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19 septembre 2007 3 19 /09 /septembre /2007 00:00

MABROUK BELHOCINE. AVOCAT, MILITANT DU MOUVEMENT NATIONAL Berbériste, progressiste ou visionnaire ? Le plus coupable n’est pas celui qui fait le mal, mais celui qui voit le mal et n’agit pas.Berbériste, pas berbériste ? Ainsi posée, la question lui paraît dérisoire, à la limite superflue, au regard des arrière-pensées qu’elle véhicule depuis plus d’un demi-siècle. Séparatiste ? Sécessionniste ? Régionaliste ? Plus on lui collait des étiquettes, plus on pensait l’enfoncer. Mais de ces attaques, Mabrouk n’en avait cure car, assure-t-il, « rien de tout cela n’est vrai ». Hier comme aujourd’hui, Belhocine assume pleinement son combat pour l’identité culturelle et ce ne sont certainement pas ceux qui s’ingénient à écrire l’histoire avec une gomme qui lui feront barrage. Si Mabrouk répond avec calme à la question : « J’étais nationaliste algérien et non pas berbériste. Enfant de la Soummam, j’ai fait mes études à Sétif et à l’Ecole normale avec des camarades arabophones. Cela dit, je revendique mon identité berbère qui était occultée. Sachez que le problème de la nation algérienne n’a pas été débattu. Il n’y a pas eu de réflexion sur la nation et le nationalisme. On a pris le contre-pied de la doctrine colonialiste. Algérie française - Algérie arabe. Des étiquettes et des slogans, voilà tout », constate-t-il en précisant « qu’on n’a pas dissous notre personnalité, notre identité amazighe. On n’a jamais signé un renoncement, c’est cette position qui dérangeait à l’époque. » Mabrouk est né en 1921 dans le grand douar des Beni Oughlis du côté de Sidi Aïch où il fait ses classes à l’école du Marché. Après son certificat d’études, en 1934, il rejoint le collège de Sétif où il réussit l’examen d’entrée à l’Ecole normale. En 1939, la revue Ifriqya de Sahli Cherif lui fait découvrir et apprécier Massinissa et Jugurtha, qui, à ses yeux, n’avaient pas eu leur place dans l’histoire algérienne. « Les Français ont fait de petits chefs de tribu des monuments et des montagnes, alors qu’un pan entier de notre culture n’avait pas droit de cité. De fait, j’étais animé par le désir de développer cet aspect culturel historique. » JUSTESSE DU COMBAT C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’il entre en politique, convaincu de la justesse de son combat nationaliste. « En 1946, raconte-t-il, je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe. Il y avait le groupe des 5 avec Aït Ahmed, Oussedik, Ould Hamouda, Aït Medri, Laïmèche qui avaient rejoint le maquis en 1945, avec Bennaï Ouali. Au départ, j’étais frustré par le fait que le parti mettait l’accent sur l’Algérie arabe et occultait l’autre dimension culturelle. On n’était pas contre, mais une année après, cela devenait un leitmotiv. Je m’expliquerai cette tendance par le fait que le PPA a récupéré le mot “algérien” alors qu’on était indigènes musulmans non naturalisés. En 1947, le MTLD, parti légal à vocation électorale, avait pour adversaire non pas l’administration coloniale, ennemi numéro un, mais les communistes et l’UDMA qui prônaient la république algérienne dans un cadre fédéraliste. Quant au PPA, il avait inventé cette notion d’Algérie arabe pour accéder à la Ligue des Etats arabes Le mémorandum adressé par le PPA à l’ONU, fin 1948, commençait par ces mots : “La nation algé rienne arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle.” Or, on m’a toujours appris à compter à partir de zéro. Cette overdose de terminologie nous a excédés », se rappelle si Mabrouk. « Fin 1948, Ould Hamouda, membre de l’OS, nous invite à rédiger un mémoire qu’il soumettrait au comité central, Henine, Hadjerès, Ali Yahia, Oubouzar et moi nous sommes mis à travailler sur un texte algérianiste qui n’avait rien de berbériste. Lorsque ce texte arrive à maturité, la crise du parti éclate en France. Pour nous, il fallait amener le parti à corriger sa doctrine et sa façon de voir la nation algérienne. » Mais la composante humaine de ce groupe issu d’une même région et défendant la même cause devenait suspecte. Pourquoi donc n’a-t-on pas inclu d’autres Algériens issus d’autres régions, ne serait-ce que pour écarter le spectre du séparatisme et de la division ? Si Mabrouk répond : « En réalité nous n’avons pas fermé les portes. Ce sont les “autres” qui n’ont pas voulu s’intégrer à nous. De toutes les manières, on n’a jamais dit Algérie berbère ! Les gens combattaient pour une rectification vers l’algérianité. » Dans les cafés, les événements étaient amplifiés jusqu’à la divagation. Cela a évidemment inquiété le parti qui a organisé un commando pour récupérer le local de la fédération à Paris. « Les putschistes avaient sorti un tract dénonçant les “Berbéristes”. Je vous assure que c’était la première fois que j’entendais ce mot. On est partis voir Messali pour lui dire que le cas était excessif. Il n’y avait qu’à appliquer le règlement intérieur pour ceux qui ont fauté. Messali n’a pas voulu nous entendre et Ould Hamouda arrêté, personne ne pouvait défendre notre cause au comité central. On s’est retrouvé dans une position de refondateurs. On publie notre brochure, on la diffuse, on continue notre combat jusqu’en avril 1950. Avant, avec Oubouzar, nous étions partis voir le Dr Debaghine à Saint -Arnaud (El Eulma) qui nous a dit texto : “Ils (le parti) vous ont jeté une peau de banane et vous avez glissé.” » Une crise latente Au PPA-MTLD, ce n’était pas la vie en rose. Depuis le retour de Messali, c’est la crise latente. Le zaïm propose la création d’un parti légal pour aller aux élections. Cette option avait déplu aux cadres du parti. La fracture est consommée. Le parti a saisi l’occasion pour faire une épuration. Tous les partisans du Dr Debaghine étaient mis hors jeu. De cette période tourmentée qui marque sa jeune carrière politique, Si Mabrouk n’y voit pas que des choses négatives. « Il faut revoir avec un nouvel œil l’action de cette première classe politique. Le meilleur exemple, c’est Ben Badis qui a su distinguer entre la nationalité culturelle et la nationalité juridique. C’est un réel plaisir de voir tant de finesse, tant de pertinence dans la bouche d’un théologien qui est un homme politique d’une grande clairvoyance. D’ ailleurs, c’est sur ce thème que s’est réuni le congrès musulman de 1936 ou, à côté des ulémas, se trouvaient les Abbas, Bendjelloun, les communistes, les instituteurs francs-maçons, dont Tahrat, qui était naturalisé et qui a présidé le congrès ! » Pour l’anecdote, Si Mabrouk rappelle qu’ « il a utilisé la machine à écrire de l’armée, lorsqu’il était sous les drapeaux pour rédiger les statuts d’une association qui devait créer une médersa ». Pour celui qu’on appellera plus tard le « Berbériste », son premier acte concret, ça sera l’ouverture d’une mérdersa ! Au déclenchement de la guerre, Si Mabrouk rentre à Alger fin décembre 1954. Il avait hâte de réintégrer le mouvement national. Il crée une cellule à Bougie en 1955 qui a été démantelée une année après. Il rejoint la Fédération de France, sous l’autorité de Salah Louanchi. Puis ce sera la Tunisie, Le Caire, avant de retourner à Alger en 1962 en qualité de député. « J’étais plutôt observateur, le cœur n’y était pas. Disons que j’étais en réserve de la République. » Cela ne l’empêchera pas de figurer dans la mission de bons offices envoyée en Kabylie pour raisonner Aït Ahmed, qui a déclenché la fameuse crise de 1963. « Cela a été une véritable catastrophe. Aït Ahmed, qui reprochait en 1949 à Ali Yahia d’être impulsif et impatient, aggrave le cas et fait de même, sinon pire, en créant un parti régional qui sème la zizanie. Autant vous dire que face à l’entêtement de l’homme, notre mission a échoué. » Le portrait du président de l’OS est fait sans complaisance. « Je ne le connaissais que de nom. Lorsque j’ai prêté le serment d’avocat en juillet 1949, il a dû apprendre qu’un membre du groupe accédait au métier d’avocat et donc avait accès à la prison de Barberousse où se trouvaient ses camarades. Il m’a envoyé son futur beau-frère Toudert, qui m’a fait rencontrer Aït Ahmed, sur les collines qui surplombent l’église de Notre-Dame d’Afrique. Ses premiers mots : “Ouali a eu tort d’envoyer Rachid à Paris. C’est un jeune impulsif, impétueux et ambitieux.” Au début, j’avais beaucoup de sympathie pour lui. On était sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’algérianité. Puis un beau jour, il me raconte le coup de la poste d’Oran en insistant sur son échec. Sur le moment, j’ai écouté sans a priori, sans préjugés. C’est bien plus tard, que j’ai compris Aït Ahmed, qui me disait avoir pris les choses en main. C’était le culte du moi. Je l’ai revu plus tard une ou deux fois. J’avais connu un grand militant, un grand responsable. A l’indépendance, j’ai retrouvé une photocopie. » changer les choses Quant à sa rencontre avec Abane, elle a eu lieu en juin 1949 au moment où ça chauffait entre la direction du parti et le groupe des protestataires, la plupart intellectuels, mûs par la volonté de changer les choses. « Je ne le connaissais pas. On s’est croisé au square Bresson (Port Saïd). J’étais avec un groupe d’amis communs. Il nous a dit qu’il n’était pas d’accord avec les cadres de la Grande Kabylie, lui le dirigeant de la Petite. Puis, à propos de la question identitaire, soulevée par nous, il a axé son discours sur son caractère prématuré. “Ce n’est pas le moment”, a-t-il dit. » Moins élogieux sont les termes consacrés à Krim. « Un simple chef de secteur qui a saisi l’occasion d’émerger après la disgrâce d’Ould Hamouda. Suite au conflit avec Ali Ferhat, qui a failli passer après l’attentat dont il fut l’objet, nous avons demandé à Messali de muter Krim afin d’éviter toute vengeance. Mais rien n’a été fait. Pis encore, ceux qui avaient déjà élaboré un plan machiavélique d’épuration, ont investi Krim de la responsabilité de la Fédération. Comme ce n’est pas l’ambition qui lui manquait... » sa « meilleure plaidoirie » Après l’indépendance, si Mabrouk se tient à l’écart de la politique, se limitant à son étude d’avocat. Son métier, il l’assume avec tout le sérieux et la droiture qu’on lui connaît. En évoquant cette période, il ne s’empêche pas de citer « sa meilleure plaidoirie » en 50 ans de carrière uniquement en arabe SVP ! C’était lors du procès des étudiants kabyles, ou berbéristes c’est selon, de la Fac centrale qui étaient opposés aux « baâthistes » « Le procureur avait cité un article du Monde qui faisait allusion au berbérisme utilisé par le colonialisme. Mais, me suis-je écrié : “C’est de bonne guerre que le colonialisme utilise tous les moyens pour asseoir sa domination. Mais a-t-il réussi ? S’il l’a fait avec succès au Liban, en Syrie et ailleurs, il a lamentablement échoué chez nous... A mon sens les plus coupables, ce sont les directions dogmatiques fermées qui ne comprennent pas les aspirations démocratiques des masses.” » Me Belhocine a été de nouveau mis sous les projecteurs à l’occasion de la mise sur pied de la commission chargée d’enquêter sur la mort de Boudiaf, dont il a fait partie. « Nous avons identifié l’auteur matériel du crime, mais nous n’avons pas trouvé de commanditaires. On ne va pas en inventer pour faire plaisir à l’opinion publique. » Enfin, un demi-siècle après, quel est le sentiment de l’homme qui a bataillé pour une cause, aujourd’hui reconnue ? « Tamzight reconnue langue nationale, cela doit suffire car la langue officielle est une langue “artificielle” que les gouvernants choisissent pour communiquer administrativement. Aujourd’hui, il ne faudrait pas trouver des prétextes pour empêcher la roue algérienne de tourner. Il faudrait que les cadres et les militants retournent à la sagesse. Car hélas ! on a continué à faire de la surenchère. Plus berbériste que moi tu meurs ! Je reproche aux cadres de la Kabylie, surtout à ceux du MCB, de n’avoir pas renvoyé l’ascenseur au président Zeroual, qui a introduit l’amazighité comme un des volets de la personnalité algérienne au même titre que l’arabité et l’islamité. De même, j’ai constaté avec amertume que les députés FFS et RCD n’avaient pas assisté aux débats qui ont abouti à cette reconnaissance. Il y avait là une occasion unique de faire de cette journée celle de l’Algérie unie, mais hélas ! chaque fois qu’on satisfait une revendication, on en sort une autre... » Berbériste, Me Belhocine ? Manifestement non. Progressiste et visionnaire sûrement. Hamid Tahri

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19 septembre 2007 3 19 /09 /septembre /2007 00:00

Massinissa
 
Portrait du roi Massinissa. Son nom berbère est écrit dessous en tifinagh et en latin. (MASNSEN)

Massinissa roi de Cirta actuellement Constantine en Algérie (MSNSN-Massinissan, sur les inscriptions bilingues de Cirta, appelé par les auteurs latins Massinissa), est le premier roi de la Numidie unifiée.

Fils du roi (agellid en berbère) Gaïa (G.Y.Y, inscription punique), fils du Suffète Zelalsan, fils d'Ilès.Il naquit vers 238 av. JC. dans la tribu des Massyles (Mis Ilès). Il mourut début janvier 148 av.JC.

Massinissa, sans l'aide romaine, oeuvra durant toute son existence à la récupération des territoires annexés par Carthage depuis son établissement en Afrique.Sommaire [masquer]
1 Jeunesse dans la Deuxième Guerre punique
2 Accession au trône
2.1 Usurpation
2.2 Luttes
2.3 Récupération
3 Intervention romaine en Afrique
4 Guerre contre Hannibal
5 Le personnage et l'œuvre
6 Postérité
7 Source
8 Voir aussi


Jeunesse dans la Deuxième Guerre punique

Rome et Carthage s'affrontaient en Espagne durant la Deuxième Guerre punique.

Rome cherchait à se faire des alliés en Afrique du Nord. Syphax, roi des Massaessyles en Numidie occidentale dont la capitale est Siga actuellement Ain Temouchent en Algérie , cherchait à annexer les territoires de la Numidie orientale, dirigée par Gaïa, roi des Massyles.

C'est ainsi que Syphax accepta trois centuries romaines et se tourna contre Carthage. Carthage vint en aide à Gaïa, en échange de cinq mille cavaliers numides sous le commandement du jeune Massinissa, âgé de vingt-cinq ans, à partir de 212 ou 211 avant J.C. Massinissa rejoignit les troupes carthaginoises en Espagne jusqu'à l'automne 206 av. J.-C. Il remporta une victoire décisive contre Syphax, et mena avec succès une campagne guérilla contre les Romains en Ibérie.

Les Carthaginois, battus à Ilipa, finirent par perdre leurs possessions en Méditerranée. Le général romain Scipion, qui commandait l'armée en Espagne, songeait à porter la guerre en Afrique et s'assurer le soutien des royaumes numides. Il gagna l'amitié de Massinissa à partir de 206 av. J.-C., avec lequel il avait passé un accord en secret, puis il se rendit en Afrique pour tenter de convaincre Syphax de rester dans l'alliance. Mais le roi massaessyle, ayant eu vent de l'accord avec Massinissa, s'était déjà rapproché de Carthage.

Accession au trône
 
Massinissa.

A la mort de Gaïa (206 av. J.C. ), son frère Oezalces (Oulzacen) lui succède. Marié à une carthaginoise nièce d'Hannibal, il bénéficie de l'appui des carthaginois contre ses voisins et ses vassaux turbulents. Mais Oezalces meurt et Capussa monte sur le trône.

Capussa est immédiatement contesté par Meztul son cousin, issu de la fraction rivale à la branche régnante. Meztul obtient des armes et des renforts de Syphax, s'attaque aux forces de Capussa. Le combat entre les deux clans donna la victoire à Meztul. Capussa mourut en pleine bataille, et Meztul s'empara du pouvoir pour placer sur le trône Lacumazes, alors que, selon la tradition, le trône revenait à Massinissa.

Carthage approuvant cette usurpation, scella alliance avec Meztul et lui donna pour épouse la veuve de Oezalces.

Luttes

Massinissa apprit ces évènements alors qu'il était en Espagne, il décida de quitter Gadès pour la Maurétanie (-206), et craignant les représailles de Syphax, allié de son cousin, il demanda l'aide de Baga, roi des Maures. Celui-ci lui offrit une escorte de 4.000 hommes qui l'accompagna jusqu'aux limites de ses terres.

Après avoir rassemblé 500 cavaliers parmi les siens et les fidèles partisans de la famille, il s'attaqua à ses adversaires.

Lacumazes, qui s'apprêtait à quitter Thapsus (actuelle Skikda en Algérie, siège de son gouvernement pour se rendre à Cirta (actuelle "Constantine" Algérie) afin de présenter ses hommages à Syphax, fut attaqué par Massinissa dans un défilé non loin de la ville, vaincu dans cette embuscade, Lacumazes parvint néanmoins à prendre la fuite et à rejoindre Cirta.

Cette victoire valut à Massinissa un afflux de partisans qui lui permirent de consolider sa position.

Lacumazes et Maztul rassemblèrent des hommes de leur clan, obtinrent l'aide de Syphax et revinrent à la charge avec 15.000 fantassins et 10.000 cavaliers. Malgré un nombre d'hommes bien moindre, Massinissa est encore victorieux et leur inflige une dure défaite. Battus et abandonnés par les leurs, Lacumazes et Meztul se réfugient à Carthage cette fois, chez leurs beaux-parents.

Alors Massinissa occupa Thapsus, qui devint la capitale des Massyles. Afin de consolider son pouvoir, il mena une lutte efficace contre Carthage et prôna l'union de tous les Numides. A Lacumazes et Meztul il offrit de leur rendre leur bien et la considération due à leur rang s'ils revenaient dans leur patrie. Ceux-ci rassurés quant à la sincérité de leur cousin, quittèrent Carthage et le rejoignirent.

Ce regroupement des forces numides inquiéta les suffètes qui dépêchèrent alors Asdrubal auprès de Syphax et le persuader du danger que représentait désormais un tel voisin. Syphax, prétexta alors une vieille querelle concernant des territoires qu'il avait autrefois disputé à Gaïa pour attaquer Massinissa et le contraindre à épuiser ses faibles moyens. Massinissa accepta le combat, son armée fut mise en déroute et Syphax s'appropria alors partie du royaume Massyles.

Massinissa, réfugié dans les montagnes, avec une poignée de fidèles, connut une vie de proscrit. Il ne continua pas moins à harceler ses ennemis par des raids organisés contre les campagnes carthaginoises et les hommes de Syphax ne réussirent pas à venir à bout de lui.

L'insécurité qu'il fit peser sur les colons et sa popularité grandissante en Numidie inquiétèrent une fois de plus les suffètes carthaginois. Des expéditions contre Massinissa furent envoyées, on le crut mort. Mais une fois ses plaies cicatrisées Massinissa revenait à la charge et marchait une fois de plus contre Syphax.

Peu à peu, ses compatriotes le reconnurent, lui adressèrent leur allégeance et lui offrirent les moyens dont il manquait.

Récupération

Son royaume récupéré, Massinissa s'attaqua alors aux territoires voisins. Les colons carthaginois, pour se défendre se lièrent avec les Massaesyles et rassemblèrent une grande armée contre les Massyles. Syphax était à la tête d'un vaste royaume et sa guerre contre Massinissa ne lui procura que plus de prestige encore. Satisfait de sa victoire qui ne sera guerre éternelle, Syphax accorde en dot au mariage de la belle Sophonisba, les territoires qu'il avait usurpé à Gaïa. Tout cela se déroula moins d'un an après le retour d'ESpagne de Massinissa en 205 av. J.C.

Intervention romaine en Afrique

Scipion, décidé à en finir, avec Carthage, débarqua en Afrique. Le rusé Romain essaya une nouvelle fois, d'attirer Syphax jetant de nouveau l'alliance proposée, il se tourna de nouveau vers Massinissa, Les premiers combats tournèrent en faveur des deux alliés. Ces derniers, encouragés par leurs succès, s'attaquèrent à Uttique, place forte carthaginoise, mais l'intervention de Syphax, les obligea à se retirer. Ils prirent leurs quartiers d'hiver et Scipion, en cachette de Massinissa, entra de nouveau en contact avec Syphax. Faute de le détacher des Carthaginois, il lui demanda de proposer une solution pour mettre fin au conflit entre Rome et Carthage. Syphax proposa que les Carthaginois évacuent l'Italie, où ils sont en campagne, en échange les Romains quitteraient l'Afrique. Si le général Asdrubal, qui commandait les Carthaginois accepta l'offre, Scipion, qui voulait en fait la reddition pure et simple de la Cité punique, la rejeta.

Massinissa et Scipion reprirent leurs attaques, obligeant cette fois-ci les troupes puniques à se replier sur Carthage. Syphax, lui, ne voulant pas perdre plus d'hommes, se retira dans son royaume. Les Carthaginois, comprenant que les Romains ne leur laisseraient pas de répit, décidèrent, après avoir adopté une attitude défensive, de passer à l'offensive. Ils levèrent une forte armée qui, rejointe par Syphax, donna l'assaut. Ce fut la bataille des Grandes Plaines (avril 203 avant J.C)) qui s'acheva par la victoire des forces coalisées de Massinissa et de Scipion. Il y eut un répit au cours duquel chaque camp reconstitua ses troupes, puis la guerre reprit. Un combat s'engagea entre Massinissa et Syphax, et ce dernier, entouré par de nombreux soldats, était sur le point de l'emporter, quand l'armée romaine intervint. Jeté à terre, Syphax fut arrêté. On l'enchaîna et on le conduisit sous les murs de Cirta qui, voyant son roi en piteux état, décida de se rendre. Massinissa, après plusieurs années d'errance, put ainsi reprendre le royaume de ses pères. Carthage, vaincue, fut obligée de signer une paix qui la priva d'une grande partie de ses territoires et de sa flotte. Le retour de Hannibal, qui avait mis fin à la campagne d'Italie, souleva les espoirs de la Cité. Un incident rompit bientôt la paix et la guerre reprit.

Guerre contre Hannibal

Hannibal s'allia à Vermina, le fils et successeur de Syphax et, ensemble, ils envahirent le royaume des Massyles. Massinissa et Scipion les rejoignirent à Zama (l'actuelle Souk-Ahras, en Algérie) et une grande bataille s'engagea (202 avant J.C). Le choc fut rude et il y eut des pertes des deux côtés, puis la bataille tourna à l'avantage de Massinissa et de Scipion. L'historien latin Tite-Live fait un récit très imagé de cette bataille :

« Un combat singulier s'engage entre Massinissa et Hannibal. Hannibal pare un javelot avec son bouclier et abat le cheval de son adversaire. Massinissa se relève et, à pied, s'élance vers Hannibal, à travers une grêle de traits, qu'il reçoit sur son bouclier en peau d'éléphant. Il arrache un des javelots et vise Hannibal qu'il manque encore. Pendant qu'il en arrache un autre, il est blessé au bras et se retire un peu à l'écart... Sa blessure bandée, il revient dans la mêlée, sur un autre cheval. La lutte reprend avec un nouvel acharnement, car les soldats sont excités par la présence de leurs chefs. Hannibal voit ses soldats fléchir peu à peu, certains s'éloignent du champ de bataille pour panser leurs blessures, d'autres se retirent définitivement. Il se porte partout, encourage ses hommes, abat par-ci, par-là ses adversaires, mais ses efforts demeurent vains. Désespéré, il ne pense qu'à sauver les restes de son armée. Il s'élance en avant, entouré de quelques cavaliers, se fraie, chemin et quitte le champ de bataille. Massinissa qui l'aperçoit se lance avec son groupe derrière lui. Il le presse, malgré la douleur que lui cause sa blessure, car il brûle de le ramener prisonnier. Hannibal s'échappe à la faveur de la nuit dont les ténèbres commencent à couvrir la nature. »

Carthage fut de nouveau contrainte à négocier. Mais le précédent traité fut révisé et la cité punique dut restituer à Massinissa tous les territoires qui avaient été arrachés à ses ancêtres. Hannibal se révolta et essaya de s'opposer au traité mais menacé d'être livré aux Romains il s'enfuit en Syrie où il se suicidera en 143 avant J.C.

Le personnage et l'œuvre

Appien dit de lui:

« qu'il était beau dans sa jeunesse et de taille élevée. Il garda jusqu'à l' âge le plus avancé, une étonnante vigueur. Il pouvait rester une journée entière debout ou à cheval; octogénaire, il sautait sur sa monture sans aucune aide et, comme les autres numide, il dédaignait l'usage de la selle. Il bravait tête nue le froid et la pluie. A 88 ans, il commanda son armée dans une grande bataille contre les carthaginois; le lendemain, Scipion Emilien le trouva sur pied devant sa tente, tenant un morceau de galette sec qui constituait tout son repas. »

Massinissa eut plusieurs épouses et un nombre considérable d'enfants dont quarante trois mâles, parmi ses nombreuses filles, plusieurs furent mariées à des nobles carthaginois. La plupart des enfants de Massinissa disparurent avant lui mais il en resta, à sa mort, une dizaine (Mikusan dit Micipsa, Gulusan, Mastanabal, Masucan...). Massinissa adorait les enfants et il garda durant plusieurs années auprès de lui certains de ses petits-enfants. A des marchands grecs, venu acheter des singes en Numidie, pour distraire des riches oisifs, il aurait dit: «Les femmes de votre pays, ne vous donnent-elles donc pas d'enfants?»

Massinissa qui était un rude guerrier, encouragera la littérature et les arts, envoya ses enfants étudier en Grèce et reçut à sa cour de nombreux écrivains et artistes étrangers. Homme courageux et roi généreux (pardon accordé à Lacumazes et Meztul, protection accordée à Sophonisba).

Après la bataille de Zama, Massinissa vécut encore de nombreuses années. Il garda sa vie durant l'amitié de Rome sans jamais être son vassal et, contre ses appétits impérialistes, déclara, dans une formule restée célèbre: "l'Afrique appartient aux Africains". Il récupéra non seulement les territoires que lui accordait le traité passé avec Carthage mais aussi de nombreuses villes régions sous l'autorité des Carthaginois ou de Vermina, le fils de Syphax. De 174 à 172, il occupa soixante dix villes et forts!

Mais Massinissa savait aussi se comporter en souverain raffiné, portant de riches vêtements et une couronne sur la tête, donnant, dans son palais de Cirta, des banquets où les tables étaient chargées de vaisselle d'or et d'argent et où se produisaient les musiciens venus de Grèce.

Massinissa avait combattu les Carthaginois mais il ne dédaigna guère la civilisation carthaginoise, dont il sut tirer avantage. La langue punique fut d'usage courant dans sa capitale où on parlait également, en plus du berbère, les langues grecque et latine.

L'œuvre sociale et politique de Massinissa fut aussi grande que son œuvre militaire. Il sédentarisa les amazighs, les unifia, édifia un État Numide puissant et le dota d'inscriptions, inspirées de celles de Rome et de Carthage. Fit frapper une monnaie nationale et entretint une armée régulière et une flotte qu'il mit parfois au service de ses alliés romains.

Postérité
 
Tombeau de Massinissa à El-Khroub (dit : Soumâa El-Khroub) près de Constantine

Massinissa, fut célèbre dans tous les pays de la Méditerranée et l'île de Delos, en Grèce, on lui éleva trois statues. Vers la fin de sa vie, il voulut s'emparer de Carthage pour en faire sa capitale. Les Romains qui redoutaient qu'il n'acquiert une puissance encore plus grande que celle des Carthaginois et qu'il ne se retourne contre eux, s'opposèrent à ce projet. Caton, attirant l'attention sur le danger que représentait Massinissa, lança sa célèbre formule: «Delenda est Carthago!» («Il faut détruire Carthage!»).

Ce fut de nouveau la guerre en Afrique et, après d'âpres combats, Carthage fut livrée aux flammes, puis au pillage. Les survivants furent réduits en esclavage et la ville fut entièrement rasée (149 avant J.C). Massinissa, mort quelques temps plus tôt, n'avait pas assisté à la chute de la ville convoitée. Ses sujets, qui l'aimaient, lui dressèrent un mausolée, non loin de Cirta, sa capitale, et un temple à Thougga, l'actuelle Dougga, en Tunisie.

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19 septembre 2007 3 19 /09 /septembre /2007 00:00

Koceila, Aksel de son vrai nom

Kusayla était un des hommes principaux parmi les Berbères. Devenu musulman pendant le gouvernement d’Abu al Muhajir(1), il fut si sincère dans sa conversion que celui-ci en parla à ’Uqba qui venait d’arriver, et l’instruisit de la grande influence que Kusayla exerçait sur Ies Berbères. ’Uqba ne fit aucune attention à cette recommandation ; au contraire, il ne témoigna pour le néophyte que de l’indifférence et du mépris. Parmi les traits insultants qu’il se permit envers lui, on raconte le suivant : il venait de recevoir des moutons. et voulant en faire égorger un, ordonne à Kusayla de l’égorger.

« Que Dieu dirige l’émir vers le bien ! lui dit le chef berbère. J’ai ici mes jeunes gens et mes serviteurs qui pourront m’éviter cette peine ».

‘Uqba y répondit par des paroles offensantes et lui ordonna de se lever (et de sortir). Kusayla se retira en colère, et ayant égorgé le mouton, il essuya sa main encore sanglante sur sa barbe. Quelques Arabes s’approchèrent alors et lui dirent :

”Que fais-tu, Berbère ?” à quoi il répondit : « Cela est bon pour les poils ».

Mais un vieillard d’entre les Arabes passa et s’écria : « Ce n’est pas pour cela, c’est une menace que ce Berbère vous fait ! »

Alors Abu Al Muhajir s’adressa à ’Uqba et lui dit ”que viens-tu de faire : voilà un homme des plus distingués parmi son peuple, un homme qui était encore polythéiste il y a peu de temps ; et tu prends à tâche de faire naître la rancune dans son cœur ! Je te conseille maintenant de lui faire lier les mains derrière le dos, autrement tu seras victime de sa perfidie”.

’Uqba méprisa cet avis, et Kusayla, qui était en correspondance avec les Roum, profita d’un instant favorable et prit la fuite. Bientôt après il se vit entouré de ses cousins, de ses gens et d’une foule de Roum. Abu al-Muhajir recommanda alors à ’Uqba de l’attaquer sans lui donner le temps d’organiser ses forces ; car pendant toute cette expédition, ’Uqba menait Abu al-Muhajir avec lui et le tenait dans les fers. Il marcha donc contre Kusayla et celui-ci se retira devant lui. Alors les Berbères dirent à leur chef :

”pourquoi reculer ? ne sommes-nous pas cinq mille ? ”

« chaque jour, leur répondit Kusayla, va grossir notre nombre et diminuer le sien : une grande partie de ses forces l’a déjà quitté et j’attends, pour l’attaquer qu’il s’en retourne vers l’lfriqya”.

Quant à Abu al Muhajir, il prononça ces vers d’Abu Mihjen en les appliquant à sa propre position.

« C’est pour moi assez de douleur que d’être laissé dans les fers, pendant que Ies chevaux et les cavaliers s’élancent au combat. Quand je me lève, le poids de mes chaînes m’accable, et les portes qui mènent au festin restent fermées devant moi ».

‘Uqba auquel on rapporta ces paroles. le fit mettre en liberté et lui ordonna d’aller rejoindre les musulmans (à Kairouan), et d’en prendre le commandement ; « quant à moi, lui dit-il, je veux gagner le martyre. - et moi aussi ! lui répondit Abu al Muhajir, je veux partager ton sort”. ’Uqba fit alors une prière de deux rek’at, et brisa le fourreau de son épée. Abu al Muhajir fit de même, ainsi que les autres musulmans. Les cavaliers mirent pied à terre par l’ordre d’Uqba et combattirent avec intrépidité jusqu’à la mort : pas un n’en réchappa.

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

8 Mai 1945 : Printemps cruel, espoirs de liberté, enseignements Pourquoi, et dans quel esprit ce témoignage ? Je l’apporte en pensant surtout à la jeunesse d’aujourd’hui, à qui les cercles officiels ont réussi non seulement à faire ignorer leur histoire mais jusqu’à leur faire perdre le goût de la connaître. Tellement sa présentation désincarnée et souvent fallacieuse est perçue par les jeunes générations avant tout comme un instrument pour légitimer des pouvoirs et des agissements autoritaires. Or l’histoire et la mémoire de notre peuple n’ont pas à servir de faire-valoir ou rester la propriété de « vétérans » qui en font commerce, dont certains d’ailleurs en ont été absents ou y ont joué un rôle peu reluisant. L’histoire et la mémoire n’ont pas à être pervertis en commentaires brodés pour médaillés, pensionnés ou dirigeants du jour. Il est normal que l’Histoire des grands moments de la libération revienne à la jeunesse d’aujourd’hui dont les parents et grands parents ont été eux aussi des jeunes gens et jeunes femmes qui ont souffert et sont tombés à la fleur de l’âge, pour les mêmes aspirations à la liberté et à la dignité dont sont aujourd’hui cruellement frustrés les hittistes, les harragas, les diplômés sans emploi, les jeunes femmes brimées, les habitants des campagnes et montagnes abandonnées, les cadres méprisés, les citoyens étouffant dans leur morne et difficile vie quotidienne. Les jeunes ont des raisons de préfèrer regarder ailleurs quand ils voient lors des cérémonies officielles des notables s’aligner protocolairement l’espace d’un court instant en implorant la rahma pour les chouhada, avant de courir à nouveau vers leurs manigances d’affaires ou de pouvoir. Les martyrs du colonialisme et de la révolution n’ont pas besoin d’intercesseurs et de prières hypocrites pour la rahma ou une place au Paradis. Il y a longtemps qu’ils ont obtenu cette miséricorde de leur Seigneur ou dans le coeur de leurs concitoyens, par leur sacrifice, leur loyauté en actes envers leur foi patriotique ou religieuse. Ce dont ont besoin leurs descendants et leurs familles aujourd’hui, c’est de voir traduits en réalités les espoirs qui avaient animé leurs aînés et leur ont donné courage quand ils ont été fauchés par les balles, brûlés au napalm, leurs maisons détruites et leurs familles décimées ou dispersées. Pourquoi compenser les baisses de crédibilité des pouvoirs en place par une inflation de commémorations formelles d’où la société dans ses larges composantes est absente par déception et désaveu ? Le 8 Mai 45 ne doit pas servir à nos gouvernants et nos media seulement lorsque les rapports se tendent avec l’ancienne puissance occupante et qu’on redécouvre de nouveaux charniers et photographies de destructions ou de sévices pour riposter au refus de « repentance » et aux discours pseudo-civilisateurs colonialistes. Le vrai message du 8 mai 45 est celui des disparus ou encore vivants, dont je fus le compagnon et qui par leur engagement d’alors, voulaient signifier à ceux qui leur succéderaient dans l’Algérie nouvelle : défendez la soif de liberté, de dignité, l’aspiration démocratique et sociale que nous vous laissons en héritage. Si notre action n’a pas suffi pour changer l’Algérie selon nos espoirs et les vôtres, continuez à vous battre par les voies appropriées à l’époque nouvelle pour être traités en êtres humains et non comme du bétail. Quel que soit le drapeau derrière lequel elle se cache, quelles que soient ses méthodes violentes ou insidieuses, la hogra reste toujours la hogra pour ceux qui la subissent. Vous avez raison de ne pas écouter les boniments sur l’Histoire ; soyez à l’écoute des aspirations et espoirs qui ont soutenu vos aînés dans les conditions qui apparaissaient les plus désespérées. Ces sentiments ont été les mêmes que ceux qui vous remuent aujourd’hui, vous trouverez dans des conditions nouvelles le goût et le courage de redonner au combat politique et social son efficacité et sa noblesse, grâce auxquelles de « bicots » nous sommes devenus plus respectables. Il nous reste, dans un monde encore plus difficile, à conquérir les attributs réels de citoyens libres et égaux, qui jusqu’à ce jour ne sont reconnus que formellement par ceux qui, consciemment ou inconsciemment, vident l’Histoire de sa substance humaine et populaire. Panorama autour de Mai 1945 J’avais alors dix sept ans. Mon temps était partagé entre Alger (Ben Aknoun) où j’étais interne lycéen préparant mon bac et la localité de Larbâa dans la Mitidja où habitaient mes parents. Je suivais dans cette localité le groupe des jeunes SMA dont j’étais responsable depuis sa fondation deux ans auparavant. Je militais donc des deux côtés, notamment dans le groupe PPA du lycée, où activaient également les jeunes amis et camarades dont la lutte pour l’indépendance a retenu les noms, comme Laimèche Ali, Mohand Ouyidir Ait Amrane, Hocine Ait Ahmed, Ammar Ould Hammouda, Said Chibane, Omar Oussedik et bien d’autres. C’est progressivement au cours des semaines suivantes que nous avons appris et mesuré l’ampleur et la sauvagerie des massacres du Constantinois. Surtout par le « bouche à oreille » et en constatant partout la mobilisation haineuse et massive des services de répression coloniale. Cette période avait été précédée par un intense bouillonnement politique. Les colonialistes ne pouvaient comprendre la profondeur de ce courant historique. Ils ne comprenaient pas que la puissante vague de fond des aspirations des peuples de tous les continents depuis la deuxième guerre mondiale, atteindrait aussi nos rivages méditerranéens, se greffant sur la volonté de changement d’un peuple opprimé et exploité depuis plus d’un siècle. Dans leur aveuglement et leur affolement, ils assimilaient les évolutions qu’ils constataient à des émeutes faciles à écraser en montrant et utilisant leurs armes et en emprisonnant et torturant les « meneurs ». Une semaine auparavant, ils avaient tiré sur la manifestation patriotique du 1er Mai à Alger organisée par le PPA. Le soir même nous en avions été informés par nos maîtres d’internat algériens qui ne dissimulaient pas leur joie et leur fierté de cet évènement. Le regretté Bennaï Ouali de son côté, responsable du PPA dans l’Algérois et en Kabylie, chargé aussi (avec auparavant Abdallah Filali) du suivi des organisations étudiantes, était venu à Ben Aknoun nous informer. Un pansement sur le front, car une balle l’avait éraflé alors qu’il était aux premiers rangs de la manifestation, il ne cachait pas que l’agitation politique de masse ne faisait que commencer, et qu’avec la fin imminente de la guerre mondiale, elle prendrait de l’ampleur sur tout le territoire, pour exprimer la volonté algérienne de prendre sa part de la liberté dans le monde. Quelques jours plus tard, à la veille du 8 mai, les cloches d’églises sonnaient pour annoncer la fin de la guerre. Les enseignants et les élèves européens se rassemblaient en liesse sous le drapeau français devant l’entrée principale du lycée en entonnant la Marseillaise. Nous, les quelques dizaines d’Algériens nous nous sommes dispersés derrière les arbres du parc de verdure du lycée pour échapper à la célébration d’un évènement dont nous sentions qu’il ne nous apporterait pas les mêmes joies. Quelques jours de congé nous furent accordés, permettant à ceux qui n’habitaient pas loin de retrouver leurs villages. A Larbâa durant ces journées, des rumeurs confuses mais inquiétantes circulaient sur des évènements sanglants dans le Constantinois. Par l’organisation locale du PPA nous ne recevions aucune information, bien que certains s’étaient rendus à Alger pour avoir des nouvelles. L’atmosphère était lourde, la tension se mesurait aux attitudes menaçantes de la police et des européens les plus connus pour leur racisme. A mon retour au lycée, de plusieurs côtés les informations se sont multipliées. En particulier les lycéens européens exhalaient leur haine : « Il faut les mater tous, sans pitié » disaient-ils à haute voix devant nous. Le fils d’un administrateur du Constantinois, ne se contentant pas de vanter la répression exercée par les autorités de sa commune mixte, inscrivit en grandes lettres noires sur le mur d’une des quatre cours du lycée le slogan : « DERATISATION ». Il visait évidemment à provoquer les « ratons » que nous étions. L’inscription resta plusieurs jours à nous insulter sans que l’administration du lycée se décide à l’effacer. J’appris également qu’à Larbâa avaient commencé de nombreuses arrestations, en particulier celle des deux frères Sahraoui, responsables nationalistes respectés et connus (ils seront assassinés au printemps 1956 durant la guerre de libération par un groupe de colonialistes dirigés par le commissaire de police). Ils avaient été, avec le cheikh Boumendjel (instituteur père des deux avocats, Ahmed et Ali, membres des Amis du Manifeste) les créateurs du mouvement associatif local (medersa libre, cercle Al-Islah culturel et religieux, mouvement SMA). Avec eux, de nombreux membres de ces associations, dont plusieurs routiers du groupe SMA comme leur responsable Amrani Rabah furent également emprisonnés, tandis que H’midat s’échappa et devint le premier maquisard de la région dans les montagnes voisines. C’est lui qui me fit prévenir de ne pas revenir au village comme j’en avais l’habitude les fins de semaine car j’étais visé. La police locale n’ayant pu mettre la main sur moi au village, j’appris un peu plus tard que les colonialistes s’en étaient pris à mon père, instituteur qui pourtant, occupé par ses charges professionnelles et familiales (six enfants et plus tard sept), n’était pas engagé dans des activités politiques. Le directeur « pied-noir » de son école, capitaine en cours de démobilisation, le convoqua brutalement et, brandissant vers lui un pistolet, le menaça en lui disant « nous connaissons vos idées, vous allez vous tenir à carreau ». Ce Mr Sendra, raciste viscéral, était connu entre autres pour avoir monté autour de la fontaine de la cour une barrière en bois, que seuls les écoliers européens étaient autorisés à franchir pour boire. Jusqu’au jour où le gendarme Bentaïeb intervint. La veille, son fils s’était vu interdire lui aussi d’étancher sa soif au robinet des rouama. Le père, moustaches en bataille, vint en colère casser la barrière, mettant fin à ce minable apartheid (le gendarme, futur caïd « élu » à l’Assemblée algérienne fantoche, n’aimait pas les offenses ; à cette assemblée, mécontent de l’intervention d’un délégué colon, il enleva son soulier et se mit à en battre le pupitre pour couvrir la voix du contradicteur; cet acte devancier de Khrouchtchev à l’ONU, le fit décorer par Alger républicain du nom de « Hadj Babouche » ). Quand j’étais revenu au lycée après quelques jours d’absence comme indiqué plus haut, je n’y ai pas retrouvé certains de mes camarades, Hocine Ait Ahmed, Ammar Ould Hammouda Omar Oussedik, Ali Laimèche. Il y avait bien Ait-Amrane, qui était cloué à l’infirmerie du lycée par une grave affection pulmonaire. J’ai été d’autant plus surpris et même inquiet que les épreuves du Bacc approchaient. Avaient-ils été arrêtés par la police durant leur séjour chez eux en Kabylie ? Puis, presque à la veille du bac, les voilà revenus, passant normalement leurs examens malgré le handicap d’une absence de trois semaines. Que s’était-il passé ? Quelques jours après le 8 mai, ils avaient été contactés par Bennai qui leur fit part d’une décision de la direction du PPA, du moins de ceux qui se trouvaient en poste dans le suivi opérationnel des évènements. Auparavant, il n’était question que d’animer et intensifier de grandes manifestations pacifiques pour l’indépendance. Devant le déchaînement d’une répression violente et massive, la directive fut donnée d’engager dans un délai très court (une date avait été fixée) des actions armées partout avec l’intention déclarée de soulager les populations du Constantinois. Nos camarades ont aussitôt rejoint la Kabylie et mis en place des préparatifs à la hâte. Mais le caractère irréaliste et même dangereux de la directive est apparu à certains de ses auteurs de la capitale, qui après coup ont lancé un contre-ordre annulant la décision d’extrême justesse. On a vite constaté dans la population qu’après la peur et les méfiances, un climat nouveau s’était créé. La répression sanglante et multiforme avait obtenu l’effet contraire. Quand je pense à cette période, j’entends toujours remonter en moi un chant qui s’était répandu vers les moindres recoins du pays, comme quelques années auparavant Min Djibalina ou Ekker a mis Oumazigh ". On aurait dit que l’auteur anonyme de ce chant était le peuple tout entier, tellement chacun de nous reconnaissait son propre chagrin et la colère froide qui nous habitait dans les paroles simples et la poignante mélodie de « Hayyou ech-chamal, ya chabab, hayyou ech-chamal Ifriqi A ces moments les plus difficiles, quand toutes les liaisons organiques des partis et mouvements patriotiques étaient coupées et la population se méfiait des mouchards et des provocateurs, ces couplets étaient repris à voix basse dans les groupes d’amis proches, les petits rassemblements clandestins informels et jusque dans les familles. Ils appelaient la jeunesse à ne pas oublier et à se dresser sans peur pour la liberté. "Hadhi l’ghabina, la tensa ! hadhi lghabina, wa fransa la âmlat fina la tensa ! Cette grande peine, ne l’oublie pas; n’oublie pas ce que la France a fait de nous; ‘Ala Staifiya, ya houzni, ‘ala Stayfia, bet-tayarat qatlou nissa wa banat », contre les Sétifiens ô ma tristesse, avec les avions ils ont tué femmes et fillettes; Qoumou ya nass, lil watan, qoumou ya nass, lil ‘amal; debout ô gens, pour la patrie, dressez-vous pour l’action, ma t’khafouch man dharb errssas, ne craignez pas les balles". L’affirmation de dignité et de courage face au malheur était bien l’état d’esprit dominant, même quand la peur rendait les gens méfiants. La provocation massivement terroriste et raciste de la grosse colonisation avait cristallisé un nouveau palier de l’esprit de résistance nationale. Son effet se prolongera et se renforcera avec l’accentuation de la répression coloniale au long de la deuxième moitié des années quarante. C’est ainsi qu’avec "Hayyou Ech-chamal" en arabe, d’innombrables expressions populaires reflétèrent ce sentiment, ancré d’un bout à l’autre du pays. Les strophes en kabyle (sur un air de la résistance nationale irlandaise) de "Si L’dzayer âr Tiz Ouzou" que le regretté Ait Amrane avait composées après les sauvages interventions des forces répressives françaises à Sidi Ali Bounab, évoquaient comment ils avaient démoli les maisons, éventré les ikoufiyen et détruit leurs réserves de vivres, humilié les populations jusqu’à obliger par exemple un vieillard à circuler tout nu dans le village sous les yeux des siens. Ces strophes douloureuses mais non plaintives, affirmations de dignité et de courage, étaient porteuses des étincelles d’une révolte qui ne s’était jamais éteinte Il était devenu apparent, après les secousses des premières semaines, que l’Algérie ne se laissait pas abattre, elle renouait avec différentes formes d’activités politiques et associatives. Un moment paralysées, elles ont été progressivement relancées, avec la montée des comités populaires contre la répression qui ont imposé des mesures de libération et d’amnistie. C’était lié aussi au rapport de forces politiques internes à la France qui s’est maintenu un moment peu après la guerre mondiale, qui a rendu possible certaines prises de conscience suite aux révélations et protestations d’une partie des forces de gauche initialement trompées et désinformées par les réflexes et les mentalités colonialistes. Un indice parmi d’autres, le directeur d’école qui avait menacé mon père fut déplacé par les autorités académiques pour faute professionnelle. Car entre-temps, le cheikh Boumendjel, pédagogue reconnu et respecté, s’était battu avec acharnement sur un plan administratif pour ne pas laisser sans riposte l’insulte de ceux qui étaient censés nous « civiliser ». Parallèlement, avec des tâtonnements, se mettaient en place de nouvelles combinaisons des formes de lutte entre politique et résistance armée. Après leur bref retour à Alger pour les examens, nos camarades originaires de Kabylie sont repartis dans leur région pour y mener durant l’été le même travail illégal et persévérant que nombre d’autres cadres menaient dans le reste du pays. Ils ont établi dans ces montagnes les bases d’une organisation sérieuse. En août 1946, j’appris avec douleur la mort au maquis de l’un d’entre eux, Ali Laimèche à l’âge de dix neuf ans, terrassé par le surmenage et la maladie. Ses compatriotes venus de partout lui firent des obsèques impressionnantes. Plus tard, en 1947, ses compagnons assisteront à la rencontre centrale du PPA, petit congrès où ils furent en dépit de diverses réticences, les ardents promoteurs de la création d’une organisation spéciale armée, l’OS dont l’Algérois Belouizdad fut le premier responsable. Ils activeront dans le même sens jusqu’à la crise de 1949, non sans avoir assis les noyaux d’une organisation combattante sur un solide socle politique, fondé sur la jonction entre sensibilité populaire et de patients efforts éducatifs pour l’acquisition de repères doctrinaux. Evolutions ultérieures et enseignements Ce travail persévérant s’appuyait sur le sentiment de centaines de milliers de femmes, hommes et enfants algériens brûlés par l’espoir d’en finir avec l’injustice quel qu’en soit le prix. Chez les plus conscients et les plus formés politiquement, les avis divergeaient seulement sur les modalités, le moment, les opportunités des formes de résistance armée, leur lien avec les formes de mobilisation politique. Les activités du mouvement des SMA déjà bien avant 1945 étaient concrètement et souplement orientées vers ce genre de perspective. Je me souviens comment en 1944 nous sommes allés un groupe de trois vers les monts de Tablat du côté des Beni ‘Atiya où s’était écrasé un avion militaire avec l’espoir d’y récupérer des armes. Ce genre de quête était facilité par la présence de troupes américaines de passage vers le front de Tunisie, prêtes à se délester d’équipements contre des légumes frais ou de l’alcool. Mustapha Harrou, prestigieux gardien de buts du Riadha Club eut la face traversée de la machoire à l’oreille opposée par une balle d’une sentinelle anglaise en cherchant à s’introduire dans leur camp militaire, d’où sa réputation de « chat aux sept vies » ; il sera plus tard dans l’OS et l’un de ceux (tous arabophones) qui sauvegarderont en 1949 en connaissance de cause le stock des brochures « L’Algérie libre vivra (Idir El Watani)» que des dirigeants du MTLD voulaient à tout prix retrouver et détruire. Un autre de mes amis, Ali Souag, avait expédié un âne porteur d’un chouari enflammé autour d’un dépôt américain pour détourner l’attention des sentinelles et s’emparer d’équipements. Il est vrai que ce champion de demi-fond de l’USMA était une des têtes brûlées du village. Il m’avait juré que jamais il ne baisserait les yeux devant le brigadier de gendarmerie qui le croisait toujours d’un air provocant. Ce qui lui valut plusieurs passages à tabac et nombre de séjours en cellule. Il tint parole sans jamais se décourager, En 1957 les parachutistes français exposèrent plusieurs jours sur la place centrale son corps criblé de balles en même temps que celui de Daoud Abdelqader, cafetier à qahwat Essardjan, ancien routier des SMA et trésorier de la celkule communiste de Larbâa, ils avaient été tous deux parmi les premiers à monter au maquis de la région. Rien d’étonnant car cet état d’esprit de rébellion anticoloniale était spontanément ancré même chez les plus prudents. Après l’indépendance, mon père homme réservé s’il en fut, m’avoua vingt ans après avoir subi avec rage la menace de son directeur, que ces jours là, seule la pensée de sa famille nombreuse a fait qu’il n’osait plus ouvrir le tiroir où il gardait son arme, de peur de céder à un moment de colère contre l’humiliation raciste. « Quand les journaux et la radio ont annoncé l’insurrection du 1er novembre 54, me dit-il, j’ai respiré et me suis senti délivré ». Comment pouvait-il en être autrement quand même les étrangers, quand ils étaient suffisamment informés, s’étonnaient que des insurrections n’aient pas déjà eu lieu. Cinq ans après, dans l’été 1950, j’étais allé en Europe au Congrès de l’Union Internationale des Etudiants pour représenter l’AEMAN (Association des Etudiants Musulmans de l’Afrique du Nord) dont j’étais le président. Après mon allocution où j’avais parlé du 8 mai 1945 en indiquant le chiffre donné par les organisations nationales de quarante mille (40 000) victimes, plusieurs délégués d’Europe sont venus me trouver pour me demander si le texte imprimé que j’avais distribué ne contenait pas une erreur sur le nombre de zéros. L’énormité du massacre leur paraissait impensable. Quand je leur ai confirmé et expliqué les faits, deux d’entre eux se sont exclamés « Mais pourquoi n’avez-vous pas pris les armes pour vous libérer ? » Ils pensaient aux résistances d’Europe contre l’occupation nazie ou à la première guerre du Viet Nam qui faisait rage. « Ce n’est pas l’envie qui en manque aux jeunes algériens, leur ai-je dit, mais ce n’est pas si simple d’y arriver ». Et leur ai cité l’exemple de l’OS qui venait d’être démantelée par la police française. Les faits nous avaient montré en effet en 1945 (comme ils le montreront plus tard avant et après le 1er novembre 1954) que l’articulation nécessaire entre l’action dans ses formes politiques non violentes et l’action dans ses formes armées (et néanmoins politiques dans leur contenu) est une question décisive mais également complexe et difficile à maîtriser. Le mouvement national a eu besoin d’accumuler les expériences. Le mois de mai 45 a été l’un des exemples de ces tâtonnements sur une voie que le mouvement algérien de libération n’avait pas encore exploré dans ses formes modernes, différentes de celles de la résistance à la conquête coloniale du 19ème siècle. Tout cela mériterait études et recherches, pour sortir des exposés purement triomphalistes et qui présentent de façon simpliste les cheminements vers l’option et la concrétisation de la lutte armée, abordée isolément ou en opposition avec le reste des formes de lutte et motivations de tout un peuple. A ce propos et délibérément, je n’ai pas abordé dans ce témoignage des aspects, et analyses qui ont leur importance et avaient fait problème: la gestion des évènements et des évolutions par les différents acteurs politiques nationaux, telle que je l’avais perçue alors ou telle qu’elle m’est apparue plus tard à la lumière de nouvelles informations et d’expériences ultérieures. Que penser par exemple des analyses des dirigeants du PCA tels que Amar Ouzegane (et de ses inspirateurs au PCF tels que André Marty), qui à l’époque avaient d’abord attribué la responsabilité de ces évènements à des provocations nationalistes qui auraient fait le jeu de la grosse colonisation et du nazisme, avant de revenir sur cette erreur grossière et d’engager une campagne de masse contre la répression colonialiste et l’amnistie en faveur de tous les emprisonnés et condamnés ? A ce propos, j’ai toujours été intrigué par le fait que des dirigeants nationalistes n’ont cessé d’occulter le rôle majeur de Ouzegane dans ces prises de position sectaires et erronées. J’ai entendu souvent et directement à cette époque ses discours antinationalistes imprégnés d’une grande hargne personnelle allant au-delà de convictions collectives. D’autant plus intrigant que cette occultation assumée et prolongée par la même personnalité dans ses publications et mémoires, s’est accompagnée de façon récurrente dans certains milieux de vives critiques paradoxalement dirigées contre les orientations ultérieures qui ont remis ce parti sur les rails de positions nationales en condamnant les erreurs que le principal concerné s’était refusé à reconnaître. Parallèlement, que penser aussi de la vigilance et de la maîtrise insuffisantes des dirigeants nationalistes en place à cette époque envers les projets à peine cachés des colons et de l’administration française au cours des mois précédents de se livrer prochainement à une grande provocation pour briser l’expression ascendante et tumultueuse du mouvement national ? Comment apprécier également la précipitation, heureusement corrigée à temps, à décréter un mot d’ordre d’insurrection avec seulement des masses chauffées à blanc sans orientations politiques ni préparation organique adéquates ? Quels enseignements auraient pu être tirés enfin de ces évènements pour assurer aux évolutions ultérieures du mouvement national et social un caractère encore plus unitaire, moins populiste et spontanéiste, plus attentif aux environnements régionaux et internationaux ? Voila qui, à ce jour encore, pourrait donner lieu à des réflexions et des débats utiles pour tous, pour peu que soient mis au second plan les a priori et procès d’intention idéologiques. Il reste que l’Histoire retiendra l’essentiel : l’impossibilité sur le long terme aux forces rétrogrades de barrer la route aux mouvements légitimes issus des profondeurs et de nature foncièrement démocratiques et sociaux, même s’ils s’expriment initialement dans des formes impulsives, insuffisamment maîtrisées au regard de l’efficacité et des intérêts réels. Il en fut ainsi de l’élan national algérien momentanément brisé dans le sang en 1945, comme ce fut le cas aussi des révoltes prémonitoires et massacres de Yen Bay en Indochine avant 1939 ou des massacres de Madagascar après la deuxième guerre mondiale. L’important, et c’est une condition essentielle, c’est que les aspirations puissantes parviennent à trouver des relais politiques suffisamment à leur hauteur, qui ne se traînent pas démagogiquement à la remorque de la spontanéité pour d’étroits calculs politiciens et de clans. Je terminerai par une remarque non moins importante et d’une portée actuelle. Un tort considérable a été porté à l’évolution de l’Algérie indépendante par l’assimilation ou l’identification mécanique et totalement erronée des situations, des rapports de pouvoir et des formes de lutte qui ont prévalu pendant l’occupation coloniale et celles correspondant à l’Algérie libérée de la domination étrangère directe. La remarque concerne notamment et en premier lieu l’utilisation ou la menace de la violence armée. C’est une faute grave des pouvoirs en place ou aspirant à les remplacer que de recourir (pratique déjà amorcée au cours de la guerre de libération) aux mêmes moyens (chantage des armes et tous ses succédanés en coups tordus et chapes de plomb) que ceux utilisés par les colonialistes pour maintenir leur « ordre » et leur leadership, alors que les champ d’action et les moyens politiques et pacifiques pouvaient s’ouvrir largement à notre peuple en 1962. C’est aussi une erreur sérieuse des courants ou formations politiques contestataires (et même une faute pour ceux de leurs dirigeants qui le font consciemment et persistent dans cette voie) que de vouloir recourir à des formes d’opposition armée alors que les voies et moyens politiques pacifiques existants ou susceptibles d’émerger et de s’imposer sont restés ridiculement sous-estimés et inutilisés. La sous estimation de ces possibilités, fruit d’insuffisances et de perversions politiques entremêlées, s’est alimentée mutuellement entre le pouvoir et les oppositions y compris quand ces dernières se sont réclamées d’objectifs ou de motivations démocratiques. La mémoire et l’histoire de la période coloniale, au lieu de nous enfoncer dans l’idée erronée que l’action armée est la seule noble ou qu’elle convient à toutes les situations, doit plus que jamais nous inciter à restaurer prioritairement et au plus haut niveau possible l’efficacité et la noblesse de l’action politique démocratique, dans une Algérie déjà harassée de conflits improductifs et sans principe, alors que les appétits impérialistes multiformes investissent notre région, génétiquement prêts à renouveler sans état d’âme les turpitudes coloniales. Sadek Hadjerès 8 mai 2007 Publié le 10 mai 2007 dans les colonnes du Quotidien d'Oran Source: http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=49091

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

Sadek HADJERES « LA NATION ET LE SOCIAL : Raisons de craindre et d’espérer » Par Sadek Hadjerès, pour le colloque NATION à Alger, 16 et 17 mars 2005 (NB : les premières lignes en italique ne sont à lire que si je suis absent) Cher(e)s ami(e)s Je suis à la fois heureux et frustré en vous saluant. Désolé comme vous et je m’en excuse, parce que des contretemps pratiques et administratifs, dus en partie au démarrage tardif de mes démarches, me privent de la chaleur de votre amitié et de la richesse des échanges. Mais je suis heureux de participer avec vous, même indirectement, à cette rencontre. Bien sûr, comme l’a dit un jour Fidel Castro dans un de ses discours fleuves, une lettre à un être cher, c’est bien, mais l’embrasser c’est encore mieux. J’ajouterai quant à moi que la lettre, c’est aussi la promesse de proches retrouvailles pour d’autres occasions. ===> En attendant, Ce colloque me paraît bienvenu pour au moins trois raisons. En premier lieu, l’initiative conjointe des Amis d’Alger-républicain et de la librairie El-Ijtihad, ainsi que la date choisie en mémoire de Abdelhamid Benzine, confirme un élan nouveau des efforts de pensée progressiste. Je voudrais associer à l’hommage rendu à celui qui fut un de mes compagnons de lutte de deux longues clandestinités, les noms de camarades et amis disparus depuis, L’hachemi Bounedjar, Lakhdar Kaidi et Sadek Aissat. Eux aussi ont mené à travers des persécutions croisées, les combats étroitement liés du patriotisme et de la démocratie sociale, au service de la Nation et dans un esprit unitaire. Je m’en voudrais aussi d’oublier un autre disparu, qui fut longtemps dans ces deux combats imbriqués, l’ami et le camarade de Abdelhamid Benzine et de L’hachemi Bounedjar. Je veux parler de Youssef Fathallah, qui fut dans le monde patriotique arabe comme en Algérie, un défenseur ardent de la démocratie et des Droits de l’Homme, par principe et par humanisme, et qui fut pour cette raison assassiné comme tant d’autres au cours des sombres années 90. Je me réjouis en second lieu de la disponibilité d’un espace tel que la Bibliothèque qui mérite ainsi son appellation de nationale. Ce fait, comme l’éventail idéologique des participants que je salue chaleureusement, me rappelle le climat heureux du milieu des années quarante, quand dans le minuscule local de l’AEMAN du bvd Baudin devenu Amirouche, nous discutions vivement mais librement des voies à tracer à notre engagement nationaliste. Pratiquement à l’unanimité, nous distinguions alors le nationalisme libérateur que nous estimions seul concevable, d’un autre nationalisme dont Franco et Tchang Kaï Chek à l’époque affichaient l’étiquette, un nationalisme d’oppression, d’exclusion et de haine que nous estimions réservé à jamais à d’autres contrées que l’Algérie. J’aimerais dire que si nos voies ont par la suite organiquement divergé et que nos itinéraires on été jalonnés de lourds contentieux entre mouvances communistes et nationalistes, il nous reste malgré les inévitables crispations partisanes de cette période d’avant 1954, le souvenir des efforts réciproques vers la cohésion nationale et une solide unité d’action, le souvenir réconfortant de débats francs entre militants honnêtes respectueux les uns des autres. J’ajoute, puisque que j’évoque cette période, que j’ai trouvé dans mon engagement communiste une possibilité d’approfondir cet esprit unitaire au service de la nation à travers des positions du PCA et du PAGS restées souvent incomprises, comme s’il y avait des incompatibilités majeures entre le besoin d’un large front pour le soutien résolu d’orientations nationales communes, et la préservation d’une autonomie politique et organique. Cette préoccupation, pas toujours simple à assumer et pas toujours suffisamment maîtrisée, ne découle pas de manœuvres purement tactiques dans des contextes difficiles. Elle exprime avant tout la jonction du national, du social et du démocratique, un besoin qui dans les épreuves traversées par la Nation a été de plus en plus compris par les nouvelles générations. A la base de cette orientation politique, il y a la nécessité d’œuvrer pour les objectifs nationaux communs, et en même temps, faire en sorte que les décantations et les intérêts de classe indéniables soient pris en compte dans la clarté, pour des solutions qui protègent la nation à la fois des appétits géostratégiques internationaux et des risques de divisions sur des bases identitaires ou idéologiques. Les épreuves passées suffiront-elles à nous guider vers cette conception dialectique de la cohésion nationale? La guérison à long terme n’est jamais acquise : tournons les yeux par exemple vers le Liban et privilégions les solidarités sociales transversales, seules capables de prémunir contre les dérapages des chocs identitaires tels que l’impérialisme cherche à les susciter ou les encourager. Mon troisième motif de réconfort, après les inquiétudes que je viens d’évoquer, c’est l’éventail de nos participations. Il indique que nous commençons à faire reculer en nous-mêmes une conception étroite qui a stérilisé longtemps les espoirs algériens. L’illusion d’une mouvance démocratique auto-proclamée qui se réduirait à ceux qui s’alignent sur une seule et même appréciation politique de la conjoncture nationale. Une illusion qui peut aller jusqu’à réserver le label de société civile à la seule fraction de la population qui partage les mêmes points de vue sur un événement, une situation, un problème, une idéologie. Ni la Nation, ni la démocratie, ni la justice sociale, ni les formations politiques qui s’en réclament n’y gagnent évidemment. Cher(e)s ami(e)s, La thématique de la nation n’a cessé pour ma génération d’être centrale ( je ne sais si c’est le mot exact), Elle a été en tout cas toujours prégnante dans la vie politique et les représentations mentales de notre peuple. Aujourd’hui encore, la souveraineté nationale fait problème quand, sans vrai débat, est remis en question le contrôle par la Nation de ressources qui, bien ou mal gérées, sont jusqu’à présent le poumon de notre économie et de notre développement. C’est pour cela qu’elles avaient été arrachées au prix d’une prolongation de plusieurs années de guerre. En même temps, la Nation est une thématique très vaste. Chacun de nous ne peut y contribuer qu’à partir des seuls angles d’observation et d’action dans lesquels son itinéraire ou sa formation l’ont placé. Pour ma part, j’aborde la question bien sûr dans un esprit militant, je ne dis pas forcément étroitement partisan, et j’essaye d’appliquer une grille d’analyse appropriée à un processus aussi peu simple que l’émergence et l’évolution de la nation. Ce phénomène est en effet éminemment géopolitique, il est complexe autant par ses expressions que par les interactions multiples qui le façonnent. Il se présente avec deux caractéristiques : d’une part une grande mobilité, d’autre part une interpénétration poussée entre les facteurs constitutifs et déterminants de l’existence nationale. Ce sont les interactions, avec leurs modalités temporelles, qui expliquent la mobilité et en déterminent le contenu, la résultante, la complexité. Mon intervention s’efforcera d’illustrer ces interactions et leur mobilité. Pour des raisons de temps, les illustrations vont privilégier surtout la période fondatrice de la lutte de libération et de l’indépendance. Nombre d’éclairages qu’on peut en tirer sont néanmoins utiles dans leurs grandes lignes pour comprendre les étapes suivantes, elles aussi très importantes. Autre précision : je m’en tiens à la dynamique du fait national algérien sans m’attarder au problème des définitions. Non pas que ce soit peu important, Les efforts de définition d’un objet tel que la nation sont nécessaires et enrichissants pour en appréhender les différentes facettes. Les définitions sont un bon guide tant qu’elles n’enferment pas dans un moule rigide les réalités aussi diversifiées et mouvantes que la nation, tant qu’elles ne s’érigent pas en cadres théoriques statiques d’où découleraient automatiquement les solutions aux problèmes posés par le mouvement historique. J’ai donc privilégié les contenus et les dynamiques qui animent les cadres nationaux, de façon à rapprocher d’une part les questionnements théoriques et d’autre part les interrogations concrètes et le vécu quotidien de nos compatriotes. Cela revient à se demander : quelles motivations, quels intérêts nous ont amenés et nous amènent encore dans un cadre territorial constitué historiquement, à souhaiter ou admettre de VIVRE ENSEMBLE, après avoir ensemble revendiqué puis conquis la souveraineté nationale ? Qu’est ce qui pousse la majorité d’entre nous à admettre l’autorité d’un Etat commun pris en mains par un groupe dirigeant qui n’est pas toujours et forcément celui que nous souhaitons ? Quel est le sens et le poids du lien social qui nous rattache à nos compatriotes dans un cadre national ? Qu’est ce qui fait que, tant que ce lien est assez attrayant pour nous, la tentation recule de tricher avec ce cadre ou de le renier de différentes façons. La première façon est une échappatoire interne à la nation, c’est le recours à des pratiques INFRAnationales, claNiques, régionalistes, communautaires etc, ou bien (et parfois en même temps) INFRA-politiques telle que les émeutes ou soulèvements de plus ou moins grande ampleur et les dégénérescences politiciennes. La seconde échappatoire quant à elle, est tournée vers l’extérieur, elle tend individuellement ou collectivement à déborder le cadre national, à s’en évader vers des espaces et des horizons SUPRAnationaux réels ou imaginaires. Certaines de ces fenêtres sont déjà usées et discréditées, d’autres relativement inexplorés et pas encore mises à l’épreuve. Ainsi des nationaux déçus par la nation telle qu’ils la vivent, peuvent se tourner selon leurs sensibilités vers al oumma l-arabiya, vers al oumma- l-islamiya, vers tamazgha, vers l’Europe et l’Occident, etc. Je n’oublie pas dans cette énumération, sinon les jeunes ou bien Fellague me le rappelleraient, il y a eu aussi le bateau de rêve pour l’Australie, le réconfort de la drogue, le billet d’avion pour l’Afghanistan ou l’eldorado européen avec ou sans visa. Que l’approche soit théorique ou pratique, ces attitudes ont pris une plus grande acuité depuis le milieu des années 80, quand avec la défaillance de la rente pétrolière mais pas seulement pour çà, la grandeur de la nation a basculé vers une espèce de repli, un recul du crédit de l’Etat-nation. Pourquoi ce revirement, l’éloignement des espoirs qui avaient nourri les sacrifices pour l’indépendance ? Je serai peut-être terre à terre mais peut-on ne pas l’être ? Justement parce que la nation n’est pas une utopie métaphysique enfermée dans le dogme de l’Unicité, mais une réalité qui vit, s’unit ou se divise au rythme des conditions d’existence matérielles et des pensées de chacun et de tous. Elle prospère quand ses ressortissants hommes, femmes ou enfants, ont de nombreuses et assez fortes raisons de s’attacher à elle. La nation gratifiante, elle est située et reconnue là et quand chacun et chacune en naissant et en grandissant, a trouvé ou espère trouver de quoi s’alimenter, du travail, un toit, une santé, un mieux-être, une école, une formation, une atmosphère chaleureuse et de communion culturelle, en quelque sorte un présent acceptable ancré sur un espoir d’avenir. C’est là et quand on peut, sans que ce soit ressenti comme un péché ou interdit, parler la langue du terroir ou qui vous vient en premier lieu sur les lèvres, jouir de la culture qu’on connaît le mieux, celle qui nous avantage ou qui nous plaît. La nation devient plus gratifiante et on est d’autant plus prêt à faire corps avec elle et la défendre, quand chacun s’y sent libre de pratiquer sa religion et ses rites cultuels à sa façon et professer ses convictions personnelles sans malaise ni entrave pourvu qu’elles ne prêchent pas la haine, le mépris et la domination de son voisin ou concitoyen. En un mot et à mon avis, c’est quand la nation, émergée une époque moderne que l’Algérie a d’abord vécue dans les affres de la domination coloniale, s’avère un cadre approprié à la satisfaction des besoins et des aspirations humaines essentielles. Des besoins et des aspirations fondamentales, qui transcendent l’histoire de l’humanité dans sa diversité, des besoins qui sont reconnus, à travers des prismes philosophiques différents bien sûr, aussi bien par le Coran quand il rend hommage à Celui qui préserve les humains de la Faim et de la Peur, ou par la pensée marxiste qui appelle la société à agir pour réaliser les conditions historiques de ce mieux être matériel et moral. =====> J’en viens à l’essentiel, comment réaliser ces conditions historiques ? C’est ce que à quoi les différentes organisations nationales s’étaient attelées, à commencer par le PPA héritier de l’Etoile Nord africaine. Sur quels mécanismes objectifs, sur quels ressorts subjectifs l’action gagnait-elle à prendre appui et quels écueils éviter ? Nous sommes là au cœur du problème des interactions, synergiques ou antagoniques selon les cas, susceptibles de peser sur les mouvements et les contenus de la libération, de l’édification et de la pérennité de la Nation. Toutes les organisations nationales convergeaient sur un point fondamental, la nécessaire disparition du régime colonial et son remplacement par un Etat souverain, seul capable de diriger les transformations bloquées par l’oppression coloniale. Néanmoins les organisations nationales divergeaient entre elles ou même au sein de chacune d’elles sur les voies et moyens d’y parvenir et sur le contenu à donner aux transformations souhaitées. Chose normale qui pouvait être surmontée à la fois par l’ouverture de débats constructifs et par la pratique de rassemblements ou Fronts reflétant de façon consciente et non autoritaire la diversité autour de la même revendication fondamentale. Malheureusement, il s’est trouvé que des dirigeants de la formation nationaliste la plus influente et la mieux implantée ne voulaient ni front dans la diversité ni vrai débat, alors que leurs points de vue se résumaient à un seul mot d’ordre susceptible des interprétations les plus diverses quant à son contenu et aux modalités de sa mise en œuvre. Cet hégémonisme correspondait aussi à des traditions et mentalités unanimistes dans l a société, qui auraient gagné à être corrigées et amendées par une culture politique plus appropriée aux conditions modernes de l’émergence nationale. Malheureusement le rôle dirigeant auquel aspirait la formation politique la plus influente n’était pas étayé sur une doctrine cohérente et rassembleuse, allant au devant des interrogations dans tous les domaines des militants sincères et des citoyens. Je n’invente rien, les documents du MTLD l’ont confirmé explicitement au début des années cinquante en appelant justement à combler cette lacune. Et pour cause, dans les années qui avaient précédé, un barrage conscient pour les uns, passif ou non conscient chez d’autres, avait été dressé aux tentatives d’élaborer une telle doctrine en ouvrant les débats et les contributions dans ce but. En 1949, il s’était produit ce que j’ai appelé une bifurcation fatale. Fatale au sens de malheureuse par ses conséquences immédiates et lointaines et non au sens d’inévitable. Car le débat aurait pu et du ne pas être étouffé avant d’avoir commencé. Mon propos n’est pas de revenir sur ce qui a été qualifié à tort de « crise berbériste », sur les polémiques et points de vue contradictoires qui ont entouré cet épisode. En gros les faits commencent à être connus, ils continueront sans doute à être évoqués en d’autres occasions. Je voulais surtout indiquer la caractéristique principale des propositions avancées alors par le courant contestataire, telle qu’elles figurent dans la plate forme qui a été rejetée avant d’avoir été lue, intitulée « L’Algérie libre vivra » et signée du pseudonyme collectif d’« Idir El Watani ». Elle exprimait le point de vue non des seuls trois rédacteurs, mais celui issu des échanges au sein du courant démocratique contestataire, notamment à la rencontre informelle de Arous de 1948. Si je signale ce document, c’est qu’avec le recul d’un demi-siècle, son intérêt ne réside pas tellement ou seulement dans l’actualité pourtant encore vivace des problèmes de fond qu’elle soulevait. Il réside également dans la méthodologie et la démarche concernant la nation. Je la redécouvre moi même sous un jour nouveau, dans une signification que je comprends mieux avec l’expérience. Cet aspect de la question a été méconnu non seulement lors de sa parution, mais continue de l’être plus ou moins jusqu’à ce jour. On y avait vu alors, et aujourd’hui encore, nombre de commentateurs pourtant favorables continuent à y voir essentiellement, une prise de position sur les questions identitaires, et de façon encore plus réductrice, un plaidoyer pour l’amazighité. Cette interprétation est inexacte, elle fait écho volontairement ou non, à la version de la presse colonialiste d’août 1949 à laquelle les dirigeants du MTLD en charge de cette question ont emboîté le pas par un refus de démenti et un silence lourd de conséquence en laissant accréditer l’idée que des militants connus pourtant pour leur patriotisme unitaire, j’allais presque dire jacobin, avaient créé un PPK, un parti du peuple kabyle. Hypothèse absurde pour l’époque, ne serait de que parce qu’elle aurait été mort née et suicidaire pour ses auteurs. Que disait la plate-forme à propos du volet identitaire et culturel de la nation ? A côté de la langue arabe classique unanimement reconnue et revendiquée comme langue nationale opprimée et marginalisée par le colonialisme, elle valorisait la richesse et la charge affective des langues parlées, TOUTES les langues parlées, elle mettait en relief leur apport à la personnalité algérienne, dénonçait leur étouffement par les autorités coloniales, elle appelait même à l’effort quotidien, sans attendre l’indépendance, pour défendre et développer le patrimoine culturel et linguistique arabe et islamique. La défense et la promotion du patrimoine culturel berbère avait à cette époque pour nous valeur de principe et non de préalable. L’histoire a tranché au bout de cinquante ans quant à la légitimité et l’importance de cette vision nationale. Bien des déboires auraient été évités à la nation durant le demi-siècle écoulé, si les clarifications avaient été faites à temps par tous ceux dont c’était la vocation et le devoir , et si la solution de ces problèmes identitaires, comme de ceux touchant aux domaines économiques, politiques, sociaux et d’autres, n’avait pas été sacrifiée à des enjeux de pouvoir étroits, c’est à dire déconnectés de l’intérêt général et national. Ici je reviens au plus important, qui est, je le disais tout à l’heure,un aspect resté à ce jour plus ou moins méconnu et sous estimé dans la conduite des affaires de la nation, plus ou moins maltraité autant par les cercles dirigeants et gouvernants, qu’au niveau de la société et des mouvements censés la représenter. Je veux parler de la nécessaire attention à porter à l’articulation positive entre les fondements identitaires et les fondements objectifs de la nation. Dans ces derniers, j’inclus les questions économiques et sociales ainsi que les enjeux de pouvoir politique qui les accompagnent de façon ouverte ou masquée, autoritaire ou démocratique. L’articulation entre ces deux fondements a été à mon avis l’ apport le plus essentiel de la plate-forme de 1949, en dépit de ses insuffisances et de ses limites, qui auraient été surmontées collectivement si un vrai débat, même intérieur au MTLD ou à ses instances supérieures, avait été instauré. Cet apport est d’avoir placé l’articulation entre mobiles subjectifs et intérêts objectifs au centre des préoccupations, et d’y avoir répondu en proposant comme approche consensuelle le triple mot d’ordre : Nation, Révolution et Démocratie, en insistant sur l’imbrication de ces trois axes. Ainsi, les aspects identitaires n’étaient pas abordés comme s’ils étaient autonomes, se suffisaient à eux mêmes ou traités pour eux mêmes. C’est le cas dans nombre de positions qui font tout pour absolutiser ce facteur, par ailleurs très important même quand il n’est pas toujours du domaine du rationnel, et souvent pour des intérêts inavoués. Toute la première moitié de la brochure qui traitait l’axe de la nation et de l’algérianité, indiquait bien l’importance des sentiments et des prises de conscience identitaires. Mais elle leur donnait du fait de l’émergence nationale une signification autre que les étroitesses des communautarismes traditionnels. Les colonialistes reconnaissaient en fait les appartenances communautaires en les opposant les unes aux autres et en les réduisant à leurs aspects les plus appauvris et les plus sclérosés. Le fait majeur qui structurait désormais nos luttes pour la liberté, résidait dans l’émergence d’une communauté historique nouvelle, la nation, que les colonialistes ne voulaient reconnaître à aucun prix parce que, scellée en résistance au choc colonial moderne, elle dépassait les structures et les cloisonnements traditionnels pour briser l’oppression. La Nation ne pouvait déboucher sur son accomplissement que par la disparition des bases matérielles et institutionnelles de la domination coloniale française, c’est la raison pour laquelle la définition de la nation consacrait dans la brochure de 49 une si grande place à l’analyse de la domination coloniale dans ses formes et sa substance modernes. C’est en raison de cette qualité nouvelle de la résistance algérienne à l’oppression et à l’exploitation coloniale que toute la deuxième moitié du document de 49 était consacrée à mettre en lumière l’importance de la démocratie sociale et politique, à la fois comme fin et moyen, comme objectif et instrument de la transformation révolutionnaire. La première moitié du document plantait en quelque sorte le décor statique et le positionnement des repères identitaires sur la scène nationale. La seconde moitié mettait en avant les orientations les plus aptes dans ce décor national à animer les acteurs de cette transformation vers la liberté et la justice, s’ils voulaient être en accord avec la logique du changement historique qu’ils souhaitaient. ===> L’affirmation nationale prenait son plein sens aux yeux des nationaux si elle donnait une consistance, un prolongement, une substance à leurs sentiments de révolte, à leur soif de liberté, de respect de leur dignité et de leur personnalité, par une conquête tangible que nous appelons aujourd’hui et que nous appelions déjà aussi en 49: la citoyenneté, dans tous les domaines. Ce n’était pas là un parti pris idéologique d’intellectuels ou d’intellectomanes, triste étiquette que se plaisaient à nous coller certains bureaucrates de la rue Marengo, au siège central du MTLD, pour exciter contre nous les militants honnêtes ou les truands qu’ils incitaient à nous bastonner ou pire. Une étiquette reprise aujourd’hui par leur héritiers spirituels quand ils traitent ironiquement les défenseurs des droits de l’Homme et du citoyen de « droits de l’hommistes », feignant d’ignorer que cette sensibilité à la souffrance et aux violations des droits humains n’est pas l’apanage des intellectuels, mais de millions d’hommes et de femmes qui l’expriment sous des formes variées, heureuses ou malheureuses, contre une hogra massive, odieuse et systématique. Avant 1954, du profond de notre société s’exprimait, en même temps que la flamme nationale, la soif de justice sociale et du respect des droits humains jusque dans la vie quotidienne, à travers les luttes ouvertes des corporations ouvrières notamment dans leurs catégories les plus exploitées, mineurs, dockers, ouvriers agricoles. Ces luttes visibles étaient la partie émergente d’un iceberg géant de souffrances sociales et de sentiments rentrés de révolte profonde de la masse des sans emplois et des paysans pauvres qui survivaient dans des conditions infra humaines. Je dois dire que certains leaders nationalistes rivalisaient malheureusement de zèle dans la méconnaissance de ces aspects sociaux et démocratiques, allant jusqu’à boycotter les luttes syndicales ou la solidarité ouvrière et paysanne envers le peuple viet namien. Mais nombre de militants nationalistes et syndicaux, engagés dans les luttes des corporations de traminots, cheminots, enseignants et dockers par exemple, déploraient ces pratiques. Certains ont commencé à rejoindre le PCA. C’est dans la première moitié des années cinquante que le sens du nomadisme militant entre les deux formations a commencé à s’inverser dans les divers milieux, pour une bonne part en raison de la prise en considération insuffisante ou négative par la mouvance nationaliste de la dimension démocratique et sociale. Tandis qu’auparavant nombre de jeunes patriotes quittaient les rangs communistes après y avoir puisé des brins ou une teinture de marxisme, c’était des jeunes nationalistes qui rejoignaient les rangs d’organisations syndicales ou communistes. Le PCA, après avoir reconnu en 1946 sa sous-estimation de la demande légitime d’identité nationale des Algériens, l’avait ensuite fortement intériorisée dans ses rangs et son action, tout en continuant à l’associer au volet social et démocratique, inséparable à ses yeux d’une véritable libération nationale. Pour l’anecdote, Abdelhamid Benzine, alors permanent clandestin du PPA, avait rencontré en 1950 au Guergour un de ses amis d’enfance qui lui raconte combien l’atmosphère était devenue plus chaleureuse et mobilisatrice à l’AEMAN dont j’étais alors le président (après avoir quitté le PPA sans avoir adhéré encore au PCA). Hamid, alarmé et déchaîné comme il sait l’être à ses moments où quelque chose ne lui va pas, lui dit : fais attention, les communistes, tu ne les connais pas. Ils vont t’avaler avec leur idéologie ! Deux ans plus tard, ce même ami rencontre à Paris Hamid qui était accompagné de M’Hammed Yazid et s’occupait de syndicats des Algériens immigrés. Il lui raconte qu’il avait voulu sensibiliser Messali à l’importance du travail syndical et que le leader lui dit, d’un ton paternel : fais attention, je vois que les communistes risquent de te tourner la tête. Plus tard, le même ami retrouve Hamid à Alger qui lui apprend qu’il a réfléchi et fait son choix, qu’il travaille et milite comme rédacteur à Alger républicain. La même poussée de la société s’est manifestée dans les rangs d’un MTLD entré sans une crise où se sont imbriqués les clivages socio-politiques et luttes de factions. La demande démocratique s’est notamment exprimée dans le courant centraliste, dont l’organe a repris en septembre-octobre 54 des passages entiers de la plate-forme de 1949, relatifs aux deux axes de la nation et de la démocratie, à l’exception du troisième volet : celui de Révolution. C’était malgré cette lacune un fait positif, malheureusement tardif, dans un climat alourdi par les méfiances et les sectarismes internes après tant de dégâts. Je signale entre parenthèses que la camionnette du MTLD qui est venue prendre livraison de cette publication et son conducteur ont essuyé la violente agression d’un commando messaliste. C’est ce qui me serait arrivé moi même cinq ans auparavant en 1949 devant la même imprimerie, à l’instigation de certains des futurs centralistes, si avec des militants de l’OS de Larbâa, tous arabophones je le souligne, nous n’étions venus prendre livraison de la brochure quelques heures avant ce qui était prévu. ===> Lorsque le troisième volet, celui de la lutte révolutionnaire, a trouvé son expression armée à partir du 1er novembre 54, le courant démocratique et social au sein du mouvement national s’est manifesté en particulier dans la Charte de la Soummam. Celle ci ouvrait théoriquement des horizons sociaux et démocratiques, malgré certains brouillages sectaires et politiciens perceptibles dans sa rédaction et malgré surtout les dérives activistes et les luttes de pouvoir féroces qui ont suivi dans les maquis ou à l’extérieur. Elles étaient imputables en partie aux habituelles complications inhérentes aux contextes de guerre, mais furent aggravées par le déficit en clarifications politiques et en esprit de débats unitaires, déficit qui avait prévalu dans les années précédant l’insurrection. La création de l’UGTA elle même avait obéi, au niveau des dirigeants activistes de l’ALN et du FLN, davantage à des calculs, à mon avis discutables, de stratégie internationale e t de compétition avec le courant messaliste, plutôt qu’à une prise en charge profonde des aspirations des travailleurs. Celle ci aurait dû impliquer une réelle autonomie de la centrale ouvrière, ce qui d’ailleurs aurait rendu plus efficient son soutien au FLN. D’où le malaise soulevé parmi des travailleurs et des syndicalistes FLN par cette décision, comme nous en a fait part Abbane Ramdane quand Bachir Hadj Ali et moi même l’avons rencontré avec Benyoussef Benkhedda au printemps 56. Nous ayant demandé notre avis, nous lui avions répondu qu’il était possible de réparer cela et de procéder à l’unification du mouvement syndical à partir d’élections démocratiques à la base. Cela était encore réalisable dans la semi-légalité des syndicats à l’époque et aurait eu dans tous les cas une énorme signification symbolique pour la continuité des meilleures traditions démocratiques et de lutte des syndicats. Khçara, grand dommage aussi bien pour les travailleurs que pour la nation. Vous connaissez la suite aussi bien que moi,. De l’indépendance à nos jours, la crédibilité et la capacité de mobilisation de l’UGTA n’ont jamais pu se remettre de la tare originelle qui a présidé à sa naissance bureaucratique. L’engrenage pervers n’a pas été forcément voulu comme tel au départ par une partie de ses concepteurs, mais n’a pas été plus tard ni diagnostiqué comme tel ni traité correctement. A part quelques épisodes plus fastes qui ont fini par tourner court, le social, le mouvement syndical et les couches laborieuses ont fait les frais de multiples caporalisations successives et de reprises en main brutales quand la base des salariés et l’opinion démocratique parvenaient à desserrer plus ou moins l’étau. Les travailleurs, les couches sociales déshéritées et la justice sociale n’ont pas été les seules victimes, mais aussi d’autres couches et catégories sociales et en définitive l’intérêt de la Nation. D’abord parce que quand ça ne va pas bien pour une catégorie de la population, les conséquences multiples en retombent sur toute la nation, sur sa cohésion et sa prospérité. Mais aussi parce que les orientations antisociales relèvent d’une méconnaissance et d’un déni du besoin de convergences et de synergie entre tous les facteurs qui fondent et renforcent la nation. Il faut non seulement harmoniser les multiples représentations et expressions subjectives et identitaires de l’appartenance nationale, mais aussi et en même temps instaurer les règles du jeu démocratique, les faire respecter dans la vie publique en fonction de l’intérêt général à évaluer concrètement. C’est la seule façon d’éviter que la compétition autour des intérêts de classe et autour des enjeux de pouvoir économiques et politiques, tout à fait normale et inévitable, ne transforme l’espace national en une jungle et le pouvoir d’Etat en vulgaire instrument de groupes restreints qui considèrent la Nation comme un butin de guerre et la population laborieuse comme un troupeau de serfs contre qui tous les coups sont permis. Tout au long des évolutions ultérieures de l’Algérie indépendante, on retrouvera des scénarios répétitifs et des configurations similaires dans leur substance si ce n’est dans leur forme à celle de l’immédiate après-indépendance, lorsque en 1962 se sont succédés le coup de force de l’ALN des frontières, l’interdiction d’une vie politique démocratique inaugurée par l’interdiction du PCA dès novembre 62, puis au début de 1963 le scandaleux hold-up anti-syndical perpétré par des hommes de main stipendiés contre le premier Congrès de l’UGTA. La vérité oblige à dire que les clans dirigeants qui se faisaient et se défaisaient en restant à l’affût des uns contre les autres, se retrouvaient comme un seul homme pour perpétrer leurs coups tordus contre les travailleurs ou pour l’approuver, les autres gardant le silence, à l’exception de Ait Ahmed qui avait publiquement élevé une objection de principe contre l’interdiction du PCA, et cela bien avant la création du FFS. Les conjurations au sommet éclataient et se recomposaient en factions rivales sans principe ni continuité de projet politique, sinon la préoccupation de choisir la bonne coalition, celle qui aurait le plus de chance de l’emporter pour le contrôle de l’avoir et du pouvoir. Quant au savoir, au bon sens et à l’attention envers le sort de la population, ils s’en réclamaient mais dans le meilleur des cas en la laissant au second plan, la priorité pour eux étant l’ascension dans l’échelle ou les strapontins des pouvoirs. Les orientations de fond, les Chartes et autres documents qu’ils demandaient aux militants et cadres honnêtes d’élaborer, ils les adoptaient sans hésiter à la quasi unanimité mais c’était pour la galerie, comme l’avait confirmé Boumediène à Benzine quand ce dernier au cours d’une entrevue lui avait parlé des orientations proclamées officiellement dans les Chartes et les Constitutions : c’est le pouvoir qui compte, lui avait-il répondu avec un sourire entendu, comme pour lui dire : comme vous êtes naïfs, toi et tes camarades. Pour mémoire, quand Alger républicain a publié intégralement la Charte de Tripoli au cours de l’été 62, ce fut un concert de reproches contre cette initiative de la part des candidats au pouvoir qui se déchiraient mais communiaient dans le même souci. Il leur fallait maintenir ces documents comme chasse gardée exclusive et caution de leurs projets occultes et non comme guide et outil pédagogique pour le peuple au nom duquel ils étaient proclamés. Ce manque de considération des dirigeants récemment promus envers le peuple, le peuple le leur rendait bien. Les Algériens qui étaient prêts à les accueillir en héros, et qui face au cliquetis des armes clamaient leur soif de paix « Seb’âa snin barakat », 7 ans ça suffit, (encore un mot d’ordre que les assoiffés de pouvoir ont reproché à Alger républicain d’avoir étalé sur toute la largeur de ses colonnes), ce peuple a été abasourdi par le spectacle d’une caste encore invertébrée, s’agitant dans tous les sens pour monter sur les épaules des autres. Il a commencé à les désigner comme « ç’hab en-nidham » (« ceux de l’organisation »). La vox populi percevait ce sobriquet de façon bien précise, elle donnait désormais au verbe « nedhem » (organiser) le sens de faire main basse sur les biens qui revenaient à la nation. ===> Mon propos ici n’est pas d’évoquer ce que les Algériens et les Algériennes connaissent bien, l’amertume de ce qui aurait pu se faire et ne l’a pas été, sous une République qui avait choisi d’annoncer la couleur en s’intitulant démocratique et populaire. Le nouveau système a commencé par instaurer un fossé entre l’Etat et ceux et celles qui, parce qu’ils (et elles) avaient porté à bout de bras la révolution et ses organisations armées et civiles, méritaient et étaient capables de jouir du statut de citoyens et citoyennes et non pas relégués à celui de sujets d’un Etat où les droits et les devoirs sont devenus à sens unique. Les réalisations et les acquis réels de l’Algérie à certaines périodes ont été estimés à juste titre en deçà des attentes et des possibilités. Il y aurait beaucoup à dire et je n’en dirai pas plus ici à propos de ce que furent à la fois les points forts et les effets mystificateurs de ce qui a été l’option officielle d’un socialisme « spécifique ». Si j’ai évoqué ce mauvais départ de l’Algérie indépendante, c’est surtout pour essayer de comprendre dans l’intérêt du présent, la façon à éviter et à bannir absolument pour l’avenir, dont s’est ouvert au départ le fossé entre gouvernants et la masse des gouvernés, entre la société et les détenteurs des rouages de l’Etat, un fossé que n’ont pas comblé les décennies suivantes jusqu’à scinder la Nation en plusieurs lignes de fracture dont chacun mesure aujourd’hui les risques. Je le souligne, parce qu’aujourd’hui encore parmi les intellectuels « organiques » du pouvoir, l’un d’entre eux à l’occasion du cinquantenaire du 1er Nov 54, faisant peut être par excès de zèle beaucoup plus œuvre de communication que d’analyse, a dédouané les pouvoirs algériens de cette responsabilité première, en soutenant que les déboires de l’Algérie sont dus au contexte international après l’indépendance. Totalement faux. Jamais malgré des difficultés réelles et surmontables, ce contexte n’a été aussi favorable qu’au cours des dix ou vingt premières années à une Algérie dont le prestige et l’autorité étaient considérables dans le monde, grâce à quoi d’ailleurs ont été entamées nombre de réalisations qui ont permis à l’Algérie de tenir encore debout malgré les lourdes épreuves ultérieures. N’était-ce pas l’époque, après la glorieuse période de Bandoeng, du Front des Non alignés, de la revendication du nouvel ordre international, l’époque où l’une des plus fortes paroles de Boumediène avait résonné dans le Tiers Monde quand il avait proclamé : « Les musulmans ne veulent pas aller au Paradis le ventre creux » ? C’est depuis une vingtaine d’années, vous le savez bien, que le contexte mondial s’est retourné, je ne peux non plus m’étendre sur ce thème ; et cela nous impose justement de voir mieux en face nos responsabilités pour aujourd’hui. Ce serait d’ailleurs taper à côté de parler du passé seulement pour culpabiliser des personnes ou des groupes. Il est autrement plus productif de s’interroger sur les mécanismes qui ont entravé et risquent de continuer à entraver les convergences, les synergies entre les facteurs objectifs et subjectifs, les piliers sur lesquels se construit la nation, entre les actions et entre les groupes qui font la force et le progrès des nations. Que signifie pour le succès d’objectifs communs, construire et faire vivre une unité d’action qui ne reste pas seulement en paroles ? Les couches populaires durant la guerre, en dépit de tout, y compris des divisions ou tensions locales imputables aux pressions colonialistes ou à des méthodes autoritaires ou maladroites de certains cadres de l’ALN ou du FLN, avaient fait bloc parce qu’ils ressentaient profondément ce qu’impliquait l’unité d’action pour leur destin collectif. Elles n’étaient pas partie prenante dans les querelles, conflits et ambitions des cercles placés par les méandres de la guerre aux postes dirigeants. Aussi ne pouvaient-elles au lendemain de l’indépendance que se démobiliser et réprouver les comportements des courants ou des dirigeants qui n’ont pas su ou voulu subordonner ensemble leurs orientations, leurs intérêts, leurs modes de pensée ou leurs ambitions aux besoins concrets de la nation libérée. Loin d’écouter et mettre à profit la soif d’unité d’action de la population qui était prête à beaucoup pour cela, ils ont cherché à faire avancer seulement leur propre cause, leurs seuls intérêts, leurs seules visions, avec dans le meilleur des cas ce que chacune de leurs motivations pouvait avoir de légitime. Et dans ce but, ils ont souvent attisé dans la population des polarisations identitaires, politiques ou idéologiques qu’ils auraient du ensemble œuvrer à faire converger au profit du social. Le social et son nécessaire accompagnement et soutien démocratique, a été le parent pauvre alors qu’il aurait dû être la priorité et le ciment de la rénovation et de la refondation nationale dans la liberté conquise. N’est ce pas ce qu’auraient pu et du faire les courants et les forces qu’ont représenté dans les trois premières années de l’indépendance des leaders comme: Benkhedda, Abbas, Benbella, Boumediène, Ait Ahmed et Boudiaf, tous ensemble et en particulier, étrange paradoxe, ceux d’entre eux qui se prononçaient pour des horizons socialistes ?. Je ne vais pas plus loin, mon but est de susciter la réflexion. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ? N’y a-t-il pas eu la croyance que le sort de la nation et l’édification d’un Etat fort devait continuer à s’en remettre aux armes même après l’indépendance ? Erreur terrible sur l’étape, sur l’ennemi véritable et sur les intérêts de la société algérienne, désormais théoriquement maîtresse de son destin. Je dirai même faute tragique, dont plusieurs leaders et courants, durant des décennies de souveraineté nationale vont continuer à entretenir l’illusion et les dégâts, au point que même des opposants croiront opportun, légitime et profitable d’utiliser la violence armée. ===> La question est aujourd’hui : est-ce que malgré les enseignements d’expériences coûteuses pour la Nation, va continuer à sévir la raison du plus fort, militairement ou policièrement parlant, ou bien va-t-on œuvrer à faire progresser la force et l’union de ceux qui croient en le droit des citoyens d’exprimer démocratiquement leurs avis sur les solutions concrètes d’intérêt général, ainsi que leur droit d’exercer leur contrôle sur les pratiques mises en œuvre ? Dans une conjoncture nationale altérée par des décennies d’arbitraire et dans un contexte international où la violence armée prétend annihiler le droit et la volonté des peuples, continuera-t-on à s’entendre dire: pas besoin de débattre, ce sera ainsi, même si vous jugez que ce n’est pas de votre intérêt ? L’avenir dépendra de la capacité des citoyens et des peuples à faire entendre leurs voix et à imposer pacifiquement leurs choix. Rien n’est fatal, il y a des raisons d’inquiétude, et il y a des raisons d’espérer. Le pire est de rester dans le doute sans prendre la peine de s’interroger et s’informer. Il y a pire encore : c’est accepter ou alimenter la vieille rengaine que nous serinaient les collaborateurs du colonialisme pour justifier leur collaboration: « la main que tu ne peux mordre tu dois l’embrasser». Je comprends ici que j’ai atteint ou même dépassé mon temps de parole. Il y a presque autant de choses que j’aurais aimé dire sur des points essentiels, tels que la nation et la violence, la nation et l’islam, la nation et la mondialisation. J’aurai peut être la possibilité de les aborder au cours des débats ou en d’autres occasions. Bien sûr, ce qui préoccupe chacun de nous, c’est de tirer les enseignements de chaque décennie écoulée depuis l’indépendance, pour faire avancer de front et de façon pacifique la nation et la société sur leurs deux appuis que sont le social et la démocratie. Particulièrement pour nos peuples qui sont ciblés et étiquetés dans le « Grand et Moyen Orient », cet espace politique et de civilisation que la stratégie des USA prétend démocratiser, autrement dit, faire main basse à la fois sur ses ressources matérielles, ses espoirs de bien-être social et de liberté, et ce qui revient au même, sur l’honneur des Nations qui le constituent. ===> Serons nous capables de défendre tout cela comme lors de notre première lutte d’indépendance, dans un autre contexte international que celui des années 50 et 60? Cette dimension mondiale s’est accentuée en effet depuis, porteuse à la fois de lourds dangers mais aussi de nouveaux espoirs. Si nous combinons notre expérience propre et celle des autres peuples et des nations face au néo-impérialisme, de nombreux signes indiquent qu’il existe des ressources insoupçonnées et un grand potentiel de résistance sur le terrain diversifié des luttes pacifiques massives, contre lesquelles les armadas militaires, financières et médiatiques les plus puissantes resteront désarmées. Pour faire court, je vous invite à jeter un coup d’œil sur le continent latino-américain. Là où ont succombé les illusions généreuses et sans lendemain de Guevara et de ses modèles, là où furent étouffées dans le sang les admirables tentatives démocratiques du Chili de Allende ou du Nicaragua des Sandinistes, là où n’ont pas tenu les putsch de militaires progressistes, on assiste à l’éclosion de puissants mouvements nationaux, démocratiques et sociaux qui méritent réflexion. Le monde de Porto Allegre est devenu une espèce de symbole face à celui de Davos. Il ne s’agit pas de modèle mais d’exemple. Le modèle algérien, c’est à nous de le constituer, il suppose d’en forger ensemble la culture politique, si déficiente jusqu’ici. Ayons donc recours à une nouvelle médecine et une nouvelle thérapeutique comme on nous y invite. Mais précisément une médecine sérieuse, soucieuse de consultations et délibérations entre toutes les compétences pour identifier de façon précise le mal et les déficiences des thérapeutiques précédentes, soucieuse de déontologie médicale qui prend en compte l’intérêt et l’accord du principal concerné, le peuple algérien rendu malade par quarante années de pratiques antidémocratiques et anti sociales qui l’ont frappé de l’intérieur et de l’extérieur. Pour tout dire et pour terminer, comme Algérien, solidaire des souffrances et des luttes des peuples palestinien, irakien et de tant d’autres, je tiens à saluer aussi le courage et la sagesse d’un peuple debout et d’un Etat comme ceux du Venezuela. Leur force présente vient de ce qu’ils ont su unir la détermination des syndicats de travailleurs et du peuple des bidonvilles, la vigilance et le savoir des économistes non pervertis, la loyauté de l’armée envers sa vocation nationale, l’ancrage des partis démocratiques dans leur société, tout cela en renouant avec le symbole prestigieux du drapeau et de la révolution patriotique de Simon Bolivar il y a deux siècles. Je vous remercie et m’excuse de la longueur.

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

La crise de l’été 1962 : La "2ème mort" du congrès de la Soummam La vulgate résume la profonde crise de l’été 1962, qui mit devant un péril mortel la République algérienne à peine née, par la formule lapidaire : l’Affaire des Wilayas. jeudi 8 juillet 2004. Si les conseils des six Wilayas ont effectivement joué un rôle, en apparence, de premier plan, ils n’ont, en fait, été que les instruments d’une partie de roulette russe à laquelle se livraient, pour le pouvoir évidemment, l’état-major général (EMG), autrement désigné par le nom générique « Armée des frontières », et des hommes forts de la direction de la guerre de Libération, entre autres ceux que la presse appelait « les trois B ». Le GPRA pas plus que le CNRA, instances dirigeantes, n’ont pas résisté au jeu des alliances. Ces deux institutions « légales » ayant été vidées de leur sens par la réunion de Tripoli de mai-juin 1962 et de leur contenu par le jeu des alliances et mésalliances auquel se sont livrés ses membres adoubés par cooptation. Les événements de cet été meurtrier peuvent, à juste titre, être considérés comme la « deuxièmemort » du Congrès de La Soummam qui voulait prendre la précaution d’assurer « la primauté du politique sur le militaire » et « la primauté de l’intérieur sur l’extérieur ». Tout n’a pas commencé en 1962. Ce n’était qu’un acte, pas le dernier malheureusement, d’une tragédie dont l’auteur demeure le hasard des hommes et des événements. 27 mai 1962 : Le CNRA se réunit à Tripoli (Libye) pour, en principe, entériner les termes des accords d’Evian. L’ordre du jour est rapidement débordé. A la hâte, la conférence adopte, après amendements, un programme de gouvernement préalablement élaboré à Hammamet (Tunisie) par un groupe de travail composite, présidé par Ben Bella, constitué de jeunes intellectuels, à la voilure décisionnelle limitée, qui n’avaient, hélas ! d’autre pouvoir que celui de leur incontestable talent. Ce document que l’histoire retient sous le nom de programme ou parfois charte de Tripoli établit le régime socialiste comme modèle de développement et impose le parti unique comme système politique. L’atmosphère est tendue. Les premières alliances, parfois « curieuses », se dessinent dès qu’il s’est agi de la composition du bureau politique. Boudiaf libéré des prisons de France refusera d’ailleurs d’en faire partie et quittera la réunion. Les débats se déroulent en termes crus, aux limites de l’irrévérence. Les luttes pour le pouvoir s’exacerbent. La politique est aux vestiaires. L’irrespect dans la pochette. Les ambitions éclatent au grand jour. Nourrie de compromis, animée par le sempiternel esprit de la cooptation, la crise prévisible, comme une colère contenue, sous incubation durant (à tout le moins) toute la période que couvrait le conflit armé, fait voler en éclats la cohésion spécieuse et les apparences de fraternité. Les héros sont nus. Durant tout l’été qui allait suivre, ils offriront, au peuple, qui attend le retour de ses enfants prodiges, un spectacle déchirant. 7 juin : Toujours à Tripoli, Ben Khedda, président du GPRA, est vertement tancé. Son action est critiquée. Ben Bella, jusqu’en mars, le plus célèbre des prisonniers de France qui goûte aux premiers mois de liberté, s’en prend à l’ancien centraliste, dissident du MTLD, en des termes que tous les témoins jugent grossiers et licencieux. Se sentant déjà vaincu, dès les premières passes d’armes, le deuxième président de l’histoire politique de l’Algérie quitte les travaux du congrès du CNRA. La réunion, qui devait être celle des retrouvailles et de la fraternité recouvrée, capote. Après une violente altercation entre Ben Bella et le colonel Salah Boubnider, la séance est suspendue et les assises avec. La direction, qui se voulait jusque-là collégiale et consensuelle, explose. Le FLN implose. Un chassé croisé sans équivalent dans toute l’histoire, va suivre l’échec politique de la capitale libyenne. Comme un vol de perdrix, éclaté et bruyant, les membres du CNRA vont se répandre dans les capitales des pays arabes et même chez l’ancien ennemi après l’indépendance, pour s’assurer alliances et appuis divers nécessaires à la conquête d’un pouvoir qui semble, à tous, comme à portée de main. 24 au 25 juin : Deux semaines après la débâcle de Tripoli, en Algérie, après permission des pouvoirs français, les accords d’Evian ne les y autorisant pas avant le référendum, débarquent Krim Belkacem, membre du puissant triumvirat que l’on appelait les trois « B » (avec Boussouf, Ben Tobbal) et Mohamed Boudiaf. Ils seraient les inspirateurs de la démarche des responsables des Wilayas II, III, IV, de la Zone autonome d’Alger et de délégués de la Fédération de France auprès du GPRA à Tunis, qui se réunissent à Zemmoura (Wilaya III) pour « examiner la crise entre le GPRA et l’état-major général (EMG) ». A l’issue de la rencontre, ils créent un « comité interwilayas ». Ils condamnent « la rébellion » de EMG, alors dirigé par le colonel Houari Boumediène, assisté par les commandants Ali Mendjeli et Kaïd Ahmed, le quatrième membre, en l’occurrence le commandant Azzedine, ne figurant plus, étant rentré à Alger, avec un ordre de mission du GPRA pour organiser la lutte contre l’OAS. Il siégera lors de cette réunion en qualité de chef de la Zone autonome d’Alger (ZAA). Le comité nouvellement créé demande au GPRA de dénoncer l’EMG. Ils appellent les Wilayas I, V et VI à se rallier à leur action. Mais ces derniers ont d’autres projets, ils rejoignent l’état-major. 27 juin : Une délégation du comité interwilayas né à Zemmoura se rend à Tunis où elle est reçue par quatre ministres du gouvernement provisoire. Les délégués présentent leurs doléances et leurs exigences, notamment la dissolution de l’état-major et l’arrestation de ses membres. La réunion est houleuse, elle se termine par le retrait de Mohamed Khider, un autre parmi les cinq de l’avion piraté par les autorités françaises le 22 octobre 1956 et détenu en France jusqu’au lendemain des accords d’Evian. Ben Bella quitte discrètement Tunis pour Le Caire après une brève escale à Tripoli à bord d’un avion égyptien. 30 juin : Suite aux exigences du conseil interwilayas, le GPRA annonce à Tunis la décision de décapiter EMG et dégrade le colonel Boumediène ainsi que les commandants Mendjeli et Slimane (Kaïd Ahmed). Boumediène quitte Ghardimaou pour se rendre en Wilaya I commandée par Tahar Z’biri. 1er juillet : Le référendum consacre l’Algérie indépendante par 99, 72 % de « oui » (5 994 000 sur 6 034 000 votants et 530 000 abstentions). Ignorant avec une superbe remarquable les affrontements entre les factions et leurs représentants, le peuple algérien se consacre entièrement à sa joie et à ses peines en ces jours uniques dans son histoire. Un hymne, un emblème, ces centaines et centaines et centaines de milliers de morts et puis un mot. Plus doux que le miel qui coulera au paradis, plus blanc que le lait des rivières de l’Eden : Algérie... Ce jour-là, seule la petite histoire, mais alors la toute petite, aura retenu que Ben Bella avait désapprouvé la décision du GPRA de « dégrader » les officiers de l’EMG. 2 juillet : Dans les villes et les campagnes, dans les dunes, dans les montagnes, le colonisé mutant en citoyen ne cesse pas de métamorphoser ses peines en joie et de libérer dans un cri immense ses souffrances avalées de 132 ans de domination, sans doute la plus humiliante que puisse vouloir un homme pour un autre homme. Ce jour-là aussi, l’état-major du « front ouest » (Oujda) s’est déclaré solidaire du colonel Boumediène et de l’EMG. 3 juillet : Proclamation officielle de l’indépendance de l’Algérie. La France reconnaît l’Etat algérien. L’ancienne puissance occupante remet tous les pouvoirs au chef de l’Exécutif provisoire, Abderahmane Farès. Jean-Marcel Jeanneney est désigné comme premier ambassadeur de France en Algérie. Le GPRA, affaibli par la terrible crise qui secoue le landernau politique algérien, fait son entrée à Alger sans Ben Bella (au Caire) et Khider (à Rabat). La voix fluette du président Ben Khedda, les chants patriotiques que déversent les haut-parleurs sur la foule en délire cachent mal les tourments qui menacent le pays. Les premières unités de l’ALN, stationnées au Maroc et en Tunisie, franchissent les frontières conformément aux accords d’Evian. 4 juillet : Moment hautement symbolique s’il en est, pour la première fois le GPRA, contesté par Ben Bella, qui se trouve toujours auprès de Gamal Abdenasser au Caire, et l’EMG désormais dans les frontières intérieures, se réunit à Alger, capitale du jeune Etat algérien. 5 juillet : Nul ne comprendra pourquoi le GPRA prend la décision de mettre fin aux manifestations populaires et ordonne la reprise du travail. 6 juillet : Dans un entretien avec un journal cairote, Ben Bella accuse le GPRA « d’agissements contre-révolutionnaires » et réclame une réunion urgente du CNRA. 7 juillet : Plusieurs démarches sont entreprises pour essayer de désamorcer la crise entre Ben Bella et le GPRA. 9 juillet : Le comité interwilayas tente d’apaiser la situation et lance des appels à qui veut bien les entendre, chacun étant arc-bouté sur ses positions, cherchant plutôt à en renforcer les défenses, à éviter l’affrontement. Il propose en outre la création d’une nouvelle direction. M’Hamed Yazid, habile communicateur et redoutable diplomate, accompagné de Rabah Bitat, membre du « groupe des six » qui ont décidé du déclenchement du 1er Novembre, sont dépêchés à Rabat pour y rencontrer Ben Bella, Mohand Ou El Hadj (wilaya III) et le colonel Hassan (Youssef Khatib de la Wilaya IV) se joignent à eux. Les entretiens sont infructueux. 11 juillet : Le conseil de la Wilaya IV empêche Ben Khedda, président du GPRA, de tenir un meeting à Blida. Tandis qu’à l’ouest du pays, Ben Bella entre à Tlemcen où il s’établit. 12 juillet : Ben Bella arrive à Oran avec Ahmed Francis et Ahmed Boumendjel, tous deux anciens proches de Ferhat Abbès au sein de l’Union démocratique pour le manifeste algérien (UDMA). 16 juillet : Boumediène ainsi que d’autres membres du CNRA rejoignent Ben Bella à Tlemcen. Ferhat Abbès, premier président du GPRA, écarté le 27 août 1961, futur premier président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), rallie les partisans de Ben Bella, tout en désapprouvant le principe de parti unique retenu par le programme de Tripoli. 17 au 22 juillet : Réunion de toutes les wilayas à El Asnam (Chlef). Aucun accord de sortie de crise n’a été dégagé. 19 juillet : Nasser, (Egypte), le roi Idriss 1er (Libye), Sékou Touré (Guinée) et Modibo Keita (Mali) offrent leur médiation entre le groupe d’Alger et celui de Tlemcen. C’est un échec malgré la volonté de conciliation du GPRA. 22 juillet : Ahmed Boumendjel, porte-parole du « groupe de Tlemcen », annonce que Ben Bella et ses alliés ont constitué un bureau politique (BP) « chargé de prendre en main les destinées de l’Algérie ». Le BP est composé de MM. Ben Bella, Aït Ahmed, Boudiaf, Mohammedi Saïd, Bitat, Khider et Hadj Ben Alla. On notera que les cinq compagnons de cellule de Ben Bella figurent dans cette institution. Toutefois, Aït Ahmed et Boudiaf refusent d’y figurer. 23 juillet : Ayant décliné l’offre du « groupe de Tlemcen », Boudiaf et Aït Ahmed se retirent à Tizi Ouzou. Ils décident de contrer leur ancien camarade de détention ainsi que ses alliés. Ils leur prêtent « l’intention d’instaurer une dictature en Algérie ». De son côté le GPRA adhère au principe du bureau politique sous condition de son acceptation par le CNRA. 24 juillet : Attentive aux événements qui se déroulent dans son ancienne colonie, la France menace d’intervenir « si la situation s’aggravait... pour protéger ses nationaux ». 25 juillet : Malgré les engagements de Ben Bella auprès du colonel Boubnider, le commandant Larbi Berredjem de la Wilaya II rejoint le camp des partisans de Ben Bella et prend le contrôle de la ville de Constantine. Il y a des affrontements, on y dénombre des morts. Boubnider et Ben Tobbal sont arrêtés. Boudiaf appelle les Algériens à s’organiser pour « faire échec au coup de force ». 27 juillet : Krim Belkacem et Boudiaf s’installent à Tizi Ouzou d’où ils appellent à la création d’un « comité de liaison et de défense de la Révolution » dont le siège serait dans la capitale du Djurdjura. Ainsi, après Alger et Tlemcen, voilà que Tizi Ouzou, à son tour, devient une troisième « Baïkonour » pour l’accession au pouvoir. La Wilaya IV refuse de se joindre à ce qui est désormais le « groupe de Tizi Ouzou ». Deux jours après son arrestation à Constantine, Ben Tobbal est libéré et il gagne Alger d’où il envoie un signal on ne peut plus clair à Ben Bella. Il déclare en effet : « Le GPRA avait donné son accord sur la composition du bureau politique et Mohammedi Saïd était parti à Tlemcen en émissaire... Un bureau politique, c’est mieux que le vide politique. » De leur côté, Saâd Dahlab et Hocine Aït Ahmed, qui n’appartiennent encore à aucun groupe, quittent le GPRA et l’Algérie. On relèvera également, à Alger, des entretiens entre Khider, cheville ouvrière du « groupe de Tlemcen », et Ben Khedda, stoïque président du GPRA lequel n’est plus que l’ombre de lui-même, Ben Tobbal, se joint à eux. 28 juillet : Ben Khedda demande une réunion du CNRA. Les fils ne sont pas coupés, aussi Khider rencontre Krim Belkacem et dans ce tourbillon frénétique qui s’est emparé des dirigeants de la guerre de libération naît l’espoir d’un compromis entre les différentes factions. L’issue pacifique de ces dangereuses tractations semble, en effet, proche. 29 juillet : Brutalement, la Wilaya IV prend le contrôle de la capitale qui relevait jusque-là de la Zone autonome d’Alger. Khider se rend à Paris pour y chercher l’appui et l’alliance des dirigeants de la Fédération de France. Boussouf et Ben Tobbal se rendent à Tunis. 30 juillet : On annonce une rencontre entre Khider, Krim et Boudiaf. Mais ce dernier est enlevé par des éléments de la, Wilaya I à M’sila. A Alger, sur décision du conseil de la Wilaya IV, le commandant Azzedine, chef de la Zone autonome d’Alger, est placé en résidence surveillée alors que son adjoint le commandant Omar Oussedik est arrêté. A Tizi Ouzou, l’avocat Me Bouzida annonce la création du comité de liaison pour « la défense de la Révolution » préconisé par Boudiaf et Krim. 1er août : Sur intervention du BP, Boudiaf est libéré. Il regagne Alger accompagné de Rabah Bitat. Il y rencontre Khider en présence de Krim et du colonel Mohand Ou El Hadj. 2 août : Un compromis intervient entre Boudiaf, Krim et le colonel Mohand Ou El Hadj (Wilaya III) d’une part et Khider et Bitat d’une autre. L’accord stipule que « le BP est reconnu à titre provisoire » et est chargé de préparer les élections à l’Assemblée nationale constituante. Sa durée de vie est d’un mois. Le CNRA doit se réunir un mois après les élections afin de réexaminer la composition du BP. 3 août : Ben Bella fait son entrée à Alger avec le BP auquel s’est joint Boudiaf. Aït Ahmed refuse d’y siéger. 4 août : Le BP procède à la répartition des attributions de ses membres. Khider est désigné comme secrétaire général et chargé de l’information et des finances. Ben Bella est responsable de la coordination avec l’Exécutif provisoire. Boudiaf est à l’orientation et aux affaires extérieures tandis que Hadj Ben Alla se voit confier les affaires militaires. Mohammedi Saïd est à l’éducation et à la santé publique. Bitat, enfin, est à l’organisation du parti et des groupements nationaux. Pour ce qui les concerne, Dahlab et Aït Ahmed sont à Genève. Boussouf et Ben Tobbal sont à Tunis. Krim est en Kabylie. Le grand absent de ce casting est Ben Khedda qui se trouve à Alger, mais isolé, il est exclu de la distribution des rôles. Tout comme le CNRA, le GPRA a été sacrifié sur l’autel des idiosyncrasies des personnalités composant le personnel politique légitimé par la guerre. Désormais et jusqu’à nouvel ordre, le BP sera le prête-nom du deus ex machina qui gérera les affaires politiques de l’Etat algérien naissant. 6 août : Ben Bella se rend à Constantine pour procéder à la conversion de l’armée et à la séparation entre le FLN et l’ALN. 8 août : Le BP proclame qu’il exerce tous les pouvoirs détenus jusqu’alors par le GPRA. 10 août : Confronté au refus des Wilayas III et IV de s’autodissoudre, Khider prononce au nom du BP une allocution dans laquelle il affirme que « la conversion de l’ALN présente un caractère d’urgence incontestable ». 13 août : Après consultation des conseils de Wilaya, le BP annonce la formation d’un « comité national chargé d’organiser le parti ». 19 août : Publication des listes des candidats aux élections de l’Assemblée nationale constituante, prévues pour le 2 septembre. La Wilaya IV met ses troupes en état d’alerte. 20 août : Khider, secrétaire national du BP, annonce la création de « comités électoraux » et de « comités de vigilance ». 22 août : Les partisans du BP manifestent à Alger contre les éléments de la Wilaya IV aux cris de « l’armée dans les casernes ». 23 août : Courte est l’accalmie, ténus les espoirs d’un règlement « fraternel ». En effet, une fusillade à La Casbah d’Alger. La Wilaya IV, qui entend faire valoir son autorité sur ce qu’elle considère comme son territoire, instaure la censure à la radio et les journaux, interdit les déclarations du BP et organise des manifestations. 24 août : Les Wilayas III et IV annoncent que leurs conseils respectifs resteront en place jusqu’à la constitution d’un « Etat algérien élu légalement ». La ZAA continue de se livrer à une guerre de communiqués autour de l’autorité dans la capitale. 25 août : Khider annonce qu’en raison de « l’obstruction » de la Wilaya IV, le BP ne peut plus exercer ses responsabilités. Sur décision unilatérale, il ajourne les élections du 2 septembre. Le conseil de la Wilaya III s’insurge contre cette mesure. Boudiaf démissionne du BP. 27 août : L’escalade ne connaît pas de bémol. Des membres du BP sont arrêtés sur décision du Conseil de la Wilaya IV. Ce dernier considère que la création d’un « comité FLN d’Alger » est en violation de l’accord du 2 août, aux termes duquel les prérogatives du BP provisoire se limitent à la préparation des élections et de la réunion du CNRA. Les Wilayas I, II, V et VI ainsi que l’EMG apportent leur soutien au BP. Les conseils des Wilayas III et IV déclarent qu’ils « feront face à toute agression ». 28 août : Veillée d’armes à Sétif. Les commandants des Wilayas I, II, V et VI se réunissent dans la capitale des Hauts-Plateaux. 29 août : De violents affrontements ont lieu à la Casbah d’Alger entre des partisans du BP et de la Wilaya IV. L’insécurité s’installe. Enlèvements, perquisitions, racket. De nouveau, la France menace d’intervenir pour « protéger ses ressortissants ». Encore présentes sur le territoire de la jeune République, les troupes françaises opèrent un mouvement dans la région d’Alger. L’UGTA appelle à la grève générale. A Alger et à travers tout le pays, le peuple, celui du 1er novembre 1954, du 11 décembre 1960, du 8 mai 1945 - le peuple qui sait mourir utilement, descend dans la rue aux cris de « Sebaâ sinin barakat ! » (« sept ans ça suffit ! »). 30 août : Le BP fait intervenir « ses forces » pour « rétablir l’ordre à Alger ». 1er septembre : Meeting à Alger, à la Maison du peuple, contre « la guerre civile ». 3 au 5 septembre : Tandis que Bitat et Khider se sont réfugiés à l’ambassade d’Egypte, Ben Bella gagne Oran et donne l’ordre aux troupes de l’EMG qu’on appellera aussi l’armée des frontières, qui le soutiennent, de marcher sur Alger. Des affrontements violents entre djounoud de la Wilaya IV et ceux de l’EMG provoquent plusieurs centaines, voire plus d’un millier de morts dans les régions de Boghari, Sidi Aïssa, Sour El Ghozlane, Chlef. 5 septembre : A la demande du colonel Mohand Ou El Hadj de la Wilaya III, un accord intervient entre le BP et les Wilayas III et IV. Il prévoit la démilitarisation de la capitale et l’organisation d’élections à brefs délais. 6 septembre : Une fois de plus, la population descend dans la rue et exige l’arrêt du conflit fratricide. Ben Bella et les chefs de la Wilaya IV se rendent sur les lieux pour arrêter les combats. 9 septembre : Ben Bella et l’armée des frontières commandée par Boumediène entrent dans Alger. Les élections sont fixées au 20 septembre. 13 septembre : Publication d’une nouvelle liste des candidats à l’Assemblée nationale constituante. Ben Khedda et Boussouf n’y figurent plus. 20 septembre : Les électeurs algériens sont appelés à « ratifier » la liste des candidats à l’Assemblée qui leur est soumise. Des listes uniques sont imposées. On y dénombre 196 candidats dont 16 Européens. On relève des combats sporadiques entre éléments de la Wilaya IV et forces favorables au BP. Ben Bella déclare que « la démocratie est un luxe que l’Algérie ne peut encore s’offrir ». 24 septembre : Khider affirme admettre les partis politiques « à condition qu’ils œuvrent dans le cadre de la Constitution ». 25 septembre : Ferhat Abbas est élu président de l’Assemblée nationale constituante par 155 voix contre 36 blancs ou nuls, proclame la naissance de la République algérienne démocratique et Populaire. Par 141 voix sur 189, Ben Bella est désigné pour former le premier gouvernement. L’Exécutif provisoire remet ses pouvoirs au président de l’Assemblée constituante. 28 septembre : Ben Bella présente son gouvernement à l’Assemblée. Il prend pour « programme provisoire » la Charte de Tripoli, dont il avait supervisé les travaux. Boudiaf crée le Parti de la révolution socialiste (PRS). Il relève l’illégitimité du BP de Ben Bella. 29 septembre : Ben Bella est investi par l’Assemblée constituante comme premier président du Conseil des ministres de l’Algérie indépendante. 8 octobre : L’Algérie devient le 109e Etat de l’Organisation des Nations unies. Par Boukhalfa Amazit, El Watan

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

HISTOIRE DU PEUPLE BERBÈRE, lutte pour la reconnaissance d'une identité PREHISTOIRE : 6500 - 7000 av J.C. : Civilisation Capsienne, apparition des Protoméditerranéens. 6500 - 2000 av J.C. : Développement des civilisations néolithiques en Afrique du Nord. 3000 : Arrivée des Méditerranéens au "Sahara" (vers 3000 av J.C.), début des relations avec les pays européens. IVè millénaire av. J.C. : Peuplement de l’Afrique du Nord. 1200 : Installation Phénicienne. 800 - 146 av. J.C. : CARTHAGE 450 av. J.C. : Carthage se constitue un Empire Africain. 396 av. J.C. : Les Lybiens et Numides révoltés s’emparent de Tunis. 379 av. J.C. : Nouvelle révolte des Libyens. 311 - 307 av. J.C. : Expédition d’Agathocle en Afrique, Ailymas, roi des Numides Massyles. 264 - 146 av. J.C. : Rome contre Carthage. 238 - 237 av. J.C. : Guerre des Mercenaires et des Numides, Naravas, prince numide. Avant 220 - 203 av. J.C : Règne de Syphax, roi des Numides Masaessyles, qui en 203 s’empare du Royaume Massyle. IVè siècle - 46 av. J.C. : ROYAUME NUMIDE DES MASSYLES 203 - 148 av. J.C. : Règne de Massinissa qui unifie la Numidie et s’empare d’une partie du territoire de Carthage. 200 : Massinsissa, roi des Numides, s’étend au détriment des Carthaginois. 146 av. J.C. : Destruction de Carthage, fondation de la Province romaine d’Afrique (nord-est de la Tunisie actuelle). 148 - 118 av. J.C. : Règne de Micipsa. 118 - 105 av. J.C. : Règne deJugurtha, lutte contre Rome, la parie occidentale de la Numidie passe aux mains de Bocchus, roi des Maures. Avant 203 - 33 av. J.C. : Dynastie maure des Bocchus (Baga, Bocchus I, Sosus, Bocchus II et Bogud) 109 : Jugurtha bat les Romains. 105 - 46 av. J.C. : Dynastie des Massyles de l’Est (Gauda, Masteabar, Hiempsal II, Massinissa II et Juba Ier). 49 - 235 apr. J.C. : Berbérie Romaine. 46 av. J.C. : Défaite et mort de Juba Ier, création de la Province romaine d’Africa Nova (ex-Royaume de Numidie). 25 av J.C. : Dynastie Maurétanienne (Juba II, Ptolémée). 42 ap. J.C. : Création des Provinces romaines de Maurétanie Tingitaine (actuel Maroc) et de Maurétanie Césarienne (actuelle Algérie centrale et occidentale). 146 av. J.C. - 439 ap. J.C. : DOMINATION DE ROME 100 ap. J.C. - 400 ap. J.C. : Evangélisation d’une partie importante des Berbères en Africa et Numidie. Vers 225 : Extension maximum de la domination romaine en Afrique. 250 - 300 : Grandes révoltes berbères en Maurétanie. 305 - 313 : Début du Donatisme. 372 - 376 : Révolte de Firmus, fonctionnaire impérial et chef africain. 396 - 430 : Saint-Augustin, évêque d’Hippone (Thagaste, ex-Bône, actuelle Annaba). 439 - 533 : ROYAUME VANDALE Vers 455 : Un chef berbère, Masties se proclame "empereur" dans l’Aurès. Vers 470 : Arrivée de Tin Hinan au Hoggar, la lignée noble des Touaregs prétend descendre cette princesse, dont le tombeau a été retrouvé. • 508 - 535 : Masuna, roi des "Maures" et des "Romains" en Maurétanie Césarienne. 533 - 647 : DOMINATION DES BYZANTINS Multiplication des principautés berbères Pénétration des nomades chameliers néoberbères, les Zénètes, qui sont la plupart païens et certains judaïsés. 647 : Apparition des ARABES en Ifriqiya (Africa). Bataille de Sufetela (Sbeitla). 670 : Fondation de Kairouan par Oqba, qui commence la conquête, la légende veut qu’il se soit rendu jusque sur les rivages de l’Océan. 683 - 686 : Koceila organise la résistance berbère et devient pour trois ans le maître de l’Ifriqiya. 695 - 702 : La Kahéna, reine des Djerawa, rejette les Arabes en Tripolitaine, pratique la politique de la terre brulée, mais elle est finalement vaincue et, avant d’être tuée, "invite" ses fils à rejoindre le rang des vainqueurs. 711 : Sous la conduite de Tariq (nom musulman de ce berbère), des contingeants berbères musulmans traversent le détroit de Gibraltar (Djebel-el-Tariq) et détruisent le royaume wisigothique d’Espagne. Vers 670 - vers 750 : Islamisation des Berbères, développement de la doctrine kharedjite. 750 - 780 : Révolte kharedjite, en Ifriqiya. 800 - 909 : EMIRS AGHLABITES EN IFRIQUIYA 776 - 909 : DYNASTIES ROSTEMIDE, ROYAUME KHAREDJITE DE TAHERT EN BERBERIE CENTRALE 757 - 922 : DYNASTIE IDRISSIDE AU MAROC 809 : Fondation de Fès par Idris II. 893 : Abou Abd Allah prêche la doctrine chiite chez les Kettama (Berbères Sanhadja de Petite Kabylie). 902 - 910 : Conquête de la Berbérie centrale et de l’Ifriqiya par les Chiites Kettama. 910 - 973 : DYNASTIE CHIITE DES FATIMIDES 913 - 913 : Première expéditions en Espagne. 922 : Conquête du Maghreb-el-Aqsa (Maroc) par les Miknassa au nom des Fatimides. 940 - 947 : Révolte kharedjite d’Abou Yazid (l’Homme à l’âne). 969 - 973 : Conquête de l’Egypte et départ des Fatimides au Caire. 973 - 1060 : DYNASTIE ZIRIDE EN BERBERIE CENTRALE ET EN IFRIQIYA 973-984 : Règne de Bologguin, fondateur d’Alger. 1015 - 1163 : DYNASTIE HAMMADIDE EN BERBERIE CENTRALE 1061 - 1088 : Règne d’An Nasir, fondation de Bougie (Vgayeth). 1050 : Début des invasions hilaliennes, les tribus Riyah, Atbej, puis Solaim et Mâqil, renvoyées d’Egypte, pénètrent au Maghreb par vagues successives. 1050 : Prédication d’Ibn Yacine chez les Lemtouna du Shara, origine du mouvement almoravide. 1055 - 1146 : EMPIRE ALMORAVIDE (SAHARA OCCIDENTAL, MAROC, ALGERIE OCCIDENTALE, ESPAGNE) 1059 - 1088 : Règne de Youssof ben Tachfin, fondation de Marrakech. 1115 - 1120 : Ibn Toumert prêche la doctrine almohade. 1125 - 1269 : EMPIRE ALMOHADE (MAROC, ALGERIE, TUNISIE, ESPAGNE) 1145 - 1160 : Conquête de l’Afrique du Nord par Abd-el-Moumen, disparition des dernières communautés chrétiennes chez les Berbères. 1206 : Nomination de Abou Hafiç à la tête de l’Ifriqiya. 1236 - 1494 : ROYAUME HAFSIDE, IFRIQIYA, CAPITALE TUNIS 1228 - 1249 : Règne d’Abou Zakariya Yahia Ier. 1249 - 1277 : Règne d’Al Moutanacir, échec et mort de Saint Louis à Carthage (1270). 1318 - 1346 : Règne d’Abou Yahia Aboui Bekr. 1347 : Conquête peu durable de l’Ifriqiya par le Mérinide Abou l’Hassan. 1383 - 1434 : Règne d’Abou Faris dont la domination s’étend d’Alger à Tripoli. 1480 - 1493 : Décadence Hafside. 1236 - 1554 : ROYAUME ZYANIDE, BERBERIE CENTRALE, CAPITALE TLEMCEN 1236 - 1287 : Yaghmorasen fonde le royaume Zyanide (ou Abdelwadide) avec l’aide des Arabes Hilaliens. 1299 - 1307 : Siège de Tlemcen par les Mérinides qui fondent Mansouria. 1337 : Prise de Tlemcen par le Mérinide Abou l’Hassan. 1350 - 1550 : Affaiblissement des Zyanides en lutte contre les Mérinides, les Hafsides, les Espagnols et les Turcs. 1554 : Prise de Tlemcen par les Turcs. 1258 - 1465 : ROYAUME MERINIDE, MAROC, CAPITALE FES 1258 - 1269 : Les Beni Merin éliminent les dernièrs Almohades. 1276 : Fondation de Fès Djedid. 1331 - 1351 : Apogée de la puissance mérinide sous Abou l’Hassan qui s’empare de Tlemcen et de Tunis. 1348 - 1358 : Règne d’Abou Inan. 1515 - 1830 : LES TURCS EN ALGERIE ET EN TUNISIE 1514 - 1516 : Le corsaire Aroudj s’empare de Djidjelli puis d’Alger. 1516 - 1533 : Son frère Khair ed-Din fonde la régence d’Alger dépendante de l’empire turc. 1534 : Khair ed-Din s’empare de Tunis. 1536 - 1568 : Lutte des Beylerbeys (gouverneurs turcs) contre les Espagnols. 1541 : Echec de Charles Quint contre Alger. XVI et XVIIè siècles : Longue rivalité des "sultans" des Beni Abbas et des "rois" de Kouko en Kabylie alliés tantôt des Espagnols tantôt des Turcs. 1574 : Eudj Ali s’empare de Tunis tenu par les Espagnols. 1550 - 1650 : Siècle d’or de la course barbaresque. 1671 : Le gouvernement d’Alger est assuré désormais par des "deys" choisis sur place. 1590 - 1705 : A Tunis, les deys gouvernent au nom du sultan de Constantinople. 1705 - 1710 : A Tunis, les beys prennent le pouvoir et fondent la dynastie hussaïnite. XVIIIè siècle : Déclin de la course et affaiblissement des Régences. Début du XIXè siècle : Difficultés accrues entre Alger et la France. 1830 : Prise d’Alger par les Français. 1465 - 1912 : LES DYNASTIES CHERIFIENNES DU MAROC 1465 - 1554 : Les sultans wattasides luttent contre les Portugais et les chérifs saadiens. 1540 - 1549 : Conquête du royaume par les Saadiens. Menaces turques. 1578 : Bataille des Trois-Rois, désastre portugais. 1578 - 1607 : Règne de Ahmed el-Mansour, conquête du Soudan, apogée des Saadiens. 1630 : Décadence saadienne, la zaouiya de Dial contrôle le centre du Maroc, affirmation de la puissance des chérifs alaouites au Talifalet. 1659 - 1672 : Règne de Moulay er-Rachid. 1672 - 1727 : Long règne de Moulay Ismaïl. 1727 - 1757 : Trente années d’anarchie. 1757 - 1790 : Règne de Si Mohammed ben Abd Allah. 1792 - 1822 : Règne de Moulay Sliman. 1822 - 1859 : Règne de Moulay Abd er-Rahman, difficultés avec la France. 1873 - 1894 : Règne énergique de Moulay el-Hassan. 1894 - 1908 : Règne de Moulay Abd el-Azziz, début de l’intervention française. 1908 : Début du règne de Moulay Hafid. 1911 : Le coup d’Agadir. 1912 : Traité de Fès organisant le protectorat français sur le Maroc. L’EPOQUE FRANCAISE 1830 - 1857 : Conquête du nord de l’Algérie. 1852 - 1870 : Le second Empire. La politique du "Royaume Arabe" entre 1860 et 1870. 1871 : Grave insurrection en Kabylie, guidée par Mokrani et Haddad, déporté avec les siens au même moment que les communards en Nouvelle Calédonie. 1881 : Traité du Bardo instituant le protectorat français sur la Tunisie. 1882 - 1914 : Développement de la colonisation en Algérie et en Tunisie. 1900 - 1920 : Conquête du Sahara. 1912 - 1934 : Actions militaires au Maroc pour asseoir le protectorat et l’autorité du Maroc. 1914 - 1918 : Première Guerre Mondiale, part prise par l’Armée d’Afrique. 1927 - 1952 : Premier règne de Mohammed V au Maroc. 1930 - 1939 : Naissance des mouvements nationalistes. 1939 - 1945 : Deuxième Guerre Mondiale, débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie en 1942, Alger capitale de la France en guerre en 1943 - 1944, l’armée d’Afrique combat en Tunisie et en Italie, libère la Corse etg le sud de la France. 1945 : Mouvement insurrectionnel en, Algérie orientale, le 8 mai. LES INDEPENDANCES 1955 : Indépendance du Maroc reconnue par le traité de la Celle-Saint-Cloud, retour de Mohammed V qui régne jusqu’en 1961. 1956 : Indépendance de la Tunisie qui devient une république en 1956. 1954. 1962 : Guerre d’Indépendance en Algérie. 1962 : Indépendance de l’Algérie qui devient une république démocratique et populaire. LA LUTTE POUR L’IDENTITE BERBERE 1871 : La révolte de la Grande Kabylie de Mokrani et de Haddad, des milliers de morts, confiscation de près de 1 million d’hectares, amende de 36 millions de franc-or, le souvenir en est véhiculée par le barde itinérent Si Mohand U’mhend. 1945 : La révolte sanglante en Petite Kabylie, la repression a fait au moins 10 000 morts. 1954 : Rebellion militaire et politique, les Kabyles paieront un lourd tribu à la guerre d’indépendance. 1962 : Evincés du pouvoir par Ben Bella et l’armée des frontières, les Kabyles sont en rebellion quasi permanente... troubles ou guerre civile de 1962 - 1965. 1975 - 1976 : repressions, arrêstations et tortures des Berbéristes par le régime de Boumedienne. 1980 : Printemps Berbère à Tizi-Ouzou (le 20 avril) durant lequel plusieurs centaines d’étudiants furent assassinés par les forces de l’ordre algériennes (CNS), les premiers manifestaient pour la reconnaissance officielle de la langue TAMAZIGHT, contre l’arabisation forcenée et l’intégrisme religieux. 1981 : Envoi par Chadli Bendjedid de troupes en Kabylie, officiellement, pour ce motif : "tentative de déstabilisation de l’état et de sa sécurité intérieure" 1991 : En 1991, la Kabylie et l’Algérois votent massivement pour "leurs" partis : le FFS et le RCD. 1998 : Le 25 juin, assassinat du chantre Kabyle, Matoub Lounes, chanteur et poète, porte parole de la cause berbère par un groupe d’hommes armés, communèment admis pou être des Islamistes du GIA, une autre thèse prétend que ces derniers sont des militaires envoyés et déguisés par le pouvoir en place à Alger. 1998 : En juillet (le 5), une loi portant sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe, entre en vigueur, ceci ayant secoué les régions berbérophones car remettant à des lendemains incertains leurs propre langue maternelle TAMAZIGHT.

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

Août 1949 : au-delà de Ferhat Ali:Premier attentat contre l’avenir d’une Algérie démocratique par Sadek Hadjerès Premier attentat contre l’avenir d’une Algérie démocratique POUR DES DECENNIES, PRIMAUTE DE LA VIOLENCE SUR LE DEBAT Le 18 Août 1949, à la sortie de Larbâa Nath Irathen, revenant le jour de marché vers taddart-is (son village), Ferhat Ali, vétéran et cadre du mouvement nationaliste depuis l’Etoile Nord Africaine, est victime d’un attentat. Il restera miraculeusement en vie après presque un mois d’hospitalisation à Tizi Ouzou. Je l’ai revu après cette période à l’hôpital de Mustapha d’Alger où je lui ai donné les soins liés à sa convalescence. Sa poitrine avait été traversée de part en part par un projectile provenant d’un gros calibre. Ses agresseurs n’étaient ni des bandits ni des hommes de main à la solde des officines colonialistes, même si un tel acte faisait l’affaire des officiers du Deuxième Bureau français qui, à l’affût depuis longtemps, se sont frotté les mains de satisfaction. Il ne s’agissait ni d’un fait divers ni d’un méfait politique regrettable et vite corrigé par ses auteurs. On venait d’assister au premier acte d’une dérive infernale. Pour la première fois dans l’itinéraire du mouvement nationaliste, l’arme d’un militant n’avait pas été tournée contre les forces de l’occupant colonial ou ses valets, mais délibérément contre un compagnon de lutte, un militant intègre, ardemment acquis à la cause patriotique. Cet évènement, précédé les mois précédents par quelques autres faits tout aussi condamnables mais d’une moindre gravité, a constitué un tournant néfaste. D’une part pour l’immédiat dans la crise appelée faussement berbériste (en fait crise de déficit démocratique dans le parti nationaliste). D’autre part, pour le futur, avec des dégâts incommensurables dans la trajectoire ultérieure de l’ensemble du mouvement national, avant comme après l’indépendance. Je ne reviendrai pas dans cet article sur les racines et les développements bien antérieurs à l’évènement, qui ont débouché sur cette situation dangereuse. Les faits qui se situent en amont et longtemps occultés, commencent à être mieux connus depuis la dernière décennie. Si besoin était, je pourrais, dans les limites de mon information, répondre à quelques demandes de précisions ou renvoyer à plusieurs de mes interventions passées. Par exemple les entretiens donnés à Ali Guenoun pour son ouvrage « Chronologie du mouvement berbère » ou une série de quatre articles parus dans El Watan en juillet 1998, peu après l’assassinat de Maâtoub Lounès. Je ne m’attarderai pas trop non plus aux conséquences sur le long terme, bien que ce soit une problématique majeure. Car l’attentat contre Ferhat Ali fut l’acte inaugural et le prototype d’une série de comportements et d’enchaînements similaires qui iront en s’amplifiant. Ils vont miner même les étapes historiques les plus fastes des six décennies suivantes, tout en laissant planer de nos jours un point d’interrogation sur les temps à venir. Là aussi, la liste de ces dégâts est longue et massive, elle est largement connue, même si leurs mécanismes demandent à être encore plus explorés et analysés. Par contre, dans les limites de cet article, je me limiterai aux répercussions immédiates de l’évènement, d’autant qu’elles sont elles-mêmes très éclairantes. Curieuses convergences Dès le lendemain matin, 19 août, « L’Echo d’Alger », le journal porte parole des colons apparemment mobilisé presque instantanément par les services du Gouvernement Général français, titrait sur la constitution d’un nouveau parti, il lui donnait même un sigle, le « PPK », autrement dit un fantomatique Parti du Peuple Kabyle, dissident du P.P.Algérien. Le quotidien raciste ne se faisait pas seulement plaisir en prenant son rêve pour des réalités. Il brandissait surtout une arme redoutable dont les autorités françaises escomptaient un double impact : diviser les rangs de sa bête noire le PPA- MTLD par cette rumeur alarmiste, et qui plus est, isoler sa fraction la plus dangereuse selon lui, c'est-à-dire le courant qui n’avait cessé non seulement de préconiser mais aussi de mettre en œuvre une orientation radicalement anticolonialiste. Les cadres de Grande-Kabylie et en particulier BennaÏ Ouali, avec la nouvelle génération de ce qu’on a appelé le « groupe de Ben Aknoun », n’avaient-ils pas joué un rôle prépondérant pour l’adoption en 1947 de la décision créant l’Organisation Spéciale, l’OS ? Ne continuaient-ils pas à mettre en garde contre maintes défaillances et incohérences qui nourrissaient le désarroi des militants et creusaient un fossé d’incompréhensions entre « légalistes » et « révolutionnaires », au lieu de forger une cohérence et une complémentarité politique entre ces deux volets ? L’occasion était propice pour les stratèges du « GG » (Gouvernement Général) de favoriser les groupes d’influence dans la direction du MTLD qui amorçaient la ligne de « coopération », celle concrétisée plus tard avec le courant colonialiste « rénové » du groupe de Jacques Chevallier à la mairie d’Alger. Déjà au mois de Septembre de l’année précédente, les services français avaient, comme par hasard, procédé aux arrestations successives de Bennaï Ouali et plusieurs responsables de la tendance radicale, dont Ammar Ould-Hammouda et Omar Oussedik, recherchés jusque là sans succès depuis Mai 1945. Je pense que Hocine Aït Ahmed ne doit d’avoir échappé à ce coup de filet qu’en raison des précautions exceptionnelles qu’exigeaient ses fonctions de premier responsable de l’OS, fonctions très cloisonnées par rapport à l’appareil organique et de direction du MTLD. Peut -être un jour les archives de la police coloniale, si elles ne sont pas escamotées, nous renseigneront sur le secret de ces arrestations, opérées étrangement à un pareil « bon moment ». Dans tous les cas, objectivement, les services français n’ignoraient pas ce qui bouillonnait dans les milieux militants d’Alger, de Kabylie et d’autres régions du pays ainsi que dans la Fédération MTLD de Paris. Ces services avaient déjà mené leur opération de dévoiement d’« Al Maghreb Al Arabi » qui fut un moment l’organe de presse officieux du MTLD, dirigé par leur agent le Cheikh Zahiri. La mission de ce dernier était de propager nombre de confusions très nocives pour la vocation d’un nationalisme libérateur. Nul doute que parallèlement, ces services étaient décidés à donner un coup d’arrêt à la volonté affichée du courant démocratique et radical du PPA de proposer la discussion et l’adoption d’un document doctrinal consensuel. Un document dont le manque se faisait cruellement sentir au parti et qui viendrait mettre fin au désarroi et aux flottements dangereux pour la cohésion dans les rangs militants. Ce document « L’Algérie libre vivra », signé Idir El Watani, paraîtra d’ailleurs en juillet 49, plusieurs mois après l’arrestation de ses initiateurs qui nous avaient encouragé à sa rédaction. Cette parution se fit dans des conditions mouvementées (tentative ratée de s’emparer de la brochure à sa sortie de l’imprimerie, perquisitions brutales aux domiciles ou sièges d’associations, etc) Des réactions douteuses et contre-productives Au lieu d’être saisie par les dirigeants en place du MTLD comme une opportunité pour ouvrir des débats qui auraient été bénéfiques pour tous, le document leur donna le prétexte d’une répression multiforme et d’une campagne de calomnies qui inquiéta fortement les milieux militants. En même temps, ils mirent à profit les arrestations des cadres en Septembre de l’année précédente pour parachuter en Grande Kabylie une direction plus acquise à leurs visions et pratiques d’appareils. La décision fut prise, en dépit des délégations de cadres et militants de base venus exposer son inopportunité et ses dangers. Ils estimaient que dans des conditions aussi confuses, il fallait différer les remaniements et les subordonner à des explications émanant de tous les acteurs en cause. Devant l’intransigeance de la direction, la protestation s’est durcie ; elle a pris la forme d’un refus d’acheminer les cotisations tant que la direction ne fournirait pas des explications et tant qu’elle ne se tournerait pas vers des discussions et mesures constructives, impliquant notamment la participation des dirigeants arrêtés. C’est sur ce fond de tension, arguments d’autorité menaçante contre demande d’explications, qu’est survenue la vive altercation qui a précédé de quelques heures l’attentat contre Ferhat Ali, celui-ci étant, si je me souviens bien, responsable des fonds du district. La dérobade fatidique On s’attendait, après le communiqué provocateur de l’Echo d’Alger, à ce que la direction du MTLD, dans un sursaut de sauvegarde nationale, publie immédiatement un démenti catégorique. Si c’était trop lui demander que de dénoncer un acte dans tous les cas condamnable, il lui suffisait seulement de dire que le fait relevait d’incidents ou de conflits locaux internes regrettables et n’avait rien à voir avec un quelconque « séparatisme » kabyle Pareille démarche aurait été d’autant plus facile que le démenti aurait été aussitôt appuyé et accompagné du soutien des militants et cadres mis en cause pour soi-disant « séparatisme ». Car qui aurait été assez fou pour imaginer dans le contexte de cette époque une position suicidaire de « sécession » kabyle, que même les valets locaux de l’administration française ne soutenaient pas. Au point qu’il y avait déjà belle lurette que la ségrégation arabes/kabyles dans les Assemblées des ex « Délégations financières » avait été supprimée par les autorités françaises. A plus forte raison apparaissaient ridicules et tendancieuses les insinuations selon lesquelles les cadres de Kabylie dont on connaissait le nationalisme algérien ombrageux étaient influencés par les idées du colonialisme. La seule chose réellement positive que ce dernier avait réalisée malgré lui, comme résultat d’un siècle d’occupation, est d’avoir fait lever une génération d’Algériens décidés à enterrer le colonialisme et ses pratiques de division. La preuve n’en avait elle pas été fournie lorsque ces mêmes cadres que la direction fustigeait aujourd’hui avaient organisé à Messali l’accueil le plus extraordinaire de ferveur patriotique qu’il ait jamais reçu à travers ses tournées dans toutes les autres régions du pays ? L’un des couplets originaux de « Ekker a mis Oumazigh » ne glorifiaient-ils pas l’alliance de Allal (al Fassi), Messali, Bourguiba ? Aussi l’étonnement fut grand, suivi d’inquiétude dans de larges milieux nationaux, de constater que la direction du MTLD ne réagissait pas à la provocation de l’ Echo d’Alger. Face à l’attente générale, elle gardait un silence qui nous apparut très vite comme une dérobade empreinte de calculs et d’étroitesse politicienne, alors que se jouait un problème national d’une gravité exceptionnelle. La direction perdit à ce moment le reste de confiance que gardaient encore sur ce point les militants les mieux informés de la crise, qui espéraient malgré tout la voir intervenir avec une hauteur de vue conforme à l’intérêt général. Heureusement que sans attendre, une délégation des militants contestataires est allée rendre visite à Ali Ferhat hospitalisé. Elle revint avec une déclaration hautement responsable qui soulignait notamment : « " … Il n'a jamais existé et il n'existera jamais de"P.P.Kabyle", pour la bonne raison qu'il n'y a qu'un peuple algérien dont les éléments, quoique d'origine ou de langues différentes, vivent fraternellement unis dans une même volonté de libération nationale… Pour ma part, j'ai toujours pensé que l'Algérie ne peut être qu'algérienne et que dans notre patrie, toutes les cultures et tous les éléments de notre patrimoine commun méritent le respect et le libre développement..." Adressé à toute la presse, le démenti ne fut évidemment pas publié par l’Echo d’Alger. Le plus étonnant est que l’organe du MTLD perdit une dernière chance de servir à un moment si crucial l’aspiration des patriotes algériens à l’unité nationale. Seul le quotidien « Alger républicain » publia le 21 août le communiqué intégralement. Fidèle à sa devise, il disait la vérité, rien que la vérité, mais il ne pouvait pas dire TOUTE la vérité. J’ai su à cette période que ses rédacteurs auraient souhaité interviewer les uns et les autres, publier des commentaires qui contribuent à maintenir un climat de confiance entre toutes les composantes du mouvement national et de la société algérienne. ll ne le fit pas, car devant le silence public de la principale formation concernée, son intervention aurait pu être interprété comme une ingérence et une volonté de jeter de l’huile sur le feu. La démagogie autoritaire contre le mûrissement politique Pourquoi ce silence public des dirigeants MTLD autour du grave incident et des données réelles du contentieux, alors qu’en sous-main et dans les appareils internes, les calomnies se déchaînaient, multipliant les invectives, les accusations virulentes de complot séparatiste anti-arabe, anti-islamique etc. ? Quelles étaient les motivations inavouées de certaines composantes de la direction et les raisons pour lesquelles d’autres composantes dans le parti et la société se sont montrées passives ou vulnérables à l’escamotage d’un problème national et démocratique de premier plan ? Pour mieux le comprendre, il faudrait remonter à longtemps avant l’évènement malheureux du 18 août, aux raisons plus générales qui ont alimenté la dégradation politique interne et qui remontent à plusieurs années Je les évoquerai dans leurs manifestations des mois précédents. Elles déboucheront sur des implications plus concrètes dans les semaines qui ont précédé l’évènement. Les raisons générales, c'est le pourrissement des pratiques politiques illustré au niveau de la direction par le choix des solutions autoritaires, en lieu et place d’un travail sérieux d’élaboration et de formation politique. Vaste question, qui aurait mérité une étude à part. Je précise que quand je parle de direction, j’entends par là ceux qui étaient en situation de prendre à ce moment là des décisions opérationnelles. Car au sein des acteurs qui se coalisaient ou s’opposaient au sein de la direction, il y avait une grande hétérogénéité et même une conflictualité aussi bien dans leurs inclinations politiques et idéologiques, que dans leurs motivations conjoncturelles. Autour du même mot d’ordre d’indépendance, les convictions (ou préjugés) sincères et les calculs de pouvoirs et de prérogatives s’entrecroisaient chez les uns et les autres dans la confusion, y compris parfois dans la tête du même militant ou responsable. Seul un débat tenant compte des aspirations et des inquiétudes saines dans la base militante et la population, aurait pu éclaircir cette complexité, Car quant au fond, elle était inhérente à un mouvement national et à des militants encore en train de chercher leurs repères. Il était encore possible, et c’était le bon moment, de répondre de façon constructive aux attentes des uns et des autres, au lieu de favoriser un climat passionnel en nourrissant ces attentes de slogans démagogiques et de rejets réciproques. La brochure de Idir El Watani, ou une autre plate forme présentée par la direction, auraient pu quelles que soient leurs insuffisances, jouer ce rôle d’effort doctrinal consensuel. Il est significatif que certains dans la direction, à défaut de fournir les aliments attendus, aient préféré briser cette possibilité, pour reprendre quelques années plus tard à leur compte, une fois l’irrémédiable accompli, des pans entiers de «L’Algérie libre vivra ». Trop tard, ce mea culpa à retardement inaugurait une nouvelle pratique qui aura hélas de beaux jours devant elle : produire des documents mirobolants contredits par des pratiques toujours marquées par leur péché originel de 1949 : parlez toujours, je détiens les rênes de l’appareil. Précisément, le refus du débat, reflet de la maturité générale insuffisante, a débouché sur une situation qui accentuait l’arbitraire des dirigeants nantis des leviers de décision et des moyens de l’appareil exécutif. Ils légitimaient ce privilège auto octroyé par la situation de clandestinité. Jouer sur l’alarmisme était pour eux une façon d’éviter de rendre des comptes sur nombre de problèmes d’orientation et de gestion. Ils ont tranché de manière brutale là où il fallait s’efforcer de dénouer et de déminer le terrain en écoutant tout le monde. D’autres, nombreux, plus hésitants et circonspects, ont subi plus ou moins passivement le climat et les préjugés ambiants et surtout le fait accompli. Plusieurs d’entre eux s’expliqueront plus tard, trop tard, jusqu’à de longues années après avoir constaté les dégâts ou subi eux-mêmes des pratiques similaires. Ils se contenteront, chose déjà positive, d’émettre des doutes et d’affirmer que les torts étaient partagés, que la crise de 1949 aurait pu être dénouée autrement. Seuls deux ou trois resteront irréductibles sur leur point de vue d’alors, déformant les faits et surtout demeurant aveugles aux leçons qu’ont données les décennies suivantes. Si la parution se fait en deux fois, la première partie s’arrêterait ici, en mettant : A suivre Le texte reprendrait ensuite sous le même grand titre général, en précisant ; suite et fin Mais cette deuxième partie commencerait en reprenant le paragraphe précédent, comme suit : Précisément, le refus du débat, reflet de la maturité générale insuffisante, a débouché sur une situation qui accentuait l’arbitraire des dirigeants nantis des leviers de décision et des moyens de l’appareil exécutif. Ils légitimaient ce privilège auto octroyé par la situation de clandestinité. Jouer sur l’alarmisme était pour eux une façon d’éviter de rendre des comptes sur nombre de problèmes d’orientation et de gestion. Ils ont tranché de manière brutale là où il fallait s’efforcer de dénouer et de déminer le terrain en écoutant tout le monde. D’autres, nombreux, plus hésitants et circonspects, ont subi plus ou moins passivement le climat et les préjugés ambiants et surtout le fait accompli. Plusieurs d’entre eux s’expliqueront plus tard, trop tard, jusqu’à de longues années après avoir constaté les dégâts ou subi eux-mêmes des pratiques similaires. Ils se contenteront d’émettre des doutes et d’affirmer que les torts étaient partagés, que la crise de 1949 aurait pu être dénouée autrement. Seuls deux ou trois resteront irréductibles sur leur point de vue d’alors, déformant les faits et surtout demeurant aveugles aux leçons qu’ont données les décennies suivantes. Mentalités et batailles de « koursis », Le climat et le mode de fonctionnement de la direction favorisait donc le recours aux ficelles politiciennes, au détriment de la recherche des solutions de fond. Procédé de plus en plus dominant, il fut l’une des raisons de la crise, Avant de décrire comment ce « mode d’emploi » s’est traduit dans les semaines précédant le mois d’août, je rappellerai en passant que le rôle de « bouc émissaire » du « complot séparatiste » kabyle aura eu aussi pour effet de faire passer à l’arrière plan une autre contestation, celle du Dr Lamine Debbaghine. Sur certains aspects de fond, les points de vue de ce nationaliste de la première heure, intègre et attaché à une conception plus saine et moderne de l’arabité et de l’islamité de l’Algérie, rejoignaient les nôtres. A sa façon et indépendamment de nous, il dérangeait beaucoup les deux pôles qui bien avant les crises du MTLD des années cinquante, étaient en concurrence pour le leadership. D’un côté les bureaux de direction de la rue Marengo, et de l’autre côté Messali, ses fidèles et ses réseaux à partir de sa résidence de Bouzaréah. Beaucoup plus tard, au début des années cinquante, le Dr Lamine sera lui aussi éloigné, victime des pratiques de sérail et des méthodes de règlement en circuit fermé, qui avaient fonctionné si bien contre les amis politiques de Bennaï Ouali. Abordons maintenant comment, dans ce contexte de dégradation, les particularités de la situation en Kabylie ont été utilisées au cours des semaines qui ont précédé le 18 août par les dirigeants en question, en suscitant et allumant des conflits organiques et d’appareils. De sorte que, sans qu’ils l’aient forcément voulu directement, cela aboutit à un incident tragique et lourd de conséquences. Leur responsabilité politique tient au fait qu’ils souhaitaient la cassure avec les courants démocratiques et partisans de la discussion dans les instances régulières. Passant à côté de l’essentiel, ils ont mis à profit les arrestations des responsables de Kabylie pour des changements organiques qui leur permettent d’asseoir leur autorité en faisant d’une pierre deux coups. Leur calcul était d’opposer les uns aux autres deux courants issus de la région de Kabylie et qui les inquiétaient l’un et l’autre. Les dirigeants d’Alger tournaient ainsi le dos à leur vocation et fonction de dirigeants nationaux qui auraient dû les inciter à tout faire pour rapprocher et unir ces deux courants dans le cadre d’une solution plus globale de sauvegarde nationale. Leur première bête noire était ceux qu’on a traités de « séparatistes berbéristes » qui en réalité voulaient ouvertement, sans intrigues ni jeux de coulisses, faire avancer le parti vers une base doctrinale sérieuse et des règles de fonctionnement transparentes. Ils voulaient fonder cette base doctrinale et organique sur le triptyque « Nation cohérente, Révolution active et Démocratie dans le contenu et les méthodes ». Cela supposait entre autres, crime de lèse-majesté, qu’on mette fin à des situations de bricolage dans lequel s’affrontaient sournoisement différents groupes pour privatiser un temple dont ils se considéraient les seuls défenseurs. Les contours de ces groupes d’influence étaient flous et mobiles car les principes invoqués étaient faussés et pollués par les rivalités de pouvoir. D’un côté les surenchères radicales et populistes des uns, plus ou moins illustrées par le groupe Messali et de l’autre côté les signes d’un opportunisme rampant des autres, véhiculé par quelques uns des animateurs pro Chevallier dans le futur groupe des « centralistes ». La deuxième bête noire de la direction, était constituée par le gros des « maquisards » recherchés, notamment les militants issus de Kabylie ou s’y réfugiant. Considérés avec méfiance par la direction qui les considérait acquis à Bennaï Ouali et ses compagnons, ils étaient en quête de repères politiques depuis que leurs responsables emblématiques et organiques avaient été arrêtés. Des activistes faiblement politisés D’une façon générale, l’activisme de ces partisans de la lutte « directe » (ils entendaient par là le volet exclusif de la lutte armée), que ce soit en Kabylie ou dans les autres zones géographiques, embarrassait depuis longtemps les courants de la direction qui craignaient des débordements préjudiciables à leurs propres orientations. Il est bien établi que des membres de la direction du MTLD, sans en arriver à remettre en cause ouvertement la décision de création de l’OS, considéraient ces activistes comme un boulet, gênant ou dangereux pour leur démarche penchant davantage vers le légalisme . Il est vrai qu’à cette époque déjà, la montée au djebel n’était pas dans tous les cas le résultat d’un volontariat et d’une sélection sur la base de critères politiques et de trempe morale, Pour certains, leur montée résultait de motifs pressants de sécurité pour se soustraire à la répression colonialiste. Il est arrivé que Bennaï Ouali et ses compagnons prennent des mesures de vigilance pour brider chez certains de leurs subordonnés des initiatives individuelles mal inspirées ou suggérées par d’autres cercles de la direction de façon irresponsable ou manoeuvrières, qui risquaient de porter tort aux objectifs politiques locaux ou nationaux du mouvement. C’est justement en mettant à profit ce genre de faiblesses politiques que la direction qui boudait jusque là les maquisards, s’est adressée à certains d’entre eux. Elle les invita à prendre bureaucratiquement la succession des responsables de Grande Kabylie, tout en les mettant en garde contre les cadres et militants étudiants et syndicalistes qui continuaient, notamment à travers la diffusion de la brochure « L’Algérie libre vivra » à revendiquer une rénovation démocratique des orientations du parti. Ces activités, selon les dirigeants en place, étaient la cause du climat perturbé dans les rangs des militants de Grande Kabylie et en France. Sans crainte de se contredire, ils en attribuaient la source à l’influence pernicieuse tantôt de courants colonialistes, tantôt de courants communistes, inventant même pour l’occasion la formule de « berbéro-marxistes » accolée à celle de séparatistes, J’ai eu à cette même époque la confirmation de cette démarche des dirigeants et des arguments qu’ils avaient utilisés auprès de certains maquisards de Kabylie. C’était à l’occasion de la rencontre que j’eus avec l’un d’entre eux, Fernane Hanafi, venu aux nouvelles et s’informer sur nos intentions. Je ne me souviens plus si c’était Yahia Henine ou Said Oubouzar qui m’accompagnait à cette rencontre. Nous avons discuté toute une après-midi dans le minuscule atelier de tailleur du vieux Si Djilani, ancien cadre de l’Etoile Nord Africaine, au quartier la Marine, détruit quelques années plus tard sur l’emplacement actuel de l’avenue du 1er Novembre. Fernane voulait connaître nos points de vue et nos intentions. Nous l’avons rassuré en lui précisant que nous n’avions pas d’objectif organique, Nos activités visaient à informer les militants sur les problèmes qui avaient surgi. Notre souhait était qu’un large débat se déroule sur les questions essentielles, l’idéal étant la réunion d’un Congrès. Nous souhaitions que la direction s’engage sur la voie de solutions démocratiques et de sagesse. Fernane Hanafi m’a paru attentif et de bonne foi. Sa mort dans les premiers mois de l’insurrection m’a attristé, lorsque mon ami le restaurateur Saïd Akli me l’a annoncée. Accueillant fréquemment les responsables de maquis après le 1er novembre, il s’était occupé de le faire soigner après les blessures mortelles qu’il avait reçues lors d’un échange de coups de feu avec une patrouille de police sur le chemin ex-Vauban qui porte aujourd’hui son nom à Hussein Dey. La descente vers le pire Malgré le climat ouvert de cette rencontre, plusieurs raisons nous incitaient à penser que notre entrevue aurait beaucoup de difficulté à contrecarrer les pressions de la direction. Celle-ci préférerait la voie des manipulations organiques et de la division, laissant intactes les causes politiques du malaise. Nous en avions déjà eu une illustration quand ces dirigeants, croyant désamorcer la crise par une distribution de « koursis », proposa de faire accéder deux d’entre nous au Comité central du MTLD, dont moi-même. Nous avions pensé alors que ces dirigeants n’avaient rien compris à ce qui se passait, ou au contraire, ils le comprenaient très bien mais redoutaient d’affronter les vrais problèmes à l’origine du mécontentement. Ils persistaient à naviguer entre la carotte et le bâton. Or nous avions quelques raisons de penser que certains de nos frères maquisards seraient vulnérables à ce genre de sollicitations. La première de ces raisons était que les maquisards dépendaient entièrement de la direction pour leur soutien logistique. Ils comprenaient bien la portée du chantage de la direction mais n’avaient pas d’autre moyen de s’y soustraire. De plus, la vie qu’ils menaient et le type de préoccupations au jour le jour qu’elle impliquait n’aidait pas certains d’entre eux à mieux saisir la portée politique et de long terme des problèmes en litige. Par un sentiment humain normal mais non maîtrisé,’esprit activiste se détachait du contenu politique parce qu’il se résumait en un seul point, engager dès que possible le combat armé pour en finir avec les atermoiements et l’attente fastidieuse qui les rongeait. Ils étaient plus enclins à considérer les préoccupations politiques comme des spéculations fumeuses et sans intérêt ou des diversions propres à semer la division. Avec le recul, je me suis souvenu à ce propos comment Ho Chi Minh avait convaincu ses premiers volontaires, prêts techniquement et impatients d’agir, de patienter pour tenir compte à la fois des évolutions politiques et des besoins d’une formation politique plus poussée des combattants. La sous-estimation du politique n’existait pas chez Bennaï Ouali, pourtant l’un des pionniers de la lutte armée (voir témoignage de Yousfi dans un de ses ouvrages). Cet homme du peuple, lié au terroir et soucieux de protéger les siens des impulsions qui pouvaient se retourner contre eux, était servi par un solide bon sens et en même temps, ouvert à conjuguer l’expérience de terrain avec la réflexion. Il était attentif aux mouvements d’idées qu’il débattait avec ses compagnons d’armes issus des lycées et de l’université. Ensemble, ils avaient beaucoup fait pour transformer la région de Kabylie en un des bastions les plus dynamiques du mouvement national. L’interaction entre le terrain et la vie intellectuelle, entre les racines identitaires et l’ouverture sur l’universel devenaient une force. C’est ce que ne comprenaient pas nombre de dirigeants d’Alger, qui croyaient faire preuve de patriotisme en cultivant chez les militants l’état d’esprit anti-intellectuel. En vérité, ils souhaitaient s’entourer de gens ayant des capacités intellectuelles, mais les appréciaient avant tout dans les fonctions de scribes ou de producteurs d’arguments pour légitimer leurs positions du moment. Sinon ils n’étaient que des « intellectomanes » voués à leur mépris. Quelle différence avec un Laïmèche Ali que j’entendais dire un jour à Ben Aknoun en 1945 à un de nos camarades : « Tu as un cerveau, c’est pour t’en servir, ce n’est pas pour le mettre en location ! » Les dangers de l’arrivisme Une dernière raison était venue s’ajouter chez certains activistes à la méfiance entretenue envers les « intellectuels ». Accepter la « montée en grade » pour succéder aux dirigeants arrêtés n’était pas seulement pour eux une perspective plus sécurisante qu’un combat politique et idéologique incertain pour des solutions démocratiques et de consensus national. Cela flattait aussi en eux l’ambition normale de l’individu, surtout quand l’idée de l’émancipation nationale se fond totalement avec l’objectif de promotion individuelle ou se réduit à elle, alors que cette aspiration individuelle légitime en est seulement une des dimensions, elle ne devient viable et morale qu’en s’harmonisant avec les intérêts collectifs de tous les nationaux. En l’occurrence, succéder à son supérieur hiérarchique est apparu à d’aucuns plus important et valorisant que le contenu à donner à cette succession et à ses suites. Quitte, pour mériter cette promotion aux yeux de ceux qui l’ont promu, à briser si nécessaire les réticences des compagnons d’armes et militants non consultés, considérés comme des subordonnés et des « sujets » n’ayant aucun droit, sinon celui d’obéir aveuglément. La tentation pour le nouveau « mas’oul » est de le faire par tous les moyens, y compris ceux qui ne lui ont pas été prescrits expressément par les dirigeants qui l’ont promu. Ce n’est pas un hasard si le successeur sur lequel le choix s’est porté durant l’été 49 est le même qui, avant Novembre 54, ne se ralliera au plan insurrectionnel du FLN qu’à la condition qu’on lui reconnaisse la direction de la région qu’il assumait jusque là en tant que messaliste. Pas un hasard non plus si pour mieux asseoir cette promotion individuelle, il lui a été indifférent d’informer toute une région importante du changement d’allégeance organique, qu’il aurait dû et pu par de hautes raisons patriotiques et en oeuvrant à faire de cette mutation organique délicate une transition politique unitaire. Pas un hasard enfin si malheureusement la « transition » s’est soldée par des centaines de « cas Ferhat Ali » dont l’affaire de Melouza a été une illustration et la préfiguration de bien d’autres tragédies qui ont ensanglanté la région et le pays. L’enterrement de la culture politique Ainsi, en août 1949, un mal irrémédiable venait de commencer son chemin vers toute l’Algérie, depuis ce coin de l’embuscade contre Ferhat Ali à Larbâa Nath Irathen et les bureaux centraux du MTLD de la rue Marengo. On a trop tendance à oublier aujourd’hui ces responsabilités politiques quand on parle de façon trop absolue de la montée des dérives militaristes. On serait tenté de rappeler que « messieurs les civils, vous avez politiquement tiré les premiers ou encouragé à tirer sur les vôtres! » Sur le champ, la portée immédiate et surtout à long terme d’un tel acte n’a été perçue, et encore partiellement, que par des militants sans préjugés, pourvu qu’ils soient suffisamment informés de ce qui s’était passé. En réalité un tournant venait de se produire. C’est ce que m’a dit à sa façon deux mois plus tard, à Larbâa (Beni Moussa, Mitidja) où je militais en même temps que dans le secteur étudiant d’Alger, un de mes compagnons de lutte du PPA, mon ami H’midat. Ancien de la branche « Routiers » du groupe local des SMA que je dirigeais, il était « maquisard » depuis mai 1945, circulant armé dans les monts entre Larbâa et Tablat pour échapper aux recherches de la gendarmerie française. Arabophone et attaché aux valeurs de l’arabisme qu’il assumait de façon critique et progressiste, mécontent comme de nombreux militants de base des directives incohérentes et parfois contradictoires que le MTLD donnait en cette période, il était intervenu de façon très vive à une réunion nocturne tenue dans la forêt communale. Des responsables du MTLD (Lahouel Hocine et je crois Said Lamrani) étaient venus, en présence de Si Mustapha Sahraoui, membre du CC et responsable local, donner leur version de la crise qui secouait le parti. Outré par les calomnies qu’il entendait dont celles me visant en mon absence, H’midat surgit de l’ombre où il s’était abrité et répliqua durement (épisode relaté dans un article d’El Watan de juillet 1998) ce qui eut pour effet de troubler et disperser la réunion. Quand je le rencontrai deux semaines plus tard, je lui reprochai de ne pas avoir plutôt laissé s’engager un débat et argumenté malgré son indignation, Il me dit : « mais tu ne les connais pas ? Maintenant « wellat drâa ».(c’est devenu une question du « plus fort »). Il ne croyait pas si bien dire. Mais sans mesurer la gravité de ce constat bien réel, il venait de basculer dans la logique contre laquelle il s’était indigné. Et comme beaucoup d’autres, envers ses compatriotes qui se trouvaient dans le même camp que lui pour l’indépendance, il faisait désormais davantage confiance au pistolet qu’il dissimulait sous sa kachabia. Conséquences au long cours et conditions pour l’espoir En fait, la balle de colt qui avait atteint Ferhat Ali venait de toucher l’Algérie en ce qu’elle avait de plus précieux, l’espoir démocratique, avant même que ne s’ouvre l’étape la plus décisive de la lutte qui débutera en Novembre 54. Le coup avait atteint en même temps l’accompagnement obligé de toute démarche démocratique qui ne veut pas basculer dans l’hégémonisme et la mentalité de parti unique, l’esprit et la pratique de l’unité d’action, seule capable de féconder la diversité politique et culturelle au bénéfice des objectifs nationaux et sociaux communs. Le handicap sera lourd et chèrement payé pour les luttes et les réalisations futures. Cette journée fatale d’août 1949 avait glacé notre image idéalisée de l’élan national. Elle fut un sinistre présage, le premier signal d’une longue série d’enchaînements. Faute de régulation politique appropriée, le mal ira en s’amplifiant avant comme après l’indépendance, rebondissant chaque fois vers des situations impensables auparavant. Même après l’aboutissement monstrueux des années 90 et ses 150 000 victimes, même après l’impact du sinistre printemps noir qui pèse lourdement sur la Kabylie, nous gagnerons à considérer les ressorts qui ont rendu possibles ces aberrations comme des enseignements, en refrénant les passions et l’esprit de vengeance. Ces sentiments, même s’ils sont compréhensibles, aveuglent le discernement et nous poussent vers des gouffres plus profonds. Laissons donc à leurs seuls actes méritoires de guerriers anticoloniaux les acteurs qui ont failli gravement par des manques de discernement politique. Leurs défaillances individuelles sont celles de toute une époque et la logique de l’Histoire a voulu que la plupart d’entre eux aient connu les retournements de situation inévitables des calculs de court terme. Je n’en fais pas ici la liste, elle est impressionnante. Comme dirait Lounes Aït Manguellat, ils avaient fabriqué eux-mêmes le bâton qui les a frappés. C’est volontairement que je n’ai pas voulu mettre de nom sur chaque personnage alors que chacun peut les reconnaître. J’ai voulu fortement indiquer par là que l’important ce n’est pas tel ou tel, car si ce n’avait été lui, cela aurait été un autre placé dans le contexte qui fabrique ou favorise ce type de comportement. Je voulais ainsi souligner que la maîtrise salutaire et collective ne consiste pas à s’enliser dans les procès rétrospectifs contre des acteurs disparus, en les réinstallant artificiellement sur une scène politique qui n’est plus la même. Il n’est nullement question d’oublier comme si rien ne s’était passé. Mais, ce faisant, il est mille fois plus important de tirer de ces faits douloureux des enseignements utiles et d’examiner à leur lumière les faits similaires qui nous menacent aujourd’hui. Faisons-le avec l’esprit et le sang-froid attendus d’un médecin ou d’un proche qui tiennent à la survie de leur patient. Voyons-y essentiellement une maladie politique terrible dont personne n’est à l’abri, un monstre caché et toujours à l’affût en chacun de nous et dans la société, un empoisonnement que ne pourra guérir aucun remède de cheval ni exorcisme de charlatan, aucun changement du rapport des forces militaire ou policier. Seul moyen radical de guérison, l’antidote démocratique adapté à la nature même du poison. Il coûte cher et il faut apprendre à le manier. Mais c’est le seul et vrai espoir Aux sceptiques qui mettent en doute l’opportunité ou l’efficacité de la lutte pour la liberté, la vraie démocratie et la justice sociale, je dirai seulement que malgré les grandes insuffisances passées que nous gagnerons à corriger, les sacrifices et la résistance de tous ceux qui ont mené cette lutte à l’instar de Ferhat Ali n’ont pas été vains. Le tribunal de l’Histoire a tranché. Si les atteintes à la Constitution et aux lois algériennes devaient être jugées à titre rétrospectif, ceux qui seraient condamnés seraient ceux qui durant des décennies, se sont opposés à la reconnaissance de l’amazighité comme valeur composante de la Nation, tout en portant un tort considérable aussi bien à l’arabité qu’à la démocratie sociale, à l’unité nationale et à la coopération fructueuse entre peuples et civilisations comme autres valeurs précieuses de notre peuple. Soyons donc fiers, optimistes, vigilants et critiques en pensant aux luttes passées et à venir. Date de dérnière mise à jour :2006-10-09

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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 00:00

Prémices du printemps kabyle dit berbère. jeudi 5 mai 2005 Paris, 1926. Des immigrés en majorité kabyles, comme Imache Amar, Radjef Belkacem, Hadj Ali Abdelkader, Yahiaoui Ahmed et Si jilani Embarek, (des noms aujourd’hui oubliés) fondent l’Etoile Nord-Africaine (l’E.N.A.), une association de droit français qui se propose de lutter pour l’indépendance et le progrès social de l’Afrique du Nord. Pour entraîner les Arabes dans la lutte, l’assemblée générale de 1927 en confie la présidence à Messali Hadj Ahmed, un Tlemcénien émigré à Paris. Jugée dangereuse pour l’ordre colonial, l’E.N.A. est dissoute le 20 novembre 1929. Quatre ans plus tard, Messali, Imache et Radjef la remplacent par l’Etoile Nord-Africaine. Objectifs : l’indépendance totale de l’Algérie, l’élection d’une assemblée constituante au suffrage universel, la confiscation des terres accaparées par les grands féodaux, les colons et les sociétés financières et leur remise aux paysans, le respect de la moyenne et de la petite propriété, la restitution à l’Etat algérien des terres occupées par l’Etat français. 28 mai 1933, l’assemblée générale élit Messali, président, Imache, secrétaire général, Radjef, trésorier général et désigne Si-Djilani comme directeur de son journal en langue française El-Ouma (La Nation) dont Imache sera rédacteur en chef. Ce dernier se prononce pour une Algérie algérienne et laïque et plaide pour la prise en compte de l’organisation sociale kabyle de type démocratique, basée sur tajmât (l’assemblée de village.) Messali, qui puise ses références dans le Coran et considère que l’Algérie est arabo-musulmane, le désavoue. Nouvelle divergence au sein de l’Etoile en 1936 à propos de l’attitude à adopter lors de la guerre civile en Espagne. Messali veut engager des militants algériens dans les Brigades internationales. Les Kabyles s’y opposent au motif que la République espagnole a refusé d’autoriser la création d’une armée algéro-marocaine qui se battrait pour une république rifaine (berbère) indépendante. C’est la première révolte des dirigeants kabyles contre Messali, suivie de la rupture avec le Parti Communiste Français. 26 janvier 1937, dissolution de l’Etoile. Messali, Imache et Radjef sont arrêtés puis respectivement condamnés à un an, huit et six mois de prison pour reconstitution de ligue dissoute. Réduites en appel en mars 1937, les condamnations seront annulées par la Cour de cassation le 6 avril 1937 puis par un jugement du tribunal de la Seine, ce qui accrédita chez les Algériens l’idée qu’en métropole la Justice est plus équitable et modérée qu’en Algérie. Dans "El Ouma", Imache dénonce l’occupation de l’Ethiopie par l’Italie et appelle les Africains à se libérer du colonialisme. Il est de nouveau arrêté en même temps que Radjef mais Messali, réfugié à Genève, y rencontre Chekib Arslane, un émir druze qui militait pour la libération des pays arabes colonisés. A l’occasion d’une amnistie générale, Messali rentre à Paris et évince du Comité central du parti Imache et Yahiaoui qui dénonçaient son autoritarisme. Imache adresse alors aux militants une lettre dans laquelle il les invite « à suivre un programme et non à se mettre à la remorque d’un seul homme. » (C’est toujours d’actualité !) 11 mars 1937. A Paris, Messali crée le P.P.A. (Parti Populaire Algérien.) Programme : l’émancipation totale de l’Algérie, sans pour autant se séparer de la France. Imache le juge trop modéré et refuse d’adhérer au nouveau parti. Alors, Messali en transfère le siège à Alger et rentre en Algérie. Pour élargir son audience, il se rapproche des Oulémas, une association à caractère religieux qui militait pour la rénovation de l’islam et la promotion de la langue arabe, sans contester le statut colonial de l’Algérie. C’est la rupture avec les éléments kabyles laïques et radicaux. Isolés à la suite de leur rupture avec le P.C.F., combattus par les Oulémas au nom de l’islam, dépourvus de moyens financiers, les nationalistes kabyles sont marginalisés d’autant plus qu’en Kabylie la revendication identitaire et culturelle n’était pas encore une priorité. L’unique préoccupation de la population appauvrie par le contrecoup de la crise économique mondiale de 1929 consistait alors à survivre. Septembre 1939. Dissolution du P.P.A. Vingt-huit de ses responsables sont arrêtés le 4 octobre suivant. Messali ne sera libéré qu’en 1946, ce qui lui vaudra un immense prestige et en fera l’incarnation du nationalisme algérien jusqu’en 1954. 1945. Une poignée de lycéens kabyles de Ben-Aknoun (Alger), issus de familles moyennes ou aisées, découvrent le nationalisme et prennent conscience de leur identité. Leurs noms, Ali Laïmèche, Omar Oussedik, Hocine Aït Ahmed, Mohand Ouidir Aït Amrane, Amar Ould Hamouda, Bélaïd Aït Medri, Mohand Saïd Aïch, Rachid Ali Yahia. Il en est de même pour des étudiants : Yahia Henine, Mabrouk Belhocine, Sadek Hadjerés, Saïd Oubouzar. Il est permis d’en donner la liste, pour les Algériens des années 40, le lycée et l’université étaient un luxe. Nos jeunes lycéens abandonnent leurs études pour la politique. A travers la Grande Kabylie, ils implantent des cellules clandestines du P.P.A. et organisent des troupes de scouts musulmans. Ils savent que l’Histoire de l’Algérie est antérieure à la conquête arabe au VIIIème siècle et le font savoir. Ils découvrent que le vrai nom du peuple berbère est « amazir », c’est-à-dire le peuple libre. Aït Amrane compose le premier hymne nationaliste en langue kabyle : Ekker a miss Oumazir pendant qu’Ali Laïmèche interpelle la jeunesse algérienne : Noukni s’ilmeziene el dzayer. 1946, Messali crée le M.T.L.D, (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques ) une façade légale du P.P.A. dissous. Les Kabyles y adhèrent en grand nombre mais les militants lucides ne tarderont pas à comprendre que la lutte armée est la seule solution. 1947. Imache crée un parti de l’unité algérienne qui se propose notamment de « clarifier la religion musulmane et de combattre le fanatisme. » Un projet avorté qui aurait pu engager l’Algérie sur la voie de la modernité. Paris. Mai 49. Rachid Ali Yahia, un étudiant en droit envoyé à Paris par Si-Ouali Bennaï (un maquisard berbériste) pour y poursuivre ses études de droit, fait voter par vingt-huit des trente-deux membres du Comité fédéral une motion qui rejette l’arabo-islamisme, invite la direction du parti à reconnaître l’existence d’une langue et d’une culture kabyles, dénonce le sectarisme de la direction et déplore l’option de la voie électoraliste comme moyen de lutte pour l’indépendance. Avec l’aide discrète du P.C.F., le Comité édite une revue, l’Etoile algérienne, selon laquelle l’Algérie n’est pas un pays arabe ; tous les Algériens, Arabes et Berbères doivent s’unir pour une Algérie indépendante, prolétarienne et, sinon laïque, du moins non soumise à une autorité religieuse. A ce propos, Alger Républicain (un quotidien progressiste) publia un article prémonitoire : « Fanatisme, panarabisme, Oulémas » qui dénonçait le danger d’une dérive cléricale dans les luttes de libération nationale. Messali accuse les contestataires de collusion avec le colonialisme, les traite de berbéro-matérialistes manipulés par l’impérialisme et les exclut du parti, en même temps que le docteur Lamine Debaghine - un cadre arabophone remarquable mais indocile - sous prétexte de complicité avec les berbéristes. Ensuite, il envoie à Paris un commando composé du capitaine en retraite Saïdi Sadek, de Mostefaoui Chawki et d’Abdallah Filali pour récupérer de force les clés du siège du Comité fédéral. Des bagarres éclatent dans des cafés parisiens fréquentés par des Kabyles. Le district de Kabylie et le Comité fédéral de France bloquent les cotisations. Le parti est au bord de l’éclatement. Messali dissout le Comité fédéral. Si-Ouali décide alors de se rendre à Paris pour prêter main-forte à ses amis. Il est coffré à Oran au moment de prendre le bateau pour Marseille sous un faux nom. Les Berbéristes de Kabylie sont arrêtés les uns après les autres : Ould Hamouda et Oussedik à Alger, Oubouzar à Tizi-Ouzou, Boudaoud à Rébeval. Ils sont persuadés que la direction du parti les a donnés. Sans l’avoir voulu, la police française avait fait le jeu des arabo-islamistes. Aït Ahmed, le patron de l’O.S. (Organisation Secrète), désapprouve les berbéristes. A leur égard, il use de termes très durs : « Des activistes en mal d’ostentation et de promotion... au moment où l’aile révolutionnaire (la sienne) tente de recentrer la réflexion sur les grands problèmes posés par la perspective de la guerre de libération, à Paris, Ali Yahia prend l’initiative de faire voter par le Comité fédéral une motion défendant la thèse de l’Algérie algérienne et déclenche alors en France une campagne contre l’orientation arabo-islamique du parti. A partir de cet épisode, la Kabylie traînera la casserole du berbérisme... Il y a comme ça des grains de sable, des personnages insignifiants qui entraînent dans la vie politique des conséquences démesurées. » Pour Aït Ahmed, « le conflit oppose les forces révolutionnaires aux tenants de l’opportunisme électoraliste. Qui a intérêt, sinon le colonialisme, à faire dévier le débat vers un conflit entre arabistes et berbéristes ? Il ne faut pas tomber dans le panneau, quitte à dénoncer les agissements irresponsables de Paris. » L’alignement d’Aït Ahmed sur la position des anti-berbéristes ne lui vaut pas leur confiance : ils le remplacent à la tête de l’O.S. par Benbella, un Arabe (cette décision lui sera d’ailleurs notifiée par son successeur.) En Kabylie, le conflit opposait les berbéristes à ceux qui estimaient mal choisi le moment de poser le problème berbère. Parmi les premiers, Ali-ou-Mahmoud, de son vrai nom Ferhat Ali, originaire de Tizi-Rached, un gros village accroché sur une pente raide entre Tizi-Ouzou et Fort-National. Je le voyais arriver à cheval, sauter à terre, attacher la noble bête au frêne de la placette sous le regard admiratif des badauds. Crinière clairsemée, visage sanguin, sourcils broussailleux, toujours vêtu d’une gandoura blanche. Réputé homme de caractère. Il avait giflé Messali lors d’une altercation dans la prison d’El Harrach où ils étaient tous deux enfermés pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Sa carrière politique faillit s’achever un mercredi matin de mai dans des circonstances que Krim Belkacem (maquisard condamné à mort par contumace) m’a relatées : « On discutait à Fort National dans un café maure de la rue d’En-haut. Je disais que je n’étais pas contre les berbéristes mais que c’était trop tôt pour poser le problème de l’identité de l’Algérie. J’ai insisté sur le danger de la division entre Kabyles et Arabes. Ferhat Ali m’a traité de dégonflé. Le ton est monté, c’est un homme emporté. Il m’a dit : « Suis-moi dehors si tu es un homme ! » Des consommateurs ont essayé en vain de le calmer. Il est sorti. Je l’ai suivi. Il a pris la route de la carrière. Il marchait vite. Pour ne pas me faire remarquer, j’ai ralenti. Passé la Mission protestante, il s’est abrité derrière un frêne, il a crié « jette ton arme. » J’ai tiré. Il a roulé dans le fossé. Avant de tomber (je l’ai su plus tard) il a écrit mon nom sur une boîte d’allumettes avec son index trempé de sang. » Transporté à l’hôpital de Tizi Ouzou, le blessé a survécu (il sera abattu par l’A.L.N. pour une raison inconnue). De 1964 à 1962, les kabyles ont payé le tribut le plus lourd. Ferhat Ali, Si Ouali et Ould hamouda (Amar) ont été tué dans des circonstances sur lesquelles personne ne veut dire la vérité. En Tunisie, Boumediene, devenu chef d’état-major, avait interdit aux soldats kabyles de parler leur langue. En 1963, la création du F.F.S. s’est fondée sur un malentendu. Pour son chef, Hocine Aït Ahmed, il s’agissait de lutter contre la dictature de Benbella et pour l’instauration d’un socialisme scientifique. Pour ses troupes, il fallait défendre les intérêts de la Kabylie et son identité berbère.

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26 mars 2007 1 26 /03 /mars /2007 00:00

LES AUTRES GRANDS ENSEMBLES DE TRIBUS BERBERES SOMMAIRE: - 1 - Les Zenetes du Gourara - 2 - Les Berberes de l'Oranais - 3 - Les Ayt Iznassen - 4 - Les Mzab http;//www.mzab.online.fr Ghardaia ( en Italien ) http://www.mzabnet.com/ ( en arabe) - 5 - Les ILES DES CANARIES ? El Guanche Canarias-www.elguanche.net ? Azarug Canarias-www.azarug.org ?http://www.diariodecanarias.com/primaveramzgh0.htm http://elguanche.net/tamazgha/boletinseptazar.htm - 1 - Les Zénètes du Gourara d’hier à aujourd’hui Rachid Bellil, maître de conférences à l’Inalco, Paris. [Article publié dans le numéro 24 de la revue Passerelles, 2002. Images extraites des sites Timimoun.net et Tamazgha.fr] Les Zénètes du Gourara constituent un groupe humain vivant dans une centaine d’oasis situées au sud de l’Atlas saharien et au nord du Twat (sud-ouest de l’Algérie). Ces oasis étaient protégées au nord par les dunes de l’erg occidental et à l’est par le plateau du Meguiden et du Tadmaït. Vers l’ouest, les oasis du Gourara étaient liées à celles qui s’étaient implantées le long de l’oued Saoura et qui étaient peuplées de Zénètes berbérophones. Les ksour de l’oued Saoura étaient quant à eux liés, au nord, avec les ksour de l’Atlas saharien (Aïn Sefra) et au-delà avec la cité de Tlemcen, et à l’ouest avec les ksour berbérophones de Figuig et du Tafilalt qui se trouvent au Maroc. La région du Gourara, qui durant longtemps n’a pas été différenciée du Twat, a suscité peu de recherches et reste par conséquent largement méconnue. Pourtant, les informations contenues dans certains ouvrages de géographes et historiens arabes du Moyen-âge montrent que le passé du Gourara remonte à un lointain passé. Ces sources nous permettent d’avancer un certain nombre d’éléments sur le peuplement de cette région ainsi que sur les relations qu’elle entretenait avec des cités situées au nord du Sahara et dont certaines étaient le siège de pouvoirs dont l’influence s’exerçait de manière intermittente sur ces oasis sahariennes ; la motivation essentielle étant le contrôle du commerce caravanier entre les pays du Nord de l’Afrique et ceux du bilad al-Sudan, le pays des Noirs. Le peuplement Concernant le peuplement, nous savons que plusieurs groupes humains ont occupé ces oasis. Les Haratin d’abord, qui seraient les descendants d’une ethnie mentionnée déjà par Hérodote et appelée par la suite Aethiopes, très probablement issue des populations noires qui peuplaient le Sahara jusqu’à l’Atlas saharien et qui se sont progressivement retirées vers le sud en raison du processus de désertification. Certains de ces groupes seraient restés, occupant les endroits de plus en plus rares dans lesquels la présence de l’eau permettait une agriculture d’oasis. Ces Haratin, dont les ancêtres seraient donc les autochtones des oasis sahariennes, ont vu par la suite les arrivées de plusieurs autres groupes qui se sont imposés. Les Gétules d’abord, qui étaient connus à l’époque romaine comme nomadisant dans le centre de l’Afrique du Nord, ont probablement visité le Twat et le Gourara, tout comme les Garamantes, plus à l’est, avaient depuis le Fezzan reconnu le Tassili n Ajjer, l’Ahaggar et certainement des lieux situés plus au sud. Cette présence des Gétules dans le Sahara remonterait aux débuts de l’ère chrétienne. À partir du IIIe siècle après J.-C, seraient arrivés, venant du nord-est de l’Afrique du Nord (sud de la Tunisie actuelle et de la Cyrénaïque) de petites communautés de Juifs vraisemblablement accompagnés ou suivis de Berbères judaïsés. Les sources écrites permettent de localiser cette migration dans plusieurs localités du Twat, la plus importante étant Tamentit qui fut considérée comme la capitale d’une « Palestine twatienne », mais nous savons que les chroniques locales et la tradition orale nous autorisent à repérer les lieux dans lesquels cette ancienne présence juive est mentionnée dans certains ksour du Gourara. Du VIIe au XIe siècles, il apparaît que ce sont les Zénètes du Maghreb central qui arrivent par petits groupes dans les oasis. Quatre éléments au moins permettent d’expliquer ces migrations : d’abord, la poursuite d’un processus de reconnaissance de lieux situés au sud de l’Atlas saharien dans lequel nomadisaient les Zénètes ; ensuite, la fuite vers le Sahara, consécutive aux premiers contacts avec les islamisateurs, de communautés Zénètes judaïsées ; troisièmement, le développement du commerce caravanier avec le bilad al-Sudan après la fondation de l’imamat ibadite à Tahert, qui a entraîné les Zénètes à travers le Sahara, et enfin la probable migration de Zénètes ibadites, de l’Atlas saharien vers le Twat-Gourara, après la chute de Tahert. À partir du XIe siècle, le Gourara verra les arrivées de deux autres groupes : des Berbères de l’Ouest et surtout du Tafîlalt, mais aussi de régions situées plus au sud, qui traverseront la Saoura pour parvenir à ces oasis ; un peu plus tard, parviennent les premiers groupes de nomades arabes qui se contentent au début de faire des va-et-vient entre l’Atlas saharien et le Gourara avant de s’installer dans le Meguiden. Ces groupes de nomades arabes étendront progressivement leur domination sur les ksour situés sur la bordure orientale du Gourara et du Twat. C’est à partir de ce moment que les premières indications sur ces deux régions sont fournies par les géographes et historiens arabes dans leur description du Sahara. Situation politique durant le Moyen âge Sur le plan des relations avec les cités du Nord, les oasis du Gourara étaient en contact avec Sijilmassa (Tafilalt) et Tlemcen, mais aussi avec El Goléa et probablement Ouargla. Certaines sources font état de liens assez importants avec les grandes familles Zénètes qui détenaient le pouvoir à Sijilmassa. Par contre, ni les Almoravides, ni les Almohades ne se sont réellement préoccupés de ces oasis qui ne représentaient alors aucun intérêt stratégique. Mais lorsque les nomades arabes entament leur processus de descente vers le Tafilalt et le Draâ (régions situées au sud-est du Maroc), ils provoqueront des troubles qui gêneront la poursuite du commerce caravanier et amèneront même la chute de Sijilmassa (à la fin du XIVe siècle). Les commerçants s’orientent alors vers des voies plus orientales qui mettront en valeur le Twat, ce qui profite à Tlemcen ainsi qu’à l’oasis de Ouargla. Durant les conflits entre Mérinides et Abd al-Wadides, l’un des émirs de Tlemcen, Abu Hammu Musa II, trouvera même refuge au Gourara, ce qui atteste l’existence de liens entre Tlemcen et les oasis situées au sud de l’Atlas saharien. Mais ce sont les Saâdiens qui entreprendront la conquête de ces oasis sahariennes, avec notamment l’expédition du sultan Mulay Mansur dit « al-Dahabi » (l’aurique) qui cherchait à tout prix à reprendre le monopole de l’or (et du sel) des pays situés au nord du fleuve Niger. Le saâdien fera la guerre à la dynastie des Askya qui régnait sur le fleuve Niger (Mali actuel) plutôt favorable à une réorientation du commerce avec l’Orient et surtout l’Égypte. À ce moment, fin du XVIe siècle, les Ottomans se trouvent dans plusieurs villes de la rive sud de la Méditerranée et se font les champions de la lutte contre les chrétiens qui, après la chute de l’Andalousie menacent d’occuper les côtes du Maghreb. Mais si les Ottomans avancent en direction du Sahara depuis la Libye et l’Est de l’actuelle Algérie (ils occupent l’oasis de Ouargla), il ne semble pas qu’ils se soient intéressés aux oasis du Twat-Gourara, bien qu’une source mentionne le fait qu’une troupe turque soit venue dans le nord du Gourara suite à la demande d’une assemblée de ksouriens, afin de mettre un terme aux méfaits des nomades arabes. À partir du XVIIe siècle, les chorfas filaliens (du Tafilalt) prennent le pouvoir au Maghrib al-Aqsa (Maroc actuel) et mèneront quelques expéditions vers les oasis sa­hariennes. Mais à ce moment, le commerce transsaharien commence à péricliter, les Européens ayant accès par la mer aux pays de l’Afrique de l’Ouest. De plus, par leurs rezzous perpétuels, les nomades, contre lesquels les pouvoirs centraux ne peuvent rien, contribuent à l’appauvrissement des oasis et les sources écrites (en arabe) signalent que le sultan filalien laissera aux dirigeants de la confrérie Taybiya le soin d’entretenir les liens avec les lointaines oasis. La Taybiya s’appuiera sur un réseau de plus en plus dense d’agents religieux qui depuis la fin du XVIe siècle ont entrepris de s’installer dans pratiquement tous les ksour du Gourara et du Twat. L’étude de ce processus montre comment l’influence de ces agents religieux (shurafa et mrabtin) allait se traduire notamment par une rupture dans les rapports que les Zénètes entretenaient avec leur passé [1]. Avec la raréfaction des échanges commerciaux entre les grandes cités du nord de l’Afrique et le pays des Noirs (bilad al-sudan), les oasis du Gourara tout comme celles du Twat vont connaître un lent repli sur elles-mêmes et vivre à leur propre rythme. Les communautés oasiennes connaîtront alors une longue période d’autonomie. Organisation socio-politique des communautés ksouriennes La stratification sociale est fortement hiérarchisée et s’appuie sur une superposition de groupes d’origines différentes. Au sommet de cette pyramide, nous avons la strate des agents religieux qui comprend deux groupes nettement différen­ciés au plan du statut social et de l’autorité. Les shurafa qui prétendent descendre du Prophète et les mrabtin qui constituent des lignages rattachés à un ancêtre reconnu par tous comme wali (saint). Ensuite, la strate des hommes libres (hrar) composée aussi de deux entités distinctes : les Zénètes berbérophones, sédentarisés depuis longtemps, fondateurs d’oasis et bâtisseurs de nombreuses forteresses qui ont évolué pour former les ksour, et les descendants de nomades arabes qui se sont progressivement sédentarisés eux aussi. Enfin, la strate des dominés, constituée par deux groupes différents. Les Haratin qui sont de statut libre mais attachés au travail de la terre, sans en être propriétaires. L’autre groupe de dominés est constitué par les esclaves appelés en zénatiyya : ijemjan (sing. ajemj). Ces derniers sont les descendants des noirs ramenés du bilad al-Sudan et qui étaient propriété des maîtres roturiers (hrar) et des agents religieux. La structure sociale est composée de trois éléments qui s’emboîtaient l’un dans l’autre : la famille, le lignage et la tribu. La famille (taâwa en zénète) constitue la cellule de base plus ou moins élargie, avec une filiation patrilinéaire. Les familles sont regroupées dans le lignage (lqum) nettement individualisé dans l’espace par son habitat qui peut être soit la forteresse isolée (agham) soit le quartier dans le cas des ksour importants. Le lignage relie les différentes familles à un ancêtre commun. Le sommet de cette pyramide était constitué par la tribu (taqbilt) rassemblant plusieurs lignages établis dans des ksour différents. Au Gourara, la tribu a évolué au point d’avoir quasiment disparu comme unité significative. On ne se souvient plus, aussi bien en milieu zénète que parmi les Arabes, des anciennes grandes tribus qui se répartissaient les ksour et les aires de pâturage. Ces grands ensembles ont éclaté en une multitude de lignages dont les traditions orales nous permettent parfois de reconstituer les migrations et lieux d’installations. Il semble que la sédentarisation et le repli sur soi des petites unités lignagères aient provoqué le relâchement de l’identification à des unités plus importantes. Cette érosion de l’identité tribale a fait que les Gouraris n’ont pas fixé dans leur mémoire les noms des anciens ensembles tribaux qui (on en verra quelques exemples plus loin) constituaient parfois des branches détachées des grandes tribus Zénètes et arabes nomadisant au Nord du Maghreb. Deux facteurs semblent avoir contribué à cet éclatement des ensembles tribaux homogènes. Tout d’abord, la question essentielle au Gourara de l’appropriation du maximum d’espace qui se matérialise par l’édification des habitats fortifiés. L’identification des propriétaires de ces forteresses permet de se représenter la projection dans l’espace des anciens ensembles tribaux. Ensuite, en raison du phénomène d’ensablement des jardins et foggara, de l’épuisement de la nappe et des rezzous qui entraînaient destruction et disparition de lignages entiers, les groupes migrent pour s’installer auprès de communautés plus puissantes ou dans d’autres régions. Ainsi, le rapport au territoire, qui conditionne la possibilité de survie, semble avoir primé sur le maintien d’une identité tribale. Les récits portant sur le passé des lignages constituent des reconstructions qui font parfois remonter plusieurs lignages jusqu’à un ancêtre commun ou à une tribu dont on a perdu le souvenir pour n’en conserver que le nom. L’essentiel réside dans l’affirmation d’une solidarité entre ksouriens résidant dans un même espace et unis par la résistance aux dangers communs : les nomades et les partisans du soff adverse. Pour ces raisons, la structure la plus active reste le lignage qui se confondait avec une unité résidentielle matérialisée dans l’espace par l’agham, les jardins et la (ou les) foggara. Cette structure lignagère est présente aussi bien chez les Zénètes que chez les Arabes, mais aussi parmi les groupes à statut religieux, surtout les mrabtin. Dans la majorité des ksour, on note la présence de deux ou trois lignages. Seules les grandes cités comme Timimoun, At Sâïd, Charwin et d’autres, se présentent comme des communautés complexes dans lesquelles cohabitent plusieurs lignages de statuts différents. Notons encore que cette structure lignagère n’est perceptible qu’aux membres du ksar, pour les étrangers de passage, c’est l’ensemble de la communauté du ksar qui apparaît comme une cellule fondamentale. L’établissement humain est adapté à l’environnement naturel. Au Gourara deux types d’habitats se présentent. Dans les espaces envahis par les dunes de l’erg occidental, c’est-à-dire le Tinerkouk, le Swani et le Taghuzi, les groupes humains se réduisent à la famille et sont dispersés autour de leurs jardins. Ces derniers correspondent à la culture en entonnoirs : on déblaie le sable, sur un rayon allant de cinq à dix mètres, jusqu’à ce que l’on atteigne le sol et, à partir de là, on creuse un puits. L’eau n’est en général pas très loin et l’irrigation se fait par le biais du puits à balancier. On cultive donc à l’intérieur de la dépression. Les familles construisent une ou deux pièces en dur et parfois, il n’y a que des huttes (zeriba). Partout, les lignages ont construit en dur un habitat fortifié appelé agham en zénète (pi. ighamawen) et gasba en arabe. Cet habitat fortifié sert de grenier pour le stockage des biens alimentaires (céréales, dattes) et de lieu de refuge en cas d’agression extérieure. L’autre type d’habitat que l’on rencontre est connu sous le terme de ksar. Dans ce cas, l’espace cultivé (la palmeraie) est distinct de l’espace habité. Certains ksour du Gourara peuvent être considérés comme de véritables cités en raison de la densité de l’habitat et de l’ancienneté de l’installation des lignages qui induisent une tradition dans la gestion des affaires communes et un lien social très fort marqué, entre autres, par une ritualisation très codifiée des échanges et des relations. L’habitat appelé ksar est pourtant relativement récent dans l’histoire du Gourara. Auparavant, le lignage s’établissait sur le lieu même où il cultivait ses jardins. Cet habitat ancien était toujours fortifié, du type agham. Ce n’est, selon les traditions recueillies, qu’à partir du XVIe siècle que s’opère la séparation entre espace cultivé et espace habité, par le regroupement des différents lignages éparpillés en un seul lieu à fonction purement résidentielle. Mais ce processus ne s’est pas réalisé partout et on peut rencontrer le cas de lignages qui cohabitent sur un même espace identifié par un nom commun et qui sont liés par des relations fortes mais qui continuent à vivre dans des habitats séparés par des jardins (At Sâïd). La fondation des ksour est liée, dans la tradition orale des Gouraris, à l’action des saints. C’est le saint qui rassemble, unifie des lignages dispersés et souvent engagés dans un processus de rivalité permanente. Le saint fixe, délimite, l’espace de la future cité ; ce faisant, il trace la limite entre la communauté qu’il prend sous sa protection et le reste de l’espace d’où peut venir l’ennemi. C’est donc lui qui préside à la fondation de la cité. L’élément essentiel ici, la condition de l’établissement humain, est bien-sûr la présence de l’eau. Le système des foggara (ifeli en zénète) permet, grâce à des drains reliés par un canal souterrain, de capter les eaux de la nappe et de les canaliser vers les jardins. Le creusement des drains et des galeries souterraines représente un très important investissement en travail réalisé principalement par les Haratin. Il s’agit de ramener l’eau à la surface de la terre, en un lieu qui doit se situer au-dessus des jardins de manière à ce que la pente soit suffisante pour entraîner l’eau dans les canaux d’irrigation. Arrivée dans les jardins, l’eau est stockée dans des bassins en attendant le travail d’irrigation. Dans ce système, la propriété des parts d’eau conditionne la vivification des terres. La répartition de ces parts obéit à des calculs compliqués que maîtrise un spécialiste appelé kiyal al-ma : celui qui mesure l’eau. De même que pour la fondation des ksour, la tradition orale relie souvent la création d’une foggara (souvent la plus importante) à l’action d’un saint, accentuant ainsi le travail de dépossession de toute action des hommes du commun sur la nature. Mais les récits montrent aussi que certains de ces personnages religieux avaient des connaissances en matière d’hydraulique et qu’ils ont certainement dirigé des travaux de creusement de foggara et amélioré les techniques d’irrigation. L’organisation des ksour s’appuie sur deux institutions civiles : la jemâa et les soff. La jemâa est présente uniquement dans les ksour où les Zénètes forment la majorité de la population. Les femmes en sont exclues et contrairement à la Kabylie où tous les hommes adultes peuvent participer aux délibérations en constituant l’assemblée du village, au Gourara, les réunions sont restreintes et ne regroupent que les délégués des différentes familles ou lignages. Ces délégués sont des personnes âgées, pieuses et à la moralité irréprochable. L’assemblée est dirigée par un chef, amghar ou kabir, qui prend les décisions après discussion avec les autres membres. Les agents religieux n’interviennent pas directement dans les affaires quotidiennes, mais uniquement sur demande des ksouriens. Avec l’implantation des zawiya et le rôle important joué par les agents religieux, le droit coutumier ancien a progressivement été remplacé par le droit musulman ou intégré à lui. L’institution des soff est, elle, plus complexe. Comme un peu partout en Afrique du nord, il en existe deux au Gourara, le soff des Yahmed et celui des Sofyan, et chaque ksar appartient à l’un ou à l’autre. Bien qu’ils ne fassent pas mystère de leur traditionnelle affiliation à un soff, les ksouriens sont plus évasifs lorsqu’il s’agit d’expliquer leur existence et les raisons de l’animosité envers les partisans du soff adverse. Les différents auteurs qui se sont penchés sur l’existence de cette institution au Twat-Gourara, relient sa genèse aux conflits qui ont eu lieu, au Nord du Maghreb, entre les Almohades et les Merinides ou encore, plus anciennement, entre partisans des Umayyades d’Andalousie et ceux du pouvoir Fatimide. D’autres chercheurs avancent la thèse d’une opposition locale entre Zénètes regroupés dans le soff des Sofyan et Arabes du soff opposé, Yahmed. Il est cependant plus probable que cette organisation dualiste de la société remonte aux temps les plus anciens (et les plus primitifs) des sociétés berbères. La présence française dans les oasis sahariennes C’est dans cet état d’organisation économique et socio-politique que les militaires français ont trouvé les communautés oasiennes au moment de la conquête du Sahara et particulièrement du Twat-Gourara au tout début du XXe siècle (1902). Contrairement au nord de l’Algérie, la présence française se limitait dans ces régions sahariennes aux militaires et à quelques familles de fonctionnaires. L’administration coloniale est cependant parvenue à interdire l’esclavage, à réduire le phénomène des rezzous qui permettait aux nomades (surtout ceux de l’oued Saoura et du sud-est marocain) de venir piller les oasiens, de détruire leurs habitations et souvent de les tuer ainsi que de généraliser les échanges monétaires. C’est aussi dans le sillage de l’implantation des troupes françaises dans le Sahara que la composante humaine s’est quelque peu transformée dans les ksour puisque de nombreux nomades arabophones (surtout les Châambas, originaires de Ouargla), qui s’étaient engagés dans cette armée française, s’installeront définitivement dans la région. Grâce à la solde qu’ils percevaient régulièrement, ces anciens méharistes parviendront à reconvertir leurs économies dans le commerce, donnant naissance à une nouvelle couche détentrice d’un capital parfois non négligeable. L’installation de l’autorité française permit également aux Haratins, qui constituaient la masse des cultivateurs, de se libérer des contraintes les liant par contrat, en principe renouvelable mais en fait à vie, aux propriétaires des palmeraies et surtout de l’eau, pour aller se faire embaucher comme ouvriers agricoles dans les fermes coloniales de la région d’Oran. Ceci accéléra un phénomène de migration des membres de cette communauté qui finirent pour certains par s’installer définitivement au nord. L’introduction de l’école et de centres de santé, en très petit nombre, tout en ne pro­voquant pas de grande transformation dans les mentalités durant la période coloniale, permit néanmoins à un certain nombre de Gouraris d’entrer en contact avec un type d’éducation nouveau, une langue différente et un rapport inconnu jusque là avec la santé. En raison de l’environnement désertique et de la circulation limitée des idées nationalistes, la guerre de libération nationale déclenchée au nord n’eut qu’un faible écho dans les oasis sahariennes. Il y eut cependant quelques accrochages sanglants, surtout dans l’erg. Les oasis depuis l’indépendance de l’Algérie Si le drapeau algérien remplace, en 1962, le drapeau français à Timimoun, il faudra attendre les années 1970 pour percevoir une présence de plus en plus effective du pouvoir central dans la région. Déjà à la fin des années 60, après le conflit algéro-marocain qui eut lieu en 1964 dans les environs de Béchar [2], Timimoun est reliée par une route goudronnée à El-Goléa à l’est (et par delà, à Ghardaïa et Ouargla) ainsi qu’à l’oued Saoura et jusqu’à Béchar. Les Twat-Gourara sont à partir de ce moment désenclavés. C’est au milieu des années 1970 que le pouvoir central décide de créer la wilaya (préfecture) d’Adrar dont dépendra dorénavant le Gourara qui devient une daïra (sous-préfecture) avec comme chef-lieu Timimoun. Cette mesure administrative entraîne un mouvement de transformation de la société oasienne, par une série de plans de développement qui concerneront les domaines de l’enseignement, de la santé, de l’agriculture (avec la mise en place d’une réforme agraire qui pénalisera les anciens propriétaires des terres et de l’eau au profit des Haratin). Ce processus de transformation accéléré entraîne un boom dans le secteur du bâtiment, de nombreux chantiers ouvrent qui attirent une main d’œuvre venue de différentes régions de l’Algérie. De nombreux fonctionnaires de l’enseignement, de la santé et de l’administration s’installent à Timimoun essentiellement mais aussi dans d’autres ksour, ce qui accentue l’arrivée de familles extérieures aux oasis, déjà perceptible au moment de la colonisation française. Juste après l’indépendance, des représentants zélés du Pouvoir central prennent un certain nombre de mesures interdisant tout à la fois les jemâa (assemblées) qui géraient les ksour (l’administration française s’était engagée à ne pas intervenir dans les affaires internes des ksouriens), la pratique d’un certain nombre de rituels jugés païens voire primitifs et non conformes à leur perception de l’islam. La construction d’écoles dans les ksour les plus reculés entraîne une généralisation de la langue arabe qui est accentuée par la présence de nombreuses familles arabophones venues d’autres régions du pays. Le chômage important dans la région pousse de nombreux jeunes à quitter les ksour pour chercher du travail dans les villes du nord, surtout dans l’Oranie ; résultat : on entend de plus en plus la musique dite raï et de moins en moins l’ahellil. Durant les années 1990, qui ont vu le mouvement islamiste se propager dans l’en­semble de la société algérienne, nous avons pu constater que si la majorité des ksouriens (dont la foi et la pratique de l’islam sont profondes suite à l’action séculaire des marabouts et des chorfas) n’ont pas suivi ce mouvement, les Zénètes scolarisés qui ont suivi des études dans le nord et qui occupent des places dans les différentes administrations locales se sont montrés assez favorables aux idées islamistes. Cette élite « moderne » relativement jeune s’est trouvée tiraillée entre le rejet des pratiques traditionnelles liées à l’islam dit populaire qui imprègne l’ensemble des ksouriens et la finalité principale de cet islamisme radical, à savoir la prise du pouvoir y compris par l’usage de la violence. Nous avons pu constater également que l’intériorisation profonde de l’islam, même si elle n’empêche pas la pratique quotidienne de la langue et de la culture zénètes, bloque en fait toute volonté de donner une place plus impor­tante à cette langue et à cette culture. Il nous apparaît que la finalité de l’islam en milieu berbère consiste à accentuer, par des vagues de réislamisation récurrentes, dont la dernière en date est l’islamisme et l’avant-dernière l’imposition par le pouvoir central d’un islam officiel, c’est-à-dire lié au réformisme d’Ibn Badis, une marginalisation de plus en plus poussée de l’identité berbère locale (en l’occurrence ici, celle des ksouriens Zénètes) qui se manifeste par l’abandon de pratiques liées à leur culture enracinée dans un local dévalorisé par rapport au centre de la communauté musulmane, à savoir les pays arabes du Moyen-Orient relayés par les pouvoirs centraux des pays de l’Afrique du nord (le Maghreb dit arabe). © Rachid Bellil [1] Nous nous permettons de renvoyer le lecteur intéressé par ces aspects, au volume I de notre étude Les oasis du Gourara éditée en 1999 chez Peeters. [2] Le pouvoir chérifien du Maroc, relayé d’abord par le parti de l’Istiqlal dirigé par Allal al-Fassi, revendique des droits historiques sur l’ensemble des oasis sahariennes, c’est-à-dire grosso modo la moitié du Sahara algérien. Jusqu’à présent, le Maroc refuse de reconnaître le tracé des frontières avec l’Algérie tel qu’hérité de la période coloniale. Pour en savoir plus... J.P. Cheylan, J.-P., "Les oasis sahariennes à foggara: mutations sociales sous fortes contraintes écologiques", revue Mappemonde, Montpellier, 1990. Guillermou, Y., "Survie et ordre social au Sahara : les oasis du Touat-Gourara-Tidikelt en Algérie", Cahiers des Sciences Humaines, Vol. 29, n° 1, Paris, 1993. (Attention : 1,2 Mo !) Timimoun et le Gourara, site de F. Malher Un système d’irrigation original : les foggara sourcesource: mondeberbere.com

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