanges fascinants de musique issue de la musique tradition arabe et des chansons populaires européennes sont compréhensibles à un large public. Raï-X était dominée par le Mélange Raï-Reggae. Les dernières temps, par contre, les mélodies composées par Samir Essahbi s'inspirent de plus en plus de la tradition marocaine .

En ce qui concerne la forme et les métaphores des textes de Samir, ils se basent sur la tradition du Maghreb. Mais Samir la dépase en même temps, parce qu'il entre un dialogue avec la vie telle qu'elle est vécue en Suisse. Chez les Européens, les chansons évoquent une nostalgie pour les pays de l'Orient, chez les immigrés du Maghreb un amour joyeux pour leur pays. Raï-X invite tous à se sentir à l'aise lors de ses nombreux concerts nationales et internationales. Le public - connaisseur du Raï ou pas - est vit entraîné par la musique de Raï-X
„El hamdoul ‘Allah“! En 1995, Samir trouve enfin des musiciens suisses et marocains qui savent interpréter et maîtriser les rythmes compliqués de la musique marocaine et en même temps apportent leur propre inspiration.

On peut écouter Raï-X sur ces deux CD "Chaïf"(SAVA 1197, distribution Sound Service). Et ,,Salam Aaleikoum''( HP LC 10469,distribution VSM ) De "Bladi" existe un vidéo-clip qui a été enregistré au Maroc et à Berne. il ya aussi un résumé de la Tournée 2002 (Maroc et Suisse)
 
Les frères ESSAHBI

Samir,Kamal ,Charafeddine et Taoufiq forment le groupe rythmique, solide, compact et dynamique qui assure le groove de la formation Raï-X.

En 1995, Samir trouve enfin des musiciens suisses et marocains qui savent interpréter et maîtriser les rythmes compliqués de la musique marocaine et en même temps apportent leur propre inspiration. On peut écouter Raï-X sur ces deux CD "Chaïf"(SAVA 1197, distribution Sound Service). Et ,,Salam Aaleikoum''( HP LC 10469,distribution VSM ) De "Bladi" existe un vidéo-clip qui a été enregistré au Maroc et à Berne. il ya aussi un résumé de la Tournée 2002 (Maroc et Suisse)

AZA

Aza est le nom d'un groupe musical créé à Santa Cruz (Californie). Il est formé de deux chanteurs marocains, Fattah Abboo et Mohamed Aoualou, et de musiciens américains, Jason Paquin (banjo, guitare), Joel Ford (clarinette, saxophones), Andy Zenczak (basse électrique) et Alex Work (percussions). Par cette association, Aza crée un style unique fait de mélodies enlevées et issu de la rencontre d'instruments traditionnels et modernes.

Leur premier album, Marikan (Amérique) (2003), est un voyage musical, teinté d'influences occidentales modernes, à travers la culture amazighe. (d'après CDBaby.com) Site web du groupe : azamusic.net

ALBENSIR (Damsiri) Mohamed Albensir (dit Damsiri) est l'un des plus grands rrays contemporains. Ce fils de boucher est né en 1937 à Tamsoult, dans le territoire des Ilbensiren (Haut-Atlas occidental). Il a le parcours classique de tout jeune Amazigh du Sud du Maroc (école coranique, randonnées pastorales derrière le cheptel familial) mais il est happé très jeune par le monde de la poésie et de la musique. Il fait preuve dans les cérémonies d'ahwach d'un don poétique exceptionnel. Il tient ainsi tête dans les asays (place villageoise où s'exécute l'ahwach) aux plus grands poètes de sa région. Fort de cette expérience, il rejoint en 1958 les troupes des chanteurs Amentag et Ahrouch. Il s'attache alors à mieux maîtriser la vielle monocorde ribab qui caractérise la tradition des Rways. Après quelques années d'exil en Allemagne (1961-1964), il retourne au Maroc pour devenir chanteur professionnel.



Dès 1965, il commence à enregistrer des albums. En 1969, un terrible accident de la route le rend paraplégique. l s'installe alors à Casablanca auprès de la plus importante communauté émigrée chleuh. Composant et chantant en tachelhit, il acquiert une renommée au sein de sa communauté et parmi les auditeurs de la section " dialectale " (qism allahajat) de la radio nationale. Il chante, à côté de thèmes sociaux et affectifs, sa colère de l'attitude méprisante des autorités envers les Amazighs et leur culture. La contestation a marqué la trajectoire poétique et militante d'Albensir.

Il a certes chanté, au début de sa carrière, la gloire de la monarchie et de la nation, mais en vain : l'indifférence des représentants de la " nation " chantée et glori iée le conduit à prendre conscience de la position dominée et marginale de son métier et, partant, de sa culture amazighe. Devant le mépris opposé à son art, Albensir ne se résigne pas. Il passe à la révolte et exprime dans un langage clair son attachement à sa culture natale. Ainsi, il compose au début des années soixante-dix une chanson-poème où il exprime toute sa déception et sa colère envers un pouvoir méconnaissant : men wâhd ustin a nettmjjad agellid ullah amk izdâr ad ax ifek mqqar d lebcklîd Depuis 1961, nous n'avons pas cessé de faire éloge du Roi Hélas, nous ne sommes jamais récompensés. Selon lui, le pouvoir n'est pas simplement i différent, il est aussi aliéné puisqu'il ne reconnaît de la chanson que celle exprimée en arabe par des nationaux ou des Égyptiens comme Abdelhalim Hafiz et Abdelawah. Cette attitude ravive chez lui le sentiment douloureux de la marginalité. L'État, chante-t-il, ignore les chanteurs chleuhs dont il se sent le porte-parole. Il ne " nous " réserve, poursuit-il, qu'une mort indigne et silencieuse dans les marges de la cité comme des chiens errants (zun d igh immut uydi gh umedduz).

L'humoriste chleuh Abdallah Anidif résume ainsi la place de la culture amazighe dans les média : Tumêz tcelhît gh lidaàa uncek lli tamêz lebcklît gh cc nti (la place qu'occupe tachelhit à la radio est la même que celle d'une bicyclette sur la route). Loin d'abandonner sa " petite tradition " poétique pour s'intégrer dans la " haute culture " imposée, Albensir est le premier rrays à chanter la langue amazighe. Il déclare ainsi son inscription dans la marginalité : Rebbi zzayd làezz i tcelhît Nettat as ligh atig innagh sawelgh Ô Dieu ! Honore bien ma langue, Avec le chleuh, je suis revalorisé, estimé auprès des miens. Attentif aux mouvements sociaux, les chansons du rrays, en particulier celles qui font allusion à la situation politique, sont parfois à l'origine d'intimidations et persécutions. En 1982, il est emprisonné durant une semaine en raison de sa chanson aggurn (la farine), très critique du gouvernement après " les émeutes du pain " (suite à la terrible sécheresse de 1981). Une autre de ses chansons, sur la mosquée de Hassan II, vilipende sans ménagement le gouvernement et ses pratiques oppressives. Albensir a enregistré près de 100 cassettes. Il meurt à l'âge de 53 ans à Casablanca, le 11 novembre 1989.

TINARIWEN, LE BLUES DE L'HOMME BLEU

La musique et la poésie ne traversent que rarement les sentiers de la guerre. Faire le soldat ou versifier, voilà deux activités qu'il est à priori difficile de mener de front. Si les poèmes de Case d'Armon ont conservé un accent unique dans l'histoire de la littérature c'est qu'Apollinaire les a composés pendant sa convalescence après avoir été blessé dans les tranchées de Champagne en 1916. Leur lecture prouve combien le poète en lui, bien que soumis au feu des batteries ennemies, n'a jamais reculé devant l'artilleur, poste qu'il assumait par devoir. Ainsi surgissent les chansons de Tinariwen, en embuscades derrière une dune de sable dont la crête délimite a sphère propre à l'artiste, de celle réservée à l'homme d'arme. L'image la plus saisissante devant contribuer à forger la légende de ce groupe vraiment à part reste celle de Keddu Ag Hossad, partant à l'assaut du poste militaire malien de Menaka près de la frontière nigérienne, une kalachnikov à la main, une guitare électrique dans le dos. Cette offensive du 30 juin 1990 sera l'amorce de la seconde rébellion touareg qui durera 3 ans et fera des milliers de victime. Pendant le conflit, Tinariwen va assumer une fonction "double lame", maquisards engagés dans la lutte de libération de la région de l'Adrar des Ifoghas, au nord du Mali, poètes mu iciens se construisant style et répertoire dans les veillées d'après combat.



Pareille ambiguïté encombre nos esprits rationnels peu habitués à voir des individus embrasser des vocations rivales. Pour un touareg cette nature, loin d'être duelle, confirme au contraire l'appartenance à un peuple et le lie à une histoire. Car la poésie fut longtemps pour les gens du désert une autre façon de faire la guerre. Comme la danse, où interviennent fréquemment les sabres, en est le prolongement chorégraphié. Quand les fusils refroidissent, les rimes ne tardent jamais à siffler en relais. Avant tout, un touareg se doit d'apprivoiser un environnement hos ile, le Sahara, et une langue, le tamacheq. Rétablis dans leur contexte géographique et linguistique, les hommes du désert cessent alors d'être des Touaregs - mot impropre que leur attribuèrent les Arabes et qui signifie "abandonnés de Dieu" - pour devenir des imajeghen ("hommes libres") ou kel tamacheq ("qui parlent le tamacheq"), termes plus légitimes par lesquels se définissent leur essence et leur identité. Si la maîtrise de l'espace a toujours découlé du contrôle des ressources d'eau, le verbe s'est quant à lui constamment abreuvé de métaphores et d'élégies. Comme si vivre dans cette immensité désolée exigeait que l'on étanche deux soifs plutôt qu'une, celle du corps, celle de l'âme

. Préserver ou conquérir des territoires va générer de nombreux conflits, entre tribus adverses, contre l'envahisseur français ou les états africains nés de la décolonisation. Peuplant tout un panthéon de héros dont les plus fameux Kaosen, Firhoun et Chokbo - vainqueur en 1894 de la colonne du commandant Bonnier à l'oasis de Takumbawt - font resplendir la bravoure de l'homme bleu jusqu'à nous. Quant à la passion de la langue, elle produira tant de vers, et d'une telle richesse poétique, que Charles de Foucault, reclus dans la garnison de Tamanrasset, abandonna toute ambition évangélique pour se consacrer à leur traduction en français. Tinariwen est le produit de ce monde, né de la prouesse d'une langue chantée et du verdict des armes ; aussi sûrement qu'il est le reflet de son effondrement. Deux guerres contre l'état malien (1963-1990) et une série de catastrophes écologiques ont eu raison d'un mode de vie ancestral reposant sur le nomadisme pastoral. Avec la civilisation du méhari menacée de disparition et une paix, signée en 1992, au goût amer, les chansons de Tinariwen portent le deuil de l'épopée des tribus sahariennes, et s'efforcent de deviner le futur des générations qui doivent leur survivre. La friction entre ce glorieux p ssé et un avenir incertain profite ainsi à l'embrasement de textes et de musiques dont l'esprit et la structure évoqueront pour beaucoup le blues des origines ; sans doute parce que l'origine du blues se situe précisément dans cette région située de part et d'autre de la boucle du fleuve Niger.

Ce blues de l'homme bleu fixe les sédiments de l'Histoire, récente et lointaine, d'une nation oubliée. Mais aussi des éléments musicaux traditionnels typiquement sahariens passés au filtre de la modernité par une instrumentation électrique, notamment les guitares, beaucoup de guitares. Pourtant pareille conjugaison n'aboutirait probablement à aucune érité artistique si le destin personnel de chacun des acteurs de cette aventure n'y apportait son grain d'exil, de tragédie, de sublimation. photo: Eric Mulet Avant Tinariwen, la notion de groupe musical n'existait même pas. Seules des ensembles ponctuels s'organisaient à la faveur des réjouissances coutumières dans les campements ou les oasis.

La structure de base de ce qui s'appelait à l'origine Taghreft Tinariwen ("le groupe des déserts") fut le commando. C'est en effet dans un camp militaire libyen ouvert par le colonel Kadhafi pour accueillir et entraîner les réfugiés des pays voisins que se sont rencontrés les musiciens. Keddu, Ibrahim, Enteyeden et Mohammed dit "japonais", étaient à l'époque sous le commandement d'Iyad Ag Ghali, chef du Mouvement Populaire de l'Azawad luttant pour l'émancipation politique de la zone septentrionale du Mali. Ce même Iyad Ag Ghali ira jusqu'à financer le matériel du groupe, utilisant en contre partie certaines de leurs chansons comme outils de propagande pendant la rébellion des années 90. L'exil avait réuni dans les confins du désert ces jeunes gens originaires de Kidal, capitale administrative de la région de l'Adrar. La musique soudera leurs talents. Enfant, Ibrahim avait quitté le Mali quand son père chargé de ravitailler en munition les maquis, fut abattu par les soldats. Les autres s'étaient enrôlés dans l'armée autant par conviction que par désœuvrement. Cette condition d'exilés-désœuvrés leur vaudra le nom d'ichoumar ; dérivé de chômeur le mot deviendra à force une sorte de marqueur métaphysique pour un style de chansons où l'être ne cesse de le disputer au néant. Car après le traité de paix, le retour au pays se révélera si décevant que les Tinariwen consentirent à rendre leurs armes, mais pas leurs guitares.



Depuis ces temps inauguraux, les choses ont bien changé. Keddu est parti s'installer de l'autre côté de la frontière algérienne. Enteyeden est mor d'un cancer de la gorge. Ibrahim préside désormais aux destinées de la tribu. À ses côtés on retrouve les fidèles lieutenants : Hassan, présent dès la fin des années 70 quand la petite troupe cherchait un point d'ancrage entre Tamanrasset et la Libye ; et Abdallah qui apporte sa touche personnelle et contrastée, plus romantique et contemplative. Japonais continue d'y faire des allers-retours. Mina et Wounnou en sont devenues l'indispensable objection féminine. Quant aux plus jeunes, Eyadou, Said et Elaga, ils complètent cette fratrie qui, née dans l'exil, a survécu dans l'instabilité. Après un discret premier album réalisé à l'énergie solaire d ns les locaux de radio Tisdas, la station de Kidal, Amassakoul immobilise enfin cette musique de l'errance. Ces onze chansons mêlent le rythme envoûtant et la parole émouvante. Toutes possèdent cette texture de l'essentiel. Toutes sont le fruit d'une détresse, d'une espérance, que dépasse celui qui l'exprime pour mieux en restituer une valeur propre à l'ensemble de la communauté. Chacune témoigne d'une part de vie singulière et commune à tous.

Dans Arouane, Abdallah jette les bases du rap tamacheq pour nous dire combien le désert gagne peu à peu, jusqu'à l'intérieur des individus, jusqu'à recouvrir leur existence. Dans Oualahila Ar Tesni am, authentique rock'n'roll saharien, Ibrahim retrouve les accents de l'insurgé pour appeler à la seule révolte - celle de l'individu ensablé dans l'apathie et l'indifférence - qui aujourd'hui vaille la peine. Et dans Tenere Dafeo Nikchan, bouleversante psalmodie accompagnée au tindé, à la flûte t'zamârt et à la guitare, il nous fait ressentir, à fleur de peau, ce qu'est l'äsouf, solitude au sens physique et moral qui irrigue toute cette poésie des dunes. Comme habité par la présence des camarades tombés au combat, des amis disparus, des amours enfouis, ce moment, comme bien d'autres sur ce disque, nous rend joyeux d'être triste. Et laisse en suspens ces questions. L'âme des guerriers connaît-elle la paix quand cesse l'aboiement des armes ? Les rêves du combattant lui sont-ils rendus avec ses vêtements civils ? Ou bien restent-ils mobilisés sur les champs imaginaires de batailles sans repli ? La chanteuse Wounou WALLET OUMAR, qui assurait les chœurs avec sa sœur cadette Mina s'est éteinte le 23 mars 2004 à l'hôpital de Bamako

Chérif KHEDDAM

Avant d'être ce maître incontesté de la chanson kabyle moderne, Kheddam destiné d'abord aux écritures saintes du Coran. Né en 1927 à Aït Boumessaoud en Haute Kabylie, il fréquente l'école coranique locale avant de se rendre à la zaouia de Boudjelil en Basse Kabylie pour poursuivre l'acquisition de la haute culture lettrée. Mais au gré des conjonctures, il change d'orientation. En 1947, Chérif Kheddam prend le chemin de l'exil vers la France. À son arrivée, il travaille comme ouvrier dans une fonderie puis à l'usine pour survivre jusqu'en 1961.

C'est donc dans le contexte de l'émigration que Chérif commence à pratiquer la musique et le chant. Sa première chanson Yellis n tmurt iw (Fille de mon pays) éditée à compte d'auteur, est perçue comme un chef-d'œuvre par le public. Après un premier succès, Chérif chante dans des conditions toujours difficiles. Il mène deux activités diamétralement opposées : le travail dur de l'ouvrier et la création artistique qu'il tentera de maîtriser pleinement. Chérif persévère dans cette voie grâce à l'encouragement de ses amis, en particulier Madame Sauviat, disquaire, spécialisée dans la chanson orientale, qui, ayant remarqué la qualité de cette chanson, le dirigera vers Pathé Marconi. Ainsi la rencontre avec Ahmed Hachelef, directeur artistique, sera également importante dans la carrière de l'auteur. Les affres de l'exil et de la guerre d'Algérie le poussent au repli sur soi et à la création. De cette situation paradoxale naît l'œuvre musicale de Chérif qui va se tourner vers une carrière professionnelle. Malgré son handicap culturel de départ et en dépit de son âge, Chérif s'est attaché a acquérir une culture musicale en s'initiant au solfège, au chant puis à l'harmonie. Conscient de l'indigence qui affecte le patrimoine musical enfermé dans une tradition sclérosée, il tente de l'enrichir, de le rénover sans gommer ses caractéristiques. Il a su créer un espace d'expression ouvert sur la modernité, imposer une rigueur au niveau de la création qu'il n'a pas manqué d'inculquer aux jeunes chanteurs. Il a en effet, encadré des groupes et formé des émules de la chanson moderne qui, aujourd'hui encore, se réclament avec fierté du maître.


Parmi eux, on trouvera des noms connus dans la chanson militante amazighe : le groupe Yugurten, Ferhat Imazighen Imoula, Idir, Aït Menguellet, Malika Domrane, Nouara, Ahcène Abassi... Chérif Kheddam avec Nouara en répétition à l'Olympia en 1985 Chez Chérif Kheddam, poésie et chant sont intimement liés. La mélancolie d'antan a cédé la place à une nouvelle conception de la musique, de la poésie et, par suite du monde. C'est en effet, au niveau des textes que l'auditeur peut déceler la dimension révolutionnaire du poète à qui on doit plus d'une centaine de chansons déjà répertoriées. Quatre grands axes intimement liés dans l'esprit du poète traversent l'œuvre : l'amour, la terre, le changement social et le combat identitaire. On se serait attendu à ce que, homme issu d'une " grande " famille, Chérif se fut cantonné dans le chant conventionnel où prédominent la morale et la religion.

Or, le poète transgresse la vision traditionnelle pour en fonder une autre où l'interdit devient permis. Tantôt dans la tradition, tantôt dans la modernité, Chérif Kheddam innove sans cesse. Intimement liées, tradition et modernité finissent par constituer une unité riche de sens marquant l'identité du poète et la revendication d'une création permanente. C'est donc ainsi que Chérif Kheddam, de son vivant même, fait déjà partie de la grande lignée des ancêtres, ceux qui avaient jadis pour fonction de perpétuer la tradition ancestrale et de la transgresser pour fonder une nouvelle conception du monde.

USMAN

Le groupe Usman présente une expérience singulière dans l'histoire de la musique moderne au Maroc. Usman est d' bord le fruit d'un travail culturel d'une association amazighe, l'Association marocaine de la recherche et de l'échange culturel (Amrec). Poussée par la situation marginale de la culture amazighe dans le Maroc indépendant, l'équipe animatrice de l'Amrec décide de créer un groupe musical pour porter au grand jour ses préoccupations culturelles.

Le groupe porte d'abord le nom de Yah. Il est le prolongement d'une commission de musique créée au sein de l'association par Ali Moumeni et Brahim Medrane. Dès 1974, Yah tourne dans les mariages et reproduit les chants anciens. Le 29 mars 1975, Yah donna son premier et ultime grand concert à Rabat au Théâtre Mohammed V. À l'issue du spectacle, les responsables de l'association, confortés par le succès du concert, décident de renommer le groupe. Usman (Éclairs) est né et se compose de six membres : Ammuri Mbark, Said Bijàaden, Said Butrufin, Belàid el-Akkaf, Tarik el-Maàrufi et Lyazid Qorfi. Dès sa constitution, Usman a opéré un tournant décisif dans la musique amazighe. Le groupe interprète la poésie moderne que composent certains membres de l'Amrec, tels Azayku, al-Jachtimi, Akhyat et Moustawi.

Les thèmes abordés sont alors l'amour, l'exil, l'identité… Outre des concerts dans les grandes villes, Usman effectue des tournées dans certaines régions du Sud, comme Taroudant au printemps de 1975. Deux 45 tours sont enregistrés en 1976. Un tournée européenne les mène sur les planches de l'Olympia à Paris les 5 et 6 février 1977. Le succès d'Usman n'a pas été le fruit du hasard. Outre la qualité des poèmes chantés, le groupe se distingue par des arrangements modernes inspirés des rythmes anciens. Usman a également chanté dans trois parlers de la langue amazighe : tachelhit, tarifit et tamazight. Suite à des dissensions au sein du groupe, Usman se sépare en 1978. Le soliste vocal du groupe, Ammuri Mbark, commence alors une carrière solo. ait

Véhiculée depuis des tem s lointains par les populations du Nord et du Sud du Sahara, la musique berbère ne date pas d'hier. Elle a été transmise de génération en génération. C'est dans les années trente qu'elle a connu un réel essor, alors développée par l'Hajd Belaïd, poète compositeur berbère. Depuis sa disparition, tous ses successeurs ont jusqu'à ce jour suivi son style et son système musical. L'oreille musicale de l'ancienne génération qui ne parvient pas à sortir de ce chemin qualifié de traditionnel, est restée fidèle à cette rythmique répétitive dépourvue d'arrangements musicaux et de développement de la matière son ; ce qui a entraîné une lassitude de la je ne génération actuelle, avide de nouveautés et ouverte sur l'occident. Génération submergée par les musiques européennes et nord américaine.

L'un de ces jeunes berbères, Aït, originaire du sud marocain représente tout à fait le mélange des conflits et courants vécus par ces deux générations. Né en 1966, issu d'une famille de musiciens, il aura une enfance imprégnée de rythmes et de chants. Il sera très vite attiré par la musique occidentale, Rock'n Roll, Blues... et en fera ses premières armes. Il va ainsi participer à des soirées et émissions de radio au Maroc... Il créera des groupes de musique dont Tazarzit et HH Band et suivra une trou e théâtrale et mènera une vie associative en tant que membre de l'Académie cinématographique. C'est en 1988 que Aït viendra compléter ses connaissances à la Sorbonne dans une classe de chef d'orchestre. Il abordera les musiques planantes et associera les musiques assistées par ordinateur.

C'est au sein d'une association pour la promotion des valeurs africaines qu'Aït redécouvre ses racines berbères qu'il défendra sans relâche depuis 1991. Et c'est après un long cheminement et de longues recherches musicales, que Aït parvient à réaliser ses différents albums pour nous faire découvrir le patrimoine berbère d'une richesse incomparable. Son ernier album (quatrième en date) intitulé "Berbère" en témoigne. Il y introduit un jeu à la guitare et percussions africaines tout en respectant l'esprit traditionnel de cette musique... Son objectif avant tout est de faire connaître le berbère et le mêler à des rythmes occidentaux, d'exploiter ce patrimoine qui est certes énorme mais peu connu, émanant d'Afrique, source de toutes les musiques.

LHADJ BELAID

La tradition des Rwayes (poètes chanteurs d'expression amazighe, aire tachelhit) constitue l'une des traditions les plus marquantes dans l'espace de la création poético-musicale au sud du Maroc. Elle se caractérise essentiellement par la coexistence de la poésie et de la musique. Paulette Galand-Pernet qualifie cette tradition de " poèmes de chanteurs professionnels. Les trouveurs sont tout à la fois les compositeurs et les exécuteurs de leurs œuvres ; ils circulent à travers le pays, formant en général une troupe où les jeunes font l'apprentissage du métier en compagnie des plus expérimentés et sous la direction d'un chef .

Chanteur poète et troubadour, Lhadj Belaid a marqué l'histoire de la création poétique et musicale amazighes au Maroc. Paulette Galand-Pernet disait qu'il est d'une grande renommée. Avec son prestige de poète, il a formé un grand nombre de chanteurs trouveurs. Il est né à Anu n Àdu aux environs de Tiznit à une date non précise (ça ne peut être que la deuxième moitié du 19e siècle ; Alexis Chottin et Paulette Galant-Pernet qui s'intéressaient au domaine de la poésie amazighe postulaient qu'il avait soixante ans en 1933) dans une famille pauvre. Orphelin dès son bas âge, il est obligé de quitter l'école coranique et de s'adonner à toutes sortes de travaux : berger, direction d'un groupe d'acrobates à Tazeroualt (lieu mar boutique : Sidi Ahmed Ou Moussa), etc. À Tazeroualt, il a émancipé son amour pour la poésie et la musique et a commencé à apprendre les premières règles de cet art dans une troupe de chanteurs troubadours avant de créer sa propre troupe à laquelle ont adhéré Mohamed Boudraà, Ali Es Saouiri et M'barek Belahcen. La constitution de cette troupe lui a permis d'entretenir de larges relations avec les notables des tribus et représentants makhzéniens.

Sa mort survient vers 1945. Paulette Galand-Pernet indiquait que les Rwayes interrogés sur le sujet n'ont pu préciser la date de sa mort. La production de Lhadj Belaid est un témoignage des transformations sociales observées au début du siècle et de leurs effets sur les conceptions et les comportements d’hommes traumatisés par les violences makhzénienne et coloniale. Il exprime son inquiétude sur l'introduction d'autres valeurs et leur diffusion au sein de la société soussie en particulier et la société marocaine en général. Son répertoire poético-musical est partagé sur des thèmes tels l'amour, les relations de ses voyages, critique sociale, poèmes d'ordre religieux et moral. Les poèmes les plus connus de Lhadj Belaid sont Tadwat d leqlem, Atbir umlil, Adêbib, ccerab, amuddu n bariz et amuddu n lehîj.

ALI CHOUHAD

Moulay Ali Chouhad a grandi dans un milieu familial poétique. Père, mère et sœurs tous manipulent l'art du verbe. Il est né en 1957 dans la région de Issaffen (Iberkak) dans l'Anti-Atlas entre Taroudant et Tata. Très peu d'années sur les bancs de l'école primaire du village : il passe plutôt son temps à imiter le son, le cri et les chants des animaux et des humains. Mais il a surtout aiguisé sa langue en se donnant dès son adolescence à l'art de la satire poétique, cet art tant pratiqué dans la région entre garçons et filles de son âge (sœurs et voisines). A l'âge de 13 ans, il a osé confronter par le vers d'autres poètes adultes durant les séances d'ahwach / dderst (poésie chantée et danse communale). Cet exercice de joute poétique, dangereux pour tout poète, lui a donné une confiance qui ne cessera de s'affirmer.

Comme tout poète-chanteur de tradition orale, Moulay Ali a bien entendu fait travailler sa mémoire auditive en emmagasinant un répertoire de poètes classiques, tels Boubakr Aze'ri, Boubakr Anshad, Ahrouch… En 1976, il fonde le groupe musical Izmaz à l'instar es autres groupes à la mode dans les années 70, comme Nass El Ghiwane, Ousman, Izenzarn. En 1979, il fonde Archach avec les jeunes de sa région - Issaffen - qui continue jusqu'à maintenant et de façon régulière depuis vingt ans, à enregistrer une cassette par an.

La quasi totalité des poèmes chantés, que ce soit avec son groupe Archach ou seul, est de sa propre production (mis à part un poème de Moustawi et quelques poèmes d'Aze'ri, d'Anshad et de Sidi Hemmou). Quant à la musique, il lui arrive d'emprunter à Anshad, Doudder' ou Lhajj Mohammad Amourague, ou même à Belaid, pour y chanter ses propres poèmes. Il raconte que, en tan que garçon, il aimait bien chasser les oiseaux, les écureuils et autres animaux. Mais, ne sachant pas comment les attraper sans leur faire de mal, il s'est consacré, une fois adulte, à l'apiculture. Ainsi, Moulay Ali Chouhad nous livre doublement le miel, à travers le soin qu'il porte à ses ruches, et par sa propre langue.

IZENZARN

Dans le champ musical amazigh (berbère), l'expérience du groupe Izenzarn présente des particularités. L'émergence de ce groupe se situe dans le contexte général des mutations sociales au Maroc post-protectoral. L'émigration (exode rural dans la terminologie sociologique marocaine) est devenue un phénomène irréversible. La société rurale s'installe dans le milieu citadin et se confronte à la fois aux processus violents d'intégration et d'assimilation et aux problèmes sociaux résultant de la gestion arbitraire des biens communs par la mafia makhzénienne. Cette situation nécessite l'invention de formes nouvelles d'expressions poético-musicales (ou l'adaptation des formes anciennes) pour exprimer à la fois la nostalgie des origines et la colère vis-à-vis de politiques abusives.

Aussi, à cett époque, les groupe musicaux anglo-saxons (tels les Beatles) mais aussi marocains (Nass el Ghiwan, Jil Jilala, etc.) imposent leurs rythmes et influencent le développement de groupes de musique dite populaire. Mêlant instruments modernes et traditionnels, ces groupes interprètent des chants, inspirés de la tradition ancestrale ou exprimant les sensibilités actuelles d'une génération issue de la première vague des émigrants ruraux. Fondé à la fin des années soixante par un groupe de jeunes issus des familles installées en ville, Izenzarn fait parti des premiers groupes amazighs à moderniser et à radicaliser la chanson amazighe.

Après des tribulations sous différents noms, l'année 1974 consacre l'enregistrement de la première cassette. Ainsi s'entame la saison printanière du groupe, caractérisé par des chansons d'amour telles : Wad ittemuddun (voyageur), Wa zzin (Oh ! beauté), etc., de nostalgie et des valeurs traditionnelles : Immi Henna (Ma gracieuse mère)... avant d'embrasser les thèmes contestataires : ttuzzalt (poignard), ttâbla (plateau), tamurghi (sauterelles)... et ceci au début des années 80. La contestation chez Izenzarn se caractérise par la mise en cause des discours dominants : Iggut lebrîh idrus may sellan igh islêh… Les discours abondent Et pourtant Personne n'écoute la ra son et la mise à nu de réalités difficiles : Nettghwi zun d teghwi tmmurghi gh igenwan ikk d lhif akal… Nous sommes comme des sauterelles prises entre les cieux et les terres asséchées, une réalité où règnent la peur, l'oppression et la torture [tawda gh ugharas (la peur dans les chemins), izîtti wuzzal (barreaux de fer), ur nemmut ur nsul (ni vivant ni mort)…]

La réussite du groupe est due à son style musical insolite et à la poésie de ses chants qui présentaient déjà à la fin des années soixante-dix les germes d'une révolution dans le champ de la création poétique berbère moderne. Après une mésentente, le groupe a connu une scission. Deux groupes se disputent le nom : Izenzarn Iggout Abdelhadi et Izenzarn Chamekh. Mais, c'est le premier qui a pu s'imposer grâce à l'image emblématique de son chanteur principal, Iggout Abdelha

Majid Bekkas en trio African Gnaoua blues Le 2 mars à 20h30 Institut français de Casablanca Après des années de jazz, blues (notamment aux côtés de Peter Brotzmman, Louis Sclavis, Andy Sheppard et autres), musique Gnaoua et africaine en général, Majid crée un trio homogène qui reflète sa conception d'une musique marocaine moderne. Le mélange du guembri, de la guitare acoustique et électrique, du oud, du nei et de la kawala (flûte indienne) offre tou te sa place à l'improvisation. Le CD du concert vient d'être enregistré en Belgique et sera disponible sur le marché européen et au Maroc très prochainement. La musique des gnaoua fait partie d'une culture qui englobe l'ensemble de l'ancien Soudan (Afrique de l'Ouest). La présence de la population noire au Maroc est essentiellement due aux échanges commerciaux et culturels entre Tombouctou et Marrakech, à l'époque, (16e siècle), où Ahmed El Mansour Dahbi partait à la conquête du Soudan. Si la musique afro-américaine a connu une large diffusion dans le monde entier et avec le succès que l'on connaît, la musique des gnaoua est restée plus confidentielle, mais bien vivace dans sa communauté d'ori ine. L'objectif de Majid Bekkas est de donner un nouveau souffle et une dimension internationale à cette musique avec le souci d'en conserver l'essence (spiritualité, pentatonisme, instruments traditionnels), tout en l'agrémentant de nouveaux éléments. Premier prix de flûte orientale au Conservatoire national de musique de Rabat, Rachid Zeroual a beaucoup enregistré au Maroc et en Egypte. Il est le premier à avoir introduit la kawala dans la musique marocaine. Son ouverture au jazz est due à sa rencontre avec Majid Bekkas au Festival des Oudayas. Né au Maroc en 1957, Khalid Kouhen vit en France depuis 1978. Bercé dès l'enfance par les musiques traditionnelles du Maroc et du Soudan, il s'est ouvert au f l des années à de nombreuses cultures musicales: jazz, musique brésilienne, afro-cubaine, indienne... Il est considéré aujourd'hui comme l'un des musiciens les plus talentueux dans le monde de la percussion. Majid Bekkas, guembri, guitare, oud et chant Rachid Zeroual, nei, kawala Khalid Kouhen, percussions

 
ROCK' N ROLL

REBORN ou la renaissance du Métal Marocain Multi-influences avec une nouvelle vision métallique combinant plusieurs tendances d'où le terme« MMM ». l'idée est née sur proposition d'Amine Hamma en 2002 avec, AbdeSamadBourhim , Nabyl Guennouni, Nabil Andaloussi et Saad Elbouidi ces derniers se sont donnés comme objectif de relancer la scène métal après les splits successifs des mastodontes Immortal Spirit , des névroses KillerZone , des obscurantistes In the Nightmare mais aussi le repos des guerriers des Nekros. Le 16 février 2003 , une date que les REBORN ne peuvent oublier, arrêtés et accusés dans le cadre de l'une des plus tristes et absurdes affaires qu'a connu le Maroc durant ce début de siècle , après un bref passage à OKACHA «prison civile de Casablanca», REBORN sont de retour plus déterminés que jamais à faire du "MM". REBORN est un groupe qui jouit d'une notoriété sur de la scène marocaine, avec une sonorité lourde combinant heavy/death/thrash/grind/moroccain beats, leurs titres à motivation sociale traitent du danger que représente l'Homme pour son monde et pour sa propre espèce. Actuellement les REBORN sont entrain de Travailler pour "FORGIVE BUT NOT FORGET" littéralement "PARDONNER MAIS PAS OUBLIER".

 SYNCOP

« SYNCOP » est un groupe de Heavy/Hard progressif, leurs compositions puisent leur identité, dans les différentes influences et tendances de ses membres, on y retrouve du hard, du funk, du pop et parfois des clins d’œil de jazz. Après la séparation de leur premier groupe « BLIZZARD », Nizar et Soufiane n’arr&ecir ;ta
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24 septembre 2006 7 24 /09 /septembre /2006 00:01

Peinture algérienne contemporaine

Les précurseurs

Près d'un siècle après la conquête coloniale, autour des années vingt, Azouaou Mammeri (1886-1954), Abdelhalim Hemche (1906-1978), Mohammed Zmirli (1909-1984), Ahmed Bensliman (1916-1951) et Miloud Boukerche (1920-1979), sont les premiers, tirant profit d’un enseignement parcimonieusement concédé, à introduire dans la culture algérienne la pratique de la peinture de chevalet. Le plus souvent, soumis à la pression de modèles idéologiques qui perpétuent l'académisme français, ils ne peuvent, malgré un recentrement de la vision sur la réalité de la vie algérienne, que s’inscrire dans les marges du courant orientaliste.

A la même époque, d’autres artistes travaillent à faire revivre la tradition de l’enluminure et introduisent en Algérie le genre oriental de la miniature. Bien que plaidant chez Mohamed Racim (1896-1971) ou Mohammed Temmam (1915-1988) en faveur du colonisé, leur célébration nostalgique des fastes du passé, palais, patios et princesses, vasques et gazelles, ne permet encore qu’une expression oblique de l’identité algérienne.

C'est sous ces deux seules formes, hormis la parenthèse romaine, que la figuration se développe en Algérie, sur le sol de plusieurs millénaires d'expressions populaires symboliques abstraites, berbères et arabes, intégrées dans la vie quotidienne à travers l'architecture et le mobilier, les tissages et les poteries, le travail des cuirs et des métaux, où l'image représentative est des plus rare, sinon quasiment absente.
Les fondateurs

Il faut attendre ce que l'on a pu nommer la « génération de 1930 », la plupart de la dizaine des jeunes artistes qui la composent étant nés autour de cette année, pour que soit contestée en profondeur la vision figurative et narrative, ressentie comme étrangère à la sensibilité maghrébine. Ils sont, dans les années cinquante, les véritables fondateurs de l’art algérien moderne. Certains, Issiakhem et Mesli, ont fréquenté les Ecoles des Beaux-Arts d'Alger et de Paris, ou, pour Guermaz et Benanteur, celle d'Oran. D'autres, autodidactes, se sont engagés solitairement dans leur art, Baya mais aussi Khadda, typographe, Aksouh, forgeron, Zerarti, maçon. En un itinéraire comparable à celui des premiers grands écrivains algériens de langue française, Mohammed Dib ou Kateb Yacine, quelques uns de ces peintres, attirés par l'effervescence artistique qui s'y manifeste depuis le début du siècle, passent plus ou moins longuement par Paris et y présentent des expositions, tels Issiakhem, Khadda et Mesli, tandis que d'autres s'y installeront définitivement, Benanteur, Guermaz ou Aksouh.

Au lendemain de l'Indépendance les manifestations organisées à Alger puis à Paris les réunissent. Durant quelques années la galerie 54 animée par Jean Sénac, poète de l’espoir algérien, et les galeries successives de l’éditeur Edmond Charlot, qui le premier publia Albert Camus, les exposent, aux côtés de Galliéro, Bénisti, plus figuratifs, Jean de Maisonseul, mais aussi Louis Nallard et Maria Manton, Marcel Bouqueton, qui participeront à Paris, avec le graveur Marcel Fiorini, au développement de la peinture non figurative. Leurs œuvres sont rapidement introduites au Musée des Beaux-Arts d'Alger que dirige Jean de Maisonseul de 1962 à 1970.

Art naïf, art brut, expressionnisme

Trois grandes tendances s'affirment d'emblée. La première, qualifiée de « naïve », apparaît avec Hacène Benaboura (1898-1960) et se trouve essentiellement incarnée par Baya dont l' "art brut" deviendra l'un des symboles de la création algérienne.

Doublement orpheline à cinq ans, recueillie à douze, l'itinéraire de Baya Mahieddine (1931-1998) semble, à l'image de son oeuvre, relever d’une improbable féerie quand il lui est donné la possibilité de réaliser les gouaches, préfacées par André Breton, qu’Aimé Maeght expose en 1947 alors qu’elle n’a pas même seize ans. Au-delà des complaisances de la légende, son parcours est ensuite interrompu durant dix ans après un mariage traditionnel. En 1963 Baya peut reprendre papiers et gouaches. Dans les fausses symétries de ses compositions, la couleur vive et contrastée s’équilibre en aplats tandis qu'un trait épuré cerne sans hésitation ni repentir les profils de ses « Hautes Dames », figures de la Mère à jamais énigmatique. Leurs visages transparents s'effaceraient dans la blancheur du papier si ce n'étaient l'éclat de leurs regards et la masse de leurs chevelures de jais. Les bouquets, les cruches et les fruits, plus tard les instruments de musique et toute la faune parallèle de poissons, oiseaux et papillons, qui les accompagnent, déliés de tout volume, se détachent sous une lumière étale en un espace qui refuse toute perspective illusionniste.

Plus figurative dans les visions colorées de Mohammed Bouzid (1929) ou, plus dramatiques, d'Ismail Samsom (1934-1988), une deuxième tendance, expressionniste, est dominée par la personnalité de M'hamed Issiakhem.

M'hamed Issiakhem (1928-1985), « Oeil de Lynx » comme le surnomme son ami Kateb Yacine, a quinze ans quand il manipule une grenade, ramassée dans un camp militaire américain : dans l'explosion deux de ses sœurs et un neveu meurent, il sera lui-même amputé d’un avant-bras. La souffrance algérienne durant les années de guerre comme celle qu’endure le Tiers Monde dans la revendication de sa liberté ne cesseront de réactiver le climat angoissé de sa peinture qui exorcise tout à la fois les douleurs d’un drame personnel et les violences de l’histoire collective. Dans une solidarité rageuse avec les femmes et les hommes sous toutes les latitudes murés dans le silence de la misère ou de l’oppression, le geste d'Issiakhem fait surgir de pâtes épaisses tous les visages du malheur. Les célébrations de l’univers maternel, d'une sérénité dont le peintre s’est trouvé privé, constitueront autant de conjurations du tragique de la condition humaine.
L'abstraction

Une dernière tendance, avec Khadda et Benanteur qui, amis d'enfance quittent ensemble Mostaganem pour Paris en 1953, Guermaz et Aksouh qui s'y établissent une dizaine d'années plus tard, ou, plus informel, Mohamed Louail (1930), s’engage dans la voie de l’abstraction.

« Si la peinture non-figurative apparaît l’expression normale, c’est le résultat du phénomène de déculturation », écrit Mohammed Khadda (1930-1991) dont le travail, dans les années 1950, est à l’origine de ce que Jean Sénac nommera l’ « école du Signe ». De retour en Algérie en 1963 Khadda, dans des écrits vigoureux, y défend l'abstraction violemment mise en cause et dénonce « le réalisme opportuniste » qui tente de s'imposer durant les « années de plomb ». En une démarche où création plastique et réappropriation culturelle se rejoignent, ses peintures, ses aquarelles et ses gravures, s’appuyant sur l’expressivité plastique de l'écriture arabe, la mènent à la rencontre des graphismes des paysages et des choses du monde naturel. Reconnaissance, dans l’arbre et les pierres, de l’écriture du monde et exploration du monde de l’écriture demeurent dans son œuvre liées en deux démarches complémentaires, chacune retentissant sur l’autre et la développant, qui le rapprochent par degrés des sources mêmes du Signe. « Je n’ai jamais employé la lettre pour la lettre », précise Khadda, se défiant de tout « nouvel exotisme ». Il ne l’approche dans ses « Alphabets libres » ni dans son présent ni dans son passé mais, en deçà de toute histoire, dans une sorte de futur antérieur , se faisant, comme on l'a écrit, "l’archéologue du possible".

Dans cette voie abstraite Abdelkader Guermaz (1919-1996) est l'aîné de sa génération. Dès les années 1940 la galerie « Colline » d'Oran expose ses toiles librement figuratives aux côtés de celles de Sauveur Galliéro ou d'Orlando Pelayo. A partir de 1961 et de son installation à Paris ses peintures, détachées de toute figuration, se trament d’enchevêtrements ascendants vivement colorés. Puis passe sur ses toiles un grand vent de lumière que piègent les empâtements de la matière. Autour de 1975 un nouveau paysagisme surgit de la succession des plans colorés qu’elles superposent, hautes falaises ou étagements solaires de crêtes ou dunes. Le visible se donne chez Guermaz dans le mystère de l’espace avec lequel il se confond. A ce degré de tension, son oeuvre, authentique « peinture de méditation », s’adresse à l’esprit autant qu’à l’œil.

Suspendues dans les années 50 en un frêle réseau de nervures, les toiles de d'Abdallah Benanteur (1931) font ensuite paraître des terres obscures que la lumière ne traverse plus qu’en d'imprécises marbrures. C’est comme depuis l’autre côté de l’ombre qu’elle remonte au début des années 1970, irréelle, quand les silhouettes de ses « Visiteuses » se réunissent vers d’incertaines rencontres. Sa peinture débouche dans la décennie suivante sur les gorges et défilés, cols et clairières d’une « sur-Méditerranée » dont le souvenir avive les couleurs. De minuscules foules anonymes en envahissent un moment les espaces, qui s'effaceront comme mirages. Abdallah Benanteur a simultanément réalisé à partir de 1961 plus d'un millier d'ouvrages de bibliophilie, tirés à un nombre limité d'exemplaires ou livres uniques enrichis d'aquarelles et de dessins, pour lesquels il choisit les textes, d’écrivains algériens et européens, de poètes arabes ou persans, compose la typographie, exécute lui-même l’impression et le tirage de ses gravures.

Parmi le monde des formes et des couleurs, enfin, l’itinéraire de Mohamed Aksouh (1934) commence au bord des lueurs qui traversent les profondeurs d’émeraude des rivages. Puis sa peinture, au long des années 70, ouvre le champ du regard sur un labyrinthe de ruelles et de façades où la lumière se réfléchit en échos assourdis, semble s’imprégner des couleurs des parois blanchies à la chaux qu’elle frôle. La peinture d'Aksouh se développe par la suite dans un univers d’affleurements, mosaïques à demi effacées, pierres apparaissant au milieu d'anciens murs, cailloux ou galets sertis dans la poussière des chemins ou les marbrures de la vague. Aksouh y fait approcher le nuage soyeux qui irrigue le visible, la buée solaire que le regard, sans l’apercevoir, en chaque instant traverse. Dans la pulvérisation des touches tout l’être du monde n’est plus qu’un fragile précipité des vibrations de la lumière.
"Aouchem"

Sur le territoire inauguré par les peintres de la « génération de 1930 » l’art algérien multiplie rapidement ses cheminements. Choukri Mesli et Denis Martinez ont participé eux aussi aux premières expositions organisées à Alger et à Paris après l'Indépendance. Tous deux professeurs à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger, ils sont les animateurs de 1967 à 1971 du groupe « Aouchem » (Tatouage) qui rassemble une dizaine d’artistes, poètes et peintres, notamment Hamid Abdoun (1929), Rezki Zérarti (1938) et Mustapha Akmoun (1946). Ils s’opposent eux aussi aux imageries jugées démagogiques, que présente la galerie officielle de l’Union Nationale des Arts plastiques, fondée en 1963 mais dont la plupart des peintres actifs se trouvent exclus dès le début des années 70. « Aouchem est né il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. Il a poursuivi son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'Histoire. (...) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes », déclare leur « Manifeste ». En dépit des violences, certaines traditions plastiques ont réussi à se maintenir dans les gestes qui modèlent et peignent l’argile, tissent la laine, décorent les murs, gravent le bois ou le métal : c’est sur ces survivances qu’« Aouchem » veut s’appuyer.

Dans des couleurs intenses cloisonnées dans une géométrie luxuriante proche des motifs targui des caractères sahariens, les peintures de Choukri Mesli (1930) font entrevoir, comme surgis d' éternels Tassili ou Hoggar, des "Cortèges" de "Guerriers" et d'"Ancêtres" auxquels répondent plus tard des silhouettes féminines aux formes sculpturales qui évoquent Tin Hinan.

Denis Martinez (1941) s'inspire plus largement encore des arts populaires, motifs des poteries et des tissages, des signes tifinagh et des bribes de calligraphies, souvenirs de la culture andalouse. A la fin des années 1980 ses toiles s'inscrivent dans les rythmes de l'espace des maisons berbères, tandis que les "actions" qu'il conduit avec ses élèves, durant une quinzaine d'années jusqu'à son exil en 1994, exercent une durable influence sur plusieurs générations d'artistes. Dans ses toiles fortement structurées se multiplient les flèches graphiques qui suggèrent, au milieu d'un fourmillement de points et de lignes, astres et abeilles, serpents et lézards, les mouvements et les relations de l'omniprésent "Personnage", inquiet et interrogateur, qui, au long des décennies, signe sa peinture. Dans les années 1990, sa création des tracés divinatoires du grand Sud puis des processions, à Marseille même, d'"Aghendjas" de Kabylie, pour implorer non plus de façon traditionnelle la pluie mais plus politiquement la paix en Algérie face à l'intégrisme, constitue un aboutissement, à mi-chemin de la performance et de l'installation, avec le concours de poètes et de musiciens, de la dimension magique d'emblée présente dans son art.
Matières et Signes

Le recours à la graphie de la Lettre et du Signe soutient largement par la suite, de décennie en décennie, les développements de la peinture algérienne. Majhoub Ben Bella (1946) et Rachid Koraïchi (1947) font ainsi plus étroitement référence à la calligraphie qu'ils détournent, dans leurs palimpsestes ou talismans, en vertigineuses pulvérisations. Ali Silem (1947), nouant la Lettre comme frange de laine au milieu des matières dorées ou calcinées de ses « Déserts », semble en déployer l’espace interne. Malek Salah (1949) et Saci Mohand (1949) s’inscrivent différemment dans une interrogation de l’espace qui fait abstraction de cette dimension identitaire tandis que Hamida Chellali (1948), Samta Benyahia (1949) et Akila Mouhoubi (1953) conjuguent vigoureusement, dans les tourbillons de la couleur ou l’accumulation symbolique, la peinture au féminin.

Le travail de Hamid Tibouchi (1951), reconnu d'abord comme l'un des représentants majeurs de la jeune poésie algérienne d'expression française, est caractéristique de cette quête du signe, qu’il renouvelle et pousse jusque dans l’intimité des matières. Les colorants naturels, pigments, encres et teintures, sable ou charbon, qu'il utilise sur les supports « trouvés » les plus humbles, papiers, cartons ou toiles diverses, en cristallisent les messages dissimulés. A la surface de leurs textures transparaissent comme les « Pages » d'anciens parchemins, d' « Archéographies » sans âge ou de « Partitions » internes où glisse et s’enchevêtre un foisonnement de graphèmes sauvages.

Renouvelant l'esprit d' « Aouchem », Zoubir Hellal (1952), l’un des animateurs, avec Karim Sergoua (1960), du récent groupe « Essebaghine » (Les Peintres), Mokhtar Djaafer (1953) dont les oeuvres s'inscrivent aux carrefours de la gravure et de la peinture, Arezki Larbi (1955) dans ses « pyrogrammes » des années 1980 ou ses toiles ultérieures intensément colorées, Mohand [Abderrahmane Ould Mohand] (1960) libérant par rafales ou vagues lentes les innombrables espèces du Signe, seraient encore représentatifs de cette tendance. Abdelwahab Mokrani (1956), dans ses visages et ses corps noyés dans la matière, et Djilali Kadid (1946) poursuivent par contre des itinéraires plus expressionnistes.

Parmi tout un ensemble de plus jeunes peintres, qui intègrent régulièrement dans leurs oeuvres l'évocation de la graphie berbère, s’imposent particulièrement les féeries colorées de Slimane [Slimane Ould Mohand]] (1966) qui mêle visages féminins, silhouettes de théières et de cruches, de chats, ânes ou oiseaux, réduites à leurs filigranes. Cheminant différemment vers ses origines, Philippe Amrouche (1966) fait renaître à leur devenir, sous des lumières de sables ou d'argiles rouges, les points et triangles de l'immémorial damier déposé sur les poteries kabyles. Mêlant les goudrons, les poudres, les encres et les vernis, incorporant les matériaux les plus divers, pratiquant les collages, ayant aujourd'hui recours aux installations et aux performances, bon nombre de ces artistes travaillent non seulement sur la toile, qu’ils préfèrent fréquemment libre de tout châssis, mais aussi sur le bois, le carton et d’autres supports plus insolites, étendant leur création à d'autres formes que la peinture de chevalet. Ainsi des « Fenêtres » ou rideaux saturés de Raouf Brahmia (1965) sur lesquels se pressent les vestiges des choses et des images, ou des planches à laver, valises, éléments d’appareils ménagers, plateaux et tronçons de poutres que transfigure Kamel Yahiaoui (1966).

Au bord de cette extension de la peinture hors de son espace traditionnel, la sculpture est notamment représentée par Mohamed Demagh (1930), Mohand Amara (1952) et Rachid Khimoune (1953), l’un des artistes majeurs d’une génération nouvelle née en France. Moulant les pavés, dalles et grilles des chaussées et des trottoirs, il en détache au long des villes des empreintes qui, recomposées, deviennent hommes, femmes, « Enfants du monde », « Guerriers » déferlant de lointaines époques, « Tortues » ou « Poissons », tandis que s’éveille la faune des fossiles qui sommeillaient dans les squelettes récupérés des machines abandonnées.

Perspectives

Les artistes algériens ont ainsi en un demi-siècle intégré fortement leurs voix aux dialogues des expressions contemporaines. Bien souvent les aînés sont passés plus ou moins longuement par Paris, certains s’y sont installés. Ayant d’abord exposé en Algérie quand, au début des années 80, sur la fin des « années de plomb », s’ouvrent de nouveaux lieux culturels et les premières galeries indépendantes, notamment l’active Galerie Issiakhem-Isma d’Alger animée par Mustapha Orif, plusieurs des peintres des générations suivantes les rejoignent, présentés au Centre Culturel Algérien, dans maints lieux associatifs et quelques galeries à Paris, en banlieue et en province. Sous l’impulsion de Lucette Albaret, l’ADEIAO entreprend de mieux faire connaître les « Expressions multiples » de l’Algérie, réunissant en 1987 Baya, Issiakhem et Khadda, organisant encore un « Hommage à Baya » lors de sa disparition, exposant Tibouchi, Koraïchi, ou plus récemment , Khadda, Guermaz et Aksouh.

En 1993 le poète et romancier Tahar Djaout, symbole de la résistance intellectuelle à l'intégrisme, qui avait accompagné de ses articles et préfaces les parcours, notamment, de Baya, Khadda, Mesli, Martinez, Tibouchi, Djaafer, Mohand ou Khimoune, était assassiné. Les poètes Laadi Flici et Youcef Sebti, le dramaturge Abdelkader Alloula, le directeur de l'Ecole des Beau-Arts d'Alger, Ahmed Asselah, devaient, parmi tant d'autres victimes, partager son sort. De nombreux peintres furent alors, sous la menace, contraints de se réfugier en France. D’autres, à travers les « années de sang », demeurèrent dans le risque, tentant de maintenir, aujourd'hui de ranimer, une vie culturelle dévastée. De part et d’autre de la Méditerranée ils ont tous opposé au cauchemar meurtrier du fanatisme le vrai visage de l'Algérie créative.

Baya

Baya (Mahieddine), (Fatma Haddad, épouse Mahieddine), est une peintre algérienne d'origine kabyle née en 1931 et décédée en 1998 qui ne signa jamais ses oeuvres que de son seul prénom.

Orpheline de ses deux parents, elle est recueillie par sa grand-mère qu'elle aide dans son travail dans une ferme de colons (horticulture). En 1943 Marguerite Caminat, sœur de la propriétaire, la prend chez elle à Alger pour rendre des services ménagers dans une maison dont l'éblouissent les fleurs et les oiseaux.

Baya commence alors à modeler des personnages ou des animaux fantastiques en argile et elle est encouragée à réaliser des gouaches que le sculpteur Jean Peyrissac montre à Aimé Maeght, de passage à Alger.

Une exposition, dont André Breton préface le catalogue, est en 1947 organisée à Paris par Maeght dans sa galerie. Elle connaît un vif succès. "On s'extasie sur la spontanéité primitive de cet art, on découvre avec un émerveillement non exempt de paternalisme, l'expression naïve à l'état brut, vierge, sauvage enfin", analysera Mohammed Khadda. Le magazine Vogue publie la photo de Baya, qui n'a alors que seize ans, avec un article d'Edmonde Charles-Roux. Baya découvre Paris, rencontre Braque. L'année suivante elle réalise à Vallauris des sculptures en céramique à l'atelier Madoura et côtoie Picasso.

Mais remise à son tuteur, elle se trouve en 1953 mariée traditionnellement, comme seconde épouse, au musicien "arabo-andalou" El Hadj Mahfoud Mahieddine, d'une trentaine d'années plus âgé qu'elle. "Passé le bal irréel de Cendrillon", comme l'écrit François Pouillon, Baya demeure durant dix ans dans l'impossibilité de poursuivre son travail.

En 1963 le Musée d'Alger acquiert et expose ses œuvres anciennes. Sur l'amicale incitation de Mireille et Jean de Maisonseul, conservateur du Musée, elle reprend ses pinceaux et ne cessera plus de réaliser sur papier de grandes œuvres qui seront par la suite régulièrement exposées en Algérie, en France et dans le Monde Arabe.

Plusieurs d'entre elles sont conservées dans la collection de l'Art Brut de Lausanne.

Baya meurt le 9 novembre 1998 à Blida.

L'œuvre

Dans ses gouaches, autour du rose indien, du bleu turquoise, des émeraudes et violets profonds, un trait épuré, en marge de toute géométrie figée, vient cerner sans hésitation ni repentir les silhouettes et les coiffes de "Hautes Dames", figures de la Mère énigmatique, les motifs qui recouvrent leurs robes, ceintures et foulards. Dans des compositions qui ne cessent de jouer sur de fausses symétries, l'image se referme rigoureusement, à travers l'équilibre des espaces et des tons, le dialogue sans fin des arabesques, sur un espace autonome, résolument irréalisé. Baya construit un univers clos, exclusivement féminin, tout à la fois reclus et souverain.

Les objets qui entourent ces "Dames" se détachent, sans nulle ombre, disposés les uns au-dessus des autres sur les différents registres d'un unique plan dans une vision qui refuse toute perspective illusionniste. Dès les premières gouaches de Baya apparaissent vases et cruches, bouquets et fruits. Deux décennies plus tard compotiers et coupes, au delà des pastèques et raisins, débordent d'une multitude de fruits et poissons indistincts. Posées sur tables ou étagères, lampes et lanternes les accompagnent, et de nombreux instruments de musique, violes et violons, cythares et mandores, luths, lyres et harpes.

Quand ses gouaches s'aventurent hors de l'intimité des intérieurs, émergent des îles, cernées de poissons, peuplées de huttes serrées les unes contre les autres et d'arbres où veillent de nombreux oiseaux. L'exubérance de la forme et l'intensité de la couleur y font remonter, notait le romancier Jean Pélégri "à un temps antérieur à l'apparition de l'homme, où les choses et les créatures étaient encore incertaines et encore mêlées, où les arbres poussaient sous les eaux, où les poissons, avant de parvenir à leur état, habitaient les racines des plantes et montaient dans leurs tiges".
Jugements

"Je parle, non comme tant d'autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d'un âge d'émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent et dont un des principaux leviers soit pour l'homme l'imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature.(...) Baya dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots nostalgiques:'l'Arabie heureuse'. Baya, qui tient et ranime le 'rameau d'or'."
André Breton, Baya, 1947

"Baya est la sœur de Schéhérazade. Schéhérazade, la tisserande des mots qui éloignent la mort. Schéhérazade, cette autre femme qui fabule pour compenser sa réclusion. Nous voici donc dans le conte, avec ses univers merveilleux (titre d’une œuvre de 1968). Baya abroge les formes, les classifications et les dimensions : l’oiseau s’étire et devient serpent, arbres et cahutes poussent de guingois, les vases se ramifient, deviennent arborescents comme des queues ou des huppes d’oiseaux. Dans cette sorte de village des origines où cases, arbres et oiseaux sont emmêlés, les paysages et objets baignent dans l’informulé et la liberté du monde placentaire. Aucun centre de gravité n’est admis. Tout l’effort de l’artiste est tendu vers la recherche d’une sorte d’harmonie prénatale que la découverte du monde normé, balisé, anguleux nous a fait perdre.

M'hamed Issiakhem (1928-1985) est l'un des fondateurs de la peinture moderne en Algérie.

M'hamed Issiakhem naît le 17 juin 1928 au Douar Djennad (Azeffoun) en Grande Kabylie. A partir de 1931 il passe son enfance à Relizane. En 1943 il manipule une grenade, volée dans un camp militaire, qui explose. Deux de ses sœurs et un neveu meurent. Hospitalisé pendant deux ans, il est amputé du bras gauche. De 1947 à 1951 il est à Alger élève de la Société des Beaux-Arts puis de l’Ecole des Beaux-Arts et suit les cours du miniaturiste Omar Racim. En 1951 il rencontre Kateb Yacine. De 1953 à 1958 il fréquente Ecole des Beaux-Arts de Paris où il retrouve Kateb Yacine - les deux artistes demeureront inséparables. En 1958 Issiakhem quitte la France pour séjourner en RFA puis résider en RDA.

En 1962, boursier de la Casa Vélasquez de Madrid, Issiakhem rentre en Algérie. Il est alors dessinateur au quotidien Alger Républicain. En 1963 il est membre fondateur de l’Union Nationale des Arts Plastiques, de 1964 à 1966 chef d’atelier de peinture à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger puis directeur pédagogique de l’Ecole des Beaux-Arts d’Oran. Il illustre alors plusieurs œuvres de Kateb Yacine. De 1965 à 1982 il crée les maquettes des billets de banque et de nombreux timbres-poste algériens. En 1967 il réalise avec Kateb Yacine un film pour la télévision, Poussières de juillet, en 1968 les décors du film La voie, de Slim Riad. En 1971 Issiakhem est professeur d’art graphique à l’Ecole Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme d’Alger et crée les décors pour le film Novembre. Il voyage en 1972 au Viêt Nam et reçoit en 1973 une médaille d’or à la Foire Internationale d’Alger pour la décoration du stand du Ministère du Travail et des Affaires sociales.

De 1973 à 1978 Issiakhem est dessinateur de presse. Il dirige en 1977 la réalisation d’une fresque pour l’aéroport d’Alger. Le Ministère du Travail et des Affaires sociales publie à Alger une plaquette dont Kateb Yacine écrit la préface sous le titre Issiakhem, Œil-de-lynx et les américains, trente-cinq années de l’enfer d’un peintre. En 1978 Issiakhem séjourne quelques mois à Moscou et reçoit en 1980 le Premier Simba d’Or (Lion d’Or) de Rome, distinction de l’UNESCO pour l’art africain. Il meurt le 1er décembre 1985 à la suite d’une longue maladie.

Denis Martinez, peintre né en Algérie en 1941, a choisi d'y demeurer après l'Indépendance. Contraint à l'exil en 1994 il vit et travaille depuis à Marseille.

Sommaire
1 Biographie
2 L'oeuvre
3 Bibliographie
4 Lien interne


Biographie

Denis Martinez naît le 30 novembre 1941 à Mars-El-Hadjadj (Béthioua) en Oranie. Il dessine depuis l’enfance les paysages et les scènes de la campagne oranaise. De 1957 à 1962 il vit à Blida où son père, peintre en bâtiment, est devenu facteur. Il suit l’enseignement de l’Ecole des Beaux-Arts à Alger puis à Paris. A partir de 1963 il est professeur à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger, où son enseignement exerce une influence durable sur plusieurs générations d'artistes, et participe aux premières expositions organisées après l’Indépendance à Alger et à Paris, puis à la plupart des expositions collectives de peinture algérienne en Algérie et à l’étranger. Il présente en 1964 sa première exposition personnelle à Alger, préfacée par Jean Sénac.

Denis Martinez est l’un des fondateurs du groupe Aouchem. (Tatouage) qui expose en 1967, 1968 et 1971. Rassemblant une dizaine d'artistes, peintres et poètes, il s'oppose aux imageries jugées démagogiques que présente la galerie officielle de l’Union Nationale des Arts plastiques, fondée en 1963 mais dont la plupart des peintres actifs ont été exclus. « Aouchem est né il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. Il a poursuivi son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'Histoire. (...) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes », déclare leur « Manifeste ». En dépit des violences, certaines traditions plastiques ont réussi à se maintenir dans les gestes qui modèlent et peignent l’argile, tissent la laine, décorent les murs, gravent le bois ou le métal : c’est sur ces survivances qu’« Aouchem » veut s’appuyer.

Denis Martinez reçoit en 1975 le Grand Prix de Peinture de la Ville d’Alger. En 1973 et 1976 il participe à la réalisation de deux peintures murales collectives pour le village de Maamora (Saïda) et pour les travailleurs du Port d'Alger. Une rétrospective de sa peinture est présentée au Musée d'Alger en 1985. Il crée en 1986 une fontaine-monument en céramique à Blida et organise de 1986 à 1992 avec ses étudiants des interventions ou actions, à Blida (Les dernières paroles d'un mur), à la base pétrolière d'In Amenas et en Kabylie (Aïn-el-Hammam, Maâtkas).

En 1994 Denis Martinez quitte l'Algérie et devient en 1995 enseignant à l’Ecole des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. Il participe en 1998 à Peintres du Signe (Fête de l’Humanité; La Courneuve, exposition itinérante). En 2000 et 2001 il crée les éléments et la mise en scène d'une procession de 7 Aghanjas pour la Paix à Forcalquier et [Loriol], en 2002 une performance en plusieurs lieux, Fenêtre du vent [7 séquences, Timimoun, Ecole des Beaux-Arts (Alger), Maison de la Poésie (Saint-Martin d'Hères), Clos Maria (Aix-en-Provence), La Bérangère (Drôme), La Robin, Lombez (Gers), Association culturelle berbère (Paris)]. Participant en 2003 à l'exposition Le vingtième siècle dans l'art algérien, (Château Borély, Marseille; Orangerie du Sénat, Paris), il expose à Pau, Désorientalisme au Musée des Beaux-Arts et Dessins sur le sable et sur les murs (installation) à l'Ecole Supérieure des Arts et de la communication, ainsi qu'à Marseille.

Denis Martinez a publié plusieurs plaquettes de poèmes (Cinq dans tes yeux (collectif) 1977 ; Non je ne veux pas dire, 1977 ; Il est bien inutile, 1978 ; C’est peut-être comme ça, 1988) et de dessins (Ihelleouen, avec une introduction de Dominique Devigne, 1991). Il a illustré plusieurs recueils de Abdelhamid Laghouati (Où est passé le grand troupeau ?, 1988; Gerçures, 1994; Errances), des anthologies (Bouches d’incendie, poèmes de Hamid Tibouchi, A. Laghouati, Tahar Djaout, Messaour Boulanouar, O. Azredj et A. Hamdi, 1983 ; L’Algérie au cœur, 1994 ; Visages et silences d’Algérie, 1997) et des ouvrages autour de Jean Sénac.
L'oeuvre

C’est peut-être son caractère résolument « primitif » qui définirait le mieux le travail de Denis Martinez. Non qu’il exécute ses peintures sous le seul coup, pour lui demeurer fidèle, d'une impulsion première. Le Journal de bord tenu par le peintre en 1982 tout au long de la réalisation d’une de ses œuvres, et publié en 1985 dans le catalogue de sa rétrospective au Musée d'Alger, manifeste combien la patience et la distance critique se conjuguent chez lui à la spontanéité et au besoin sensible d’agir sur sa toile. Il ne s’agit pas non plus avec Martinez d’une création brute, se développant à l’écart, dans l’ignorance de l’art du passé comme des tentatives modernes. Son œuvre repose tout au contraire sur une connaissance approfondie de l’art maghrébin depuis ses plus lointaines sources, en une imprégnation qui est à la fois exploration et métamorphose active.

« Primitif » signifierait plutôt la volonté constante de Martinez de briser les limites traditionnelles de la peinture. Ce souci a pris par vagues successives des formes variées. La première est celle de ses reliefs peints exposés en 1964. La découverte que fait en 1961 Martinez des recherches du marocain Cherkaoui après celles de Siquieros, dès les années 1920, au Mexique lui fait prendre conscience du conditionnement qu’il a subi, l’oriente vers la culture africaine et la symbolique plastique de l’art populaire maghrébin. Il commence d'en interroger la dimension rituelle, existentielle et entreprend de revenir à ses sources pré-coloniales comme les mexicains l’avaient fait, en-deçà du classicisme espagnol, à leurs origines précolombiennes. Les reliefs qu’il réalise à partir de 1963, assemblant et peignant, transfigurant les matériaux les plus hétéroclites, ne sont donc pas sans présenter quelque parenté avec les totems, fétiches et nouets.

Ces préoccupations se cristallisent sous le signe de l’anticonformisme, en réaction contre les pièges de l’orientalisme et d’un réalisme socialiste menaçant, dans l’esprit du groupe Aouchem (Tatouage). Première introduction de l’écrit dans son travail, Martinez intègre alors à la composition de ses reliefs puis de ses toiles des inscriptions manuscrites en arabe dialectal ou en français, slogans poétiques qui prennent le contre-pied de tout discours démagogique. Tandis que, dans les années 1970, la couleur gagne en intensité et que s’aiguise le graphisme, monte au premier plan de ses toiles le visage chaque fois différent du personnage qui ne cessera plus de signer sa peinture.

Les regards aveugles que Martinez lui prête de toile en toile semble traverser le regard qui le rencontre et, dans un monde réduit à la faim, à l’angoisse, la honte et le mépris, poursuivre au-delà le monologue de la détresse (Misère et misère, L’enfant du dépotoir, 1975 ; Les martyrs du sous-développement, 1977. Le spectateur n’échappe pas au malaise : cette foule blessée, repliée sur sa douleur, il peut éprouver l'impression que c’est lui qu'elle dévisage et interpelle, sur le point de l’accuser de ce malheur dont il ne peut tout à fait ne pas être l’auteur. Peintre de la condition humaine, Martinez, dans son oeuvre inquiète et inquiétante, ne cherche pas d'abord à plaire, ne se détourne pas de L’homme piétiné (1977), n’impose pas d’emblée des réponses, met plutôt sur le chemin des questions.

A partir de 1978 le climat de sa peinture se modifie : un nouvel élément plastique y surgit et la domine. Après un voyage en Andalousie, aux sources de l’art hispano-maghrébin, lettres et bribes de la calligraphie arabe, en une nouvelle tentative d’intégration de l’écrit, accompagnent les visages, les construisent et les expriment (Douloureuse identification, 1979; L’alphabet du cri, 1981). Dans des mises en pages tressant des motifs qui s’inspirent des tissus et des céramiques, c’est dans une fenêtre de la toile qu’apparaît par la suite l'omniprésent personnage (Okda, 1985).

En 1986 Martinez en revient aux reliefs et réalise des toiles découpées qu’il réunit sous le titre de Je prend, je donne, j’envoie, je reçois. S’y multiplient les flèches graphiques qui expriment les mouvements et relations du personnage, à travers une géométrie fine de points et de lignes brisées qui évoquent les signes du soleil, des étoiles et de tout un bestiaire populaire d’abeilles et de grenouilles, de serpents et de tortues. Ces signes, en 1989, s’inscrivent dans les rythmes de l’espace des maisons berbères, où le personnage semble pénétrer (M’Kharbech Be Niya Safia cherche lieux humains). Avec les dessins (marchem) qu’il commence à pratiquer sur le modèle des tracés divinatoires, dans le sable, de l’extrême Sud, Martinez, conjuguant peinture et géomancie, signes tifinagh et motifs berbères, déploie d’un seul et même trait une faune exubérante, où le lézard devient son propre totem.

Les processions qu'il organise en 1992 en Kabylie, plus tard en France pour implorer non pas de façon traditionnelle la pluie mais plus politiquement la paix dans une Algérie en proie au terrorisme de l'intégrisme, et ses dessins sur sable et murs, avec le concours de poètes et de musiciens, constituent un aboutissement, entre performance et installation, de sa volonté d'ouvrir son art à un autre retentissement, une autre implication que la distante contemplation. Il semblerait qu'une fois encore Denis Martinez cherche à détourner, redresser l'itinéraire de la peinture, à la délivrer d’une tradition unique, à en greffer les moyens sur une magie nouvelle, une autre vocation, plus vitale, dont nulle époque du passé ne propose précisément le modèle.

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