9 décembre 2006
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Le printemps berbère
Par Djamal Benmerad
Le 20 avril était-il un coup de tonnerre dans un temps paisible ? Pour les rares observateurs attentifs, le feu couvait sous la cendre. Il faut dire que la question Tamazight ( la question berbère ) a été posée dès 1949 et qu'elle fut l'objet d'un violent débat certains historiens l'appelèrent la crise « berbéro-marxiste » , mais elle fut ensuite mise en veilleuse, la priorité fut donnée à la lutte contre l'occupant français. Plus récemment, dans les années 1970, la contestation et la revendication ont pris, d'abord, des formes culturelles. Chansons, poésie, pièces de théâtre... Le lycée Colonel Amirouche de Tizi Ouzou, chef-lieu de province de la Grande Kabylie, était l'un des foyers de cette agitation et des incidents y avaient régulièrement lieu. Ces lycéens se mirent plusieurs fois en grève parce qu'on leur demandait de jouer en arabe une pièce qu'ils ont écrite en kabyle !
En remontant de deux siècles on rencontre aussi un lycéen, le premier à avoir posé la question berbère d'une manière franche mais non dénuée de talent. Elève au lycée Ben Aknoun, dans la banlieue d'Alger, le jeune Mohand Idir Aït Amrane écrit en 1945 un poème qui aura l'effet d'un orage d'été. L'intitulé du poème dit tout : « Eker a-mis ou mazigh ! » (« Debout fils d'Homme libre ! »). Le jeune auteur évoquera dans sans son texte les fondateurs de la nation Kahina, Jugurtha... Et terminera son poème par un appel au soulèvement. On remarquera en passant le rôle joué par la poésie dans la rébellion amazigh. Les événements et le sursaut identitaire que nous traitons ici ont le même prétexte : la poésie. La même année, Ouali Bennaï, responsable du Parti du peuple algérien (PPA) demande à l'occasion d'une réunion du Part, l'unification en une seule région de la Petite Kabylie et la Grande Kabylie que le colonialisme avait scindées pour des raisons géopolitiques. Il essuiera un refus de la part de la direction du parti. Ce problème sera reposé au sein du Comité révolutionnaire d'unité et d'action ((CRUA) qui donnera naissance au premier jour du mois de toutes les espérances, le 1er novembre 1954, au FLN mais surtout à l'ALN 5. Il faudra noter que 60 ans après ces faits et 43 ans après l'indépendance de l'Algérie, il existe toujours 2 Kabylie ! Le printemps 1947 voit fleurir « Le message de Jugurtha » ouvrage de Mohand-Chérif Sahli (*). L'ouvrage au nom évocateur est diffusé par l'Union démocratique du manifeste algérien, parti libéral, « parlementariste, qui prononcera son auto dissolution néanmoins pour les rangs du Fln. La diffusion de l'ouvrage est subira les entraves musclées du MTLD 6. En novembre 1957, une vingtaine d'hommes, dont font partie le jeune poète et militant Mohand Idit Aît Amrane, Ouali Bennaï, Amar Ould Hamouda, Saïd Ali Yahia, Saïd Oubouzar, Mohand Sid Ali Yahia, Sadek Hadjeres, tous membres du PPA-MTLD, se réunissent à l'insu du parti au village Arous, non loin de Larbâa Naït Irathen, durant prés d'une semaine. Il faut dire que l'objet de la rencontre n'était pas des plus aisées. Il s'agissait :
- de condamner la politique réformiste et louvoyante du MTLD et « pousser » à la préparation de la lutte armée
- d'introduire la dimension berbère dans l'organisation de la future Algérie indépendante
De cette réunion sortira un rapport dense que Ouali Bennaï doit exposer devant le Comité central du parti. Mohand Idir Aït Amrane (il est partout ce poète !) est chargé de prendre contact avec Mouloud Mammeri en vue de le charger d'une étude sur la langue berbère.
En novembre 1948 Ali Yahia Rachid est, étudiant à Paris, membre actif du groupe berbèriste, est élu au Comité fédéral de la Fédération de France du MTLD 6. Cette Fédération de France, dont traitera
(*) Voilà ce qu'en dit Mustapha Lacheraf : « ...Trouvant même dans la référence historique à la personnalité écrasante d'énergie et de patriotisme de Jugurtha l'occasion d'un modèle exemplaire de lutte armée et de direction responsable du peuple algérien dans son lointain passé (...) Sahli marquait par-là ce que devait être, non seulement la pièce maîtresse de l'idéologie nationaliste de combat libérateur, savoir : l'action directe, la part de l'homme, de son éthique, de sa modestie, de sa capacité à diriger ses semblables tout en restant leur serviteur. »
« Littératures de combat » Mustapha Lacheraf, Editions. Bouchène, Alger 1991
Quelques décennies plus tard Ali Haroun (*) dans un ouvrage qui demeure jusqu'à présent l'unique référence sur cette structure, jouera déterminant pour la guerre d'indépendance 7.
En décembre 1948 le ver est dans le fruit : le MTLD diffuse largement, en Algérie et en France notamment, une brochure de 50 intitulée « Mémorandum à l'ONU. » Il y est dit en introduction : « La nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis VIIeme siècle. » On ne peut mettre cette phrase d'une gravité extrême sur le compte de l'ignorance mais plutôt d'une amnésie entretenue et d'un déni politico-identitaire. Mais l'Histoire est impitoyable : durant la guerre d'Algérie, les concepteurs et promoteurs de ce « mémorandum », les MNA 8 et autres « bellounistes » combattront aux côtés de l'armée française, les armes à la main, les indépendantistes algériens. Cette brochure soulève une tempête sans précédent au sein du mouvement national dont les derniers à être indignés ne furent pas les berbèro-nationalistes.
Durant l'été 1949, trois étudiants entreprennent rédigent et diffusent une brochure « L'Algérie libre vivra ! » sous le pseudonyme d'Idir El Watani. La brochure, qui circule largement au sein du MTLD, soutient que «La nation algérienne ne suppose ni une communauté de race, ni de religion, ni de langue. Cette nation repose sur quatre éléments essentiels : « le territoire, l'économie, le caractère national qui se traduit dans le mode de vie, la mentalité et la culture, le culte d'un même passé et le souci d'un même avenir. » Les auteurs de la brochure rappellent l'existence d'une Algérie antérieure à l'avènement de l'Islam, une nation plusieurs fois millénaire et réfutent l'affirmation de Messali Hadj qui limite l'histoire de l'Algérie au VIIème siècle.
En août 1949 survient un « incident » : Ferhat Ali, militant du MTLD et néanmoins opposant à Messali Hadj concernant la question de la lutte armée et le problème berbère est atteint d'une balle par Krim Belkacem, futur membre du GPRA. Le lendemain, « L'Echo d'Alger », journal des ultra colonialistes, titre « Des membres dissidents du PPA veut créer le PPA kabyle. », déclaration supposée provenir de la victime. Deux jours après, le groupe des étudiants berbèro-nationalistes demandent à la même victime de rédiger une mise au point. L'Echo d'Alger refuse de la publier. C'est Alger républicain, journal avant-gardiste qui s'en charge... et en caractères gras. Mais nous arrivons au printemps 1949 et à la fameuse « crise berbèro-marxiste. » Au mois de mars, le bouillonnant Ali Yahia Rachid, étudiant en droit à l'université de Paris et, nous l'avons vu plus haut, membre élu du Comité directeur de la Fédération de France, réussit à faire voter une motion dénonçant le mythe d'une Algérie arabo-islamique et défend la thèse de l'Algérie algérienne. La motion est votée à une large majorité : 28 pour sur 32.
Moins d'un mois après, le 15 avril 1949 , Messali Hadj ordonne à un militant, Embarek Filali, d'organiser un commando pour reprendre en force la Fédération de France. Celui-ci s'exécute et pousse le zèle jusqu'à diffuser un tract (d'inspiration messaliste) condamnant le berbèrisme. Mustafa Radjef, ancien de l'ENA et membre du Conseil de la Fédération de France, originaire de Kabylie, réunit le Comité fédéral et fait voter une motion intitulée « Condamnation de la déviation politique du Comité fédéral . » Echec : la motion recueille 12 voix pour et 1 voix contre. Mustafa Radjef décide alors, avec quelques kabyles de service dont le Dr Mustapfa Chawki et Sadek Saïdi, d'organiser d'autres commandos pour « reprendre » la Fédération de France « des mains des scissionnistes. » L'effectif initial de ces commandos est de 70 hommes, selon Mustafa Radjef. Des affrontements ont lieu entre les « arabo-islamistes » et les tenants de « l'Algérie algérienne. » pour la récupération des moyens logistiques, des locaux et des véhicules du Parti, particulièrement dans les 18ème et 20ème arrondissements de Paris notamment.
Ali Yahia Rachid, pressentant le danger, lance un appel à Ouali Bennaï à Oran. Ce dernier, conscient du danger, s'apprête à embarquer pour Marseille lorsqu'il est étrangement arrêté au port d'Oran par la police française. Ce sera le début d'une campagne d'arrestations mais ciblant uniquement les partisans de l'Algérie algérienne.
Ainsi nombre de cadres importants du MTLD, dont Omar Boudaoud, responsable de l'OS en Basse Kabylie, et dirigeant de la Féderation de France de l'ALN pendant la guerre), Saïd Oubouzar, responsable politique de la région de Tizi Ouzou, Amar Ould Hamouda, un des responsables de l'OS. et membre du Comité central du MTLD, Omar Oussedik, membre du Comité central et adjoint d'Ahmed Bouda, connaîtront la torture et la prison.
(*) Ali Haroun « La 7ème Wilaya » La guerre du FLN en France 1954-1962. Ed. du seuil, Paris,1986
Ces arrestations provoquent un profond malaise au sein des militants kabyles qui accusent leurs dirigeants du MTLD de « complicité » avec l'administration coloniale. Messali Hadj pousse le cynisme à accuser ces cadres et permanents du MTLD, alors qu'ils sont déjà en prison, jusqu'à les accuser de « régionalisme » et d' « antinationalisme.» Ils seront tous exclus du Parti. Idir Aït Amrane, l'auteur nous l'avons vu, de « Ekker a-mis ou mazigh » , leur composera un chant tout aussi émouvant : « Si l' Dzaïr ar Tizi Ouzou. »
Après « la récupération » musclée de la logistique de la Féderation de France par les arabo-islamiques, une « mise au point » se fait à Alger, dans la Medersa « Errachid ». Les principaux responsables du mouvement berbère, en prison ou sous mandat d'arrêt, à l'exception d'Aït Ahmed activement rechérché par la police coloniale, furent exclus du Parti.
Du fond de sa prison, Ouali Bennai envoie, par l'intermédiaire me Me Abdrrahmane Kiouane, avocat du Parti, une lettre à Ali Yahia Rachid. Il lui demande explicitement : « Que devient le M. R. B. ? » Cette lettre lue et photographiée parla direction du Parti, est distribuée à toutes ses sections. Une aubaine pour la direction du Parti qui y voit là une preuve irréfutable de la présence d'une organisation secrète à l'intérieur du Parti, dite « Mouvement révolutionnaire Berbère. » Elle redynamise sa campagne anti-berbère. Des délégués sont envoyés à travers toute l'Algérie. Leur mission est de faire condamner le berbèrisme par les sections de base. Dans certains quartiers d'Alger, des bagarres éclatent entre les arabo-islamistes et les berbèro-nationalistes.
L'année 1952 commence par l'assassinat de Ali Rabia, militant du Parti. La campagne de liquidations physiques vient d'être inaugurée.
Le MTLD dénonce, à travers son organe central « L'Algérie libre » et avec l'aide de ses porte-voix, la pièce de théâtre de Abdellah Nakil intitulée « El Kahina. » La pièce, mise en scène le 27 novembre 1953 par celui qui deviendra le célèbre dramaturge, Mustapha Kateb, retrace l'histoire de l'invasion arabe et la résistance des berbères conduits par Kahina, la reine berbère. Jouée en arabe populaire, elle connaît un vif succès auprès des populations.
En mars 1954, une association culturelle se nommant Tiwwizi n'tamazight (solidarité pour tamazight) est crée à Paris par un groupe de berbèristes . Son objectif est le développement de la langue berbère. L'association publiera une revue du même nom. Ce sera l'une structures réellement démocratiques d'avant-guerre. Le poète Idir Aït Amrane,, décidément incontournable, leur dédiera un chant intitulé « Akker Wer neggan udhan » (Debout toi qui ne dort point) Après le 1er Novembre 1954, l'association s'auto-dissout en assemblée générale et décide de rejoindre le combat armé.
La guerre d'Algérie est entamée depuis deux ans lorsque les résistants, qu'on appelait « maquisards » apprennent que Amar Ould Hamouda, ancien responsable de l'Organisation spéciale est « exécuté » avec Mbarek Aït Menguellat. Ils sont accusés d'avoir constitué un groupe qui prônait le communisme en Kabylie. La même année verra l'assassinat, à Demâa N'Sharidj, de Boualem Bennai, militant infatigable de la cause nationale et partisan de l « Algérie Algérienne. » L'ordre de l'exécution a été donné par Krime Belkacem, furur négociateur des accords d'Evian. Selon l'historien Mohamed Harbi « Le colonel Ouamrane l'avait fait avertir par Rabah Bouaziz de ne pas se rendre dans sa région et de rejoindre le maquis de la wilaya IV. Il savait qu'en Kabylie son sort était scellé. »
Le 27 décembre 1957, Abane Ramadane, stratège politico-militaire, « cerveau » de la révolution algérienne, concepteur et organisateur du Congrès de la Soummam, se rend au Maroc où est réfugiée la direction de la résistance, rappeler aux cadres de cette résistance les décisions du Congrès de la Soummam : primauté de l'intérieur sur l'extérieur et primauté du civil sur le militaire. Il est exécuté par les siens au Maroc. Il a été jugé et condamné en secret par les 3 « B » : Boussouf, Bentobal et Belkacem, trois « dirigeants extérieurs » de la résistance.
Le mouvement berbère dans l'Algérie post-indépendante
E n 1962, quelques semaines après l'indépendance, à sa sortie de prison, Ben Bella donne le ton à partir de Tunis où il fait un discours : « Nous sommes Arabes, des Arabes, dix millions d'Arabes . » Pour le premier président de l'Algérie indépendante, « ... Il n'y a d'avenir pour ce pays que dans l'arabisation. »
En septembre de la même année l'écrivain Mouloud Mammeri tente d'obtenir de Si Mohammedi, ministre de l'éducation, la réouverture de la chaire berbère de l'université d'Alger. Le ministre lui répond : « Mais voyons tout le monde sait que ce sont les pères Blancs qui ont inventé le berbère . »
Quelques jours après ce refus méprisant, Ben Bella insiste dans un discours prononcé du haut du Parlement : « ... L'Algérie s'est définie comme nation arabe, recherchant par tous les moyens le resserrement des liens avec les pays frères en vue d'aboutir à l'unité arabe... »
Le 21 août de l'année suivante, au cinquième congrès de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), organisation née pendant la guerre et qui se transformera en UNEA dès l'indépendancce, les congressistes soulèvent la question de l'arabisation et le statut de la langue berbère, et particulièrement « ... la nécessité du développement de la langue berbère et la création d'un institut d'enseignement du berbère. »
29 septembre 1963 des militants créent le Front de forces socialistes (FFS). Cette formation est essentiellement à ancrage kabyle. Le FFS prône une opposition armée contre le régime du Président Ahmed Ben Bella. La Kabylie devient le théâtre d'affrontement militaires.Onze mois plus tard, Ait Ahmed sera arreté, condamné à mort puis gracié par Ben Bella.
En 1964 le chanteur kabyle Slimane Azem est interdit d'antenne. Certains présentateurs radio connaîtront « le placard » pour un temps indéterminé. L'Etat réduit les horaires de la chaîne kabyle. Avril 1968 se penche sur la naissance du premier Cercle culturel berbère (semi-légal) à la cité universitaire de Ben Aknoun (Alger). Ses activités comprennent des cours de berbère dispensés par Mouloud Mammeri et la publication de la revue Tafsut.
Dans son discours inaugural au premier Festival culturel panafricain tenu à Alger le 22 juillet 1969,
Le Président Houari Boumédiène rappelle que « Longtemps contraints de nous taire ou de parler la langue du colonisateur, c'était un devoir essentiel et premier que de retrouver nos langues nationales, les mots hérités de nos pères et appris dès l'enfance. » Il ajoute qu' « il n'y a pas de langue qui, au départ, soit plus apte qu'une autre à être le support de la science et du savoir. »
Ces propos n'empêchera pas son ministre de la culture d'interdire à Taos Amrouche, célèbre romancière et chanteuse berbérophone de représenter l'Algérie à ce festival. Cependant elle sera invitée par les animateurs du Centre culturel berbère de la cité universitaire de Ben Aknoun où elle se produira devant les étudiants.
Pendant ce temps on assiste à l'explosion de la chanson kabyle. Des étudiants comme Ferhat M'Henni créent le groupe au nom évocateur d' « Imazighen Imoula » pendant qu'Idir va « internationnaliser » la chanson kabyle avec « A vava inouva .» Le thème de ces chansons n'est plus à la mièvrerie. Un autre temps est venu, celui de la revendication identitaire, la liberté de la femme, la contestation...
Le ministre de l'Intérieur dresse une liste, sous forme de circulaire adressée à l'état civil des communes, de prénoms arabo-musulmans à attribuer aux nouveau-nés, à l'exclusion de tout autre prénom. Ainsi le citoyen berbère sera dépossédé, dès la naissance, d'une part de son identité.
16 avril 1976. A l'occasion de la célébration de Youm El Ilm (journée du savoir) qui est en même temps la journée commémorative de la mort du cheih Abdelhamid Benbadis, président de l'Association des ulémas, Boumediène signe une ordonnance qui stipule que « ... l'enseignement est assuré en langue nationale (comprendre la langue arabe) à tous les niveaux d'éducation et de formation et dans toutes les disciplines. » Deux mois plus tard, le Parti de la révolution socialiste (PRS) fondé par Mohamed Boudiaf en exil critique durement le pouvoir algérien à qui il reproche de faire l'impasse sur la question berbère. Ainsi, comme le note la revue Tafsut, le PRS, avec à sa tête Mohamed Boudiaf, est la première formation politique à se prononcer en faveur de la culture berbère.
Eté 1976, pour avoir ronéoté des textes littéraires en tifinagh (alphabet berbère), 200 jeunes, lycéens pour la plupart, sont arrêtés et emprisonnés. Ils seront, pour quelques uns, condamnés jusqu'à 24 mois de prison.
En 1977, le gouvernement a fait coïncider la finale de la coupe d'Algérie de football qui devait opposer la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) au Nast Atlethic d'Hussein Dey (NAHD), équipe algéroise dont les supporters étaient aussi d'origine berbère, avec le 12ème anniversaire du « redressement révolutionnaire », euphémisme pour désigner le putsch de Boumédiène de 1965. Dans les tribunes, les spectateurs face à la tribune présidentielle hurlent des slogans tels que « La langue berbère vivra », « Liberté d'expression », « Nous sommes des Imazighen... » La retransmission en direct de la rencontre cause un effet d'amplification. Le match est remporté par la JSK.
La rentrée verra l'ouverture du centre universitaire de Tizi Ouzou (CUTO) qui regroupera les étudiants et les enseignants jusque là éparpillés dans divers instituts d'Alger.
En novembre, la direction du PRS de Boudiaf met en place une cellule de réflexion pour étudier le dossier berbère et élaborer des propositions concrètes.
Quelques jours après, Aït Ahmed, secrétaire général du FFS demande la « reconnaissance de la langue berbère au même titre que la langue arabe. »
Cependant des interdictions sont notifiées àe plusieurs chanteurs kabyles comme I'Idir , Ferhat, et d'autrss « perturbateurs »de se produire devant leur public. Cependant un fait d'une grave importance vient détourner l'opinion nationale.
Le 10 décembre 1978, alors que Boumédiène agonisait des suites d'une maladie jusque là inconnue, un lot d'armes est parachuté au Cap Sigli, non loin de la ville de Bougie. Il s'agissait de créer un maquis qui aboutirait plus tard à un soulèvement kabyle contre le régime. Avec la complicité de quelques conjurés, anciens résistants tels que Ferhat Abbas, ancien Président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), Belarbi, Boudjeloud, Ahmed Kadri, Mohamed Benyahia, les services secrets français ont fournit, via le Maroc, « la logistique. » Là où le complot a tourné à un scénario sur la famille Dalton, c'est que la conjuration a été éventée par la puissante et redoutable Sécurité militaire (services spéciaux) algérienne. Ce pourrait même être une manipulation de leur part, ayant une grande connaissance des services français et marocains, pour « resserrer l'unité nationale » contre l'ennemi héréditaire : la France. Il n'en demeure pas moins que le parachutage fut réceptionné par cette Sécurité militaire.M. et les conjurés arrêtés. Quelques jours plus tard, le chanteur contestataire Lounis Aït Menguellet est interdit de chanter. C'est la première d'une langue série d'interdictions. L'auteur de cet ouvrage va ronéoter et distribuer un célèbre poème de Nazim Hikmet : « Ils ne nous laissent pas chanter. » Il connaîtra à cette occasion l'humidité des geôles du commissariat central du Grand Alger. Une semaine plus tard verra l'interdiction de jouer d'une pièce de théâtre de Kateb Yacine, traduite en berbère : « La guerre des 2000 ans. »
Ce flash back était nécessaire pour démontrer que le mouvement berbère n'est pas issu d'une génération spontanée.
Le 27 décembre 1978, Houari Boumediène décède.
L'armée impose Chadli Benjeddid comme candidat unique comme à la succession de Boumediène.
Chadli est « élu » le 9 février 1979. Il sera le 5ème président de l'Algérie indépendante.
Evènements de l'année 1980
Le péril jeunes : Là encore, à l'origine était la poésie.
Le 10 mars 198O, l'écrivain de notoriété mondiale Mouloud Mammeri, concepteur et animateur de la revue Awal (parole), devait donner à l'université de Tizi Ouzou une conférence sur les « Les poèmes kabyles anciens » Quelques mois auparavant Mouloud Mammeri a publié chez Maspero un ouvrage portant le même intitulé. Quelques heures avant la tenue de la conférence, le commissaire politique régional du Parti unique donna l'ordre d'interdire la conférence, cette conférence hautement subversive. La poésie kabyle prohibée ? Une délégation d'étudiants sollicite un entretien avec l'auteur de cet ukase. En vain. On improvise alors une assemblée générale au campus de l'université. Y participent 1.500 étudiants sur les 1.700 que compte l'université, qui votent la grève et un sitting devant le siège régional du Parti unique. Le lendemain ils sont là à crier des slogans nouveaux : « Tamazight est notre langue ! »,« Halte à la répression culturelle ! », « Culture berbère, culture algérienne ! ... » Le lendemain 12 mars les lycéens de la ville se mettent en grève. Le 13 on voit apparaître des tags, certains du FFS : « Démocratie », « culture berbère nationale », « langue populaire, langues nationales ...» A Larbâa Nath Irathen, les enseignes et les plaques d'indication routière sont arrachées par les lycéens, d'autres sont bariolées. A leurs places on lit « Anerrez Ouala N'Eknou » (« Plutôt rompre que plier », vers du poète Si Muhand U'Mhand.) La caserne est envahie et les soldats, pour une grande partie des jeunes appelés du service militaire, fraternisent avec les manifestants. Le commissaire de la police locale est bloqué dans sa voiture. Il est obligé par les jeunes surchauffés de répéter leurs slogans. Le Président de la république, qui devait faire une visite officielle à Tizi Ouzou le 15, c'est à dire deux jours plus tard, annule son voyage. Le préfet convoque une réunion des chefs d'établissements scolaires. Lors de cette réunion, le directeur de l'institut islamique prononça cette phrase qui, sous d'autres cieux, serait passible des tribunaux pour « incitation au crime» : « Il faut tirer sur la foule ! » L'agitation continue, chaque fois renforcée avec « de nouvelles troupes. » Le lendemain, A Alger, quelques 5OO étudiants marchent dans la rue Larbi Ben M'Hidi, l'une des artères les plus importantes de la capitale. Ils sont violemment dispersés par la police. Quelques manifestants sont interpellés. Cinq d'entre eux font connaissance avec les geôles souterraines du commissariat central. Ce devint, de part et d'autre, le début du cycle manifestation-arrestations.
Le 18 mars, le préfet de Tizi Ouzou fait une « incursion » à Azazga, un bourg située à une trentaine de km du chef-lieu de province. La population le reçoit « chaudement » à coups de jets pierres et en hurlant son mécontentement. Il doit vite rebrousser chemin. Le siège local du parti unique est saccagé, la gendarmerie attaquée. Les rues sont inondées par la foule. Dans la localité de Ain El Hammam, les ouvriers se solidarisent avec les jeunes et se mettent en grève illimitée tout en assurant le service minimum. A Drâa El Mizan la ville est en turbulence. La police y opère 70 arrestations chez les lycéens.
La population de la province de Bougie, deuxième capitale de la Kabylie, s'enflamme. Des bourgs à forte concentration de populations, Amizour, El Kseur, Sidi Aich, Akbou et leurs environs voient leurs habitants, y compris des dames du troisième âge, occuper les rues. C'est l'alerte orange : des troupes supplémentaires sont rameutées en renfort. La Kabylie est quasiment en état de siège.
Dix huit jours après, le feu aux poudres, El Moudjahid, organe officiel de l'Etat et du Parti unique, se fend d'un article, où la haine se substitue au journalisme, intitulé « Les donneurs de leçons. » Il est signé Kamel Belkacem. Ce plumitif se singularisera quelques mois plus tard où, en qualité de directeur d'Algérie Actualités, hebdomadaire également étatique, publiera une interview de Bigeard de triste mémoire, où l'occasion sera donnée à ce dernier de justifier la pratique de la torture qu'il a ordonnée à ses subordonnées durant la guerre d'Algérie. Des personnes, dont l'auteur, se chargeront de lui rappeler à cet effet que pour des faits similaires (crimes de guerre), Adolf Eichmann a été kidnappé par les Israéliens qui lui ont fait traverser clandestinement plusieurs frontières et l'ont jugé à Tel Aviv. Il s'avèrera, quelques mois plus tard, que ladite interview a été ordonnée par Larbi Belkheir, directeur de cabinet à la Présidence de la république et qui, de notoriété publique, a été placé à ce poste par la France pour veiller sur les intérêts de l'ancienne métropole, fut-ce au prix de quelques coups tordus. A la date où nous écrivons... il est directeur de cabinet de Abdelaziz Bouteflika ! L'Histoire bégaie, dit-on. Tout au cours de la semaine qui suit la publication de cet « article », des lettres et des pétitions de protestation émanant de différents les milieux affluent chez les autorités.
26 mars : nouvelle manifestation à Tizi Ouzou. Etrangement, la police n'intervient pas. Le 8 avril, en Kabylie, on assiste à une déferlante de plusieurs milliers de paysans qui marchent sut Tizi Ouzou. L'armée bloque les routes. Le mouvement s'étend à toute la Kabylie. Bouira est contaminée. Le 9 avril un concert que devait donner Ferhat Imazighen Imoula à Sidi Aïch est interdit. Des troubles ont lieu. Quelques jours après, le 11 avril, est envoyée à El Moudjahid la mise au point de Mouloud Mammeri suite à l'articulet « Les donneurs de leçons. » Au mépris de toute éthique, de toute déontologie et du Droit, ce quotidien dans lequel, durant les années de feu et de la résistance, écrivaient des héros tels que Abane Ramdane, Ben M'Hidi, Boudiaf et tant d'autres noms illustres, ce quotidien devenu aux mains de la « françafrique », refuse de publier la mise au point. Qu'à cela ne tienne : des ronéo tournent de plus belle. La mise au point est lue dans les endroits les plus reculés d'Algérie...et en France où le quotidien « Le matin » la reproduit dans son intégralité. C'en est trop pour Chadli Bendjeddid et son éminence grise Larbi Belkheir : que l'Algérie soit à feu et à sang est perçu comme « un chahut de gamins », mais un seul article publié dans la presse de l'ancienne métropole en défaveur du régime provoque la panique. Cela restera une règle pour tous les régimes qui se succèderont, hormis « la parenthèse » Boudiaf. Une semaine plus tard se tient une assemblée générale des étudiants de l'université de Hasnaoua qui votent l'occupation de la salle de reprographie et qui lancent un appel à une manifestation pour le 20 avril à Alger. Cet appel est, dans l'esprit de ses initiateurs, lancé pour « décentraliser » le mouvement. Il sera, tout au début, modérément suivi : le 20 avril, à 10 heures du matin, 500 à 700 étudiants et quelques enseignants, tout au plus, se rassemblent à Alger autour de la Place du 1er Mai, portant des banderoles où sont expliquées leurs revendications et où sont griffonnés des slogans : « Liberté d'expression », Démocratie culturelle ...» Face à l'intervention de la police, les manifestants entonnent le chant des résistants : « Min Djibalina talâa saout el ahrar » (De nos montagnes s'est élevé le chant des Hommes Libres). La police réplique à ce chant avec une charge inouïe. Prés de 200 manifestants sont jetés de force dans les paniers à salade, plusieurs d'entre eux sont blessés dont 5 dans le coma. Un étudiant meurt sous les coups de matraques. Une grève est votée à l'université d'Alger. A 1 3 heures se tient un meeting dans le campus. Des étudiants militants de divers partis, tous clandestins, prennent la parole. Parmi eux, on note la présence du Pags (*), Ffs (**), Ost (***) et Gcr (****). Le deuil se mue en grève. Le même jour, en Kabylie, l'opération « Mizrana » (de son nom de code) est déclenchée. L'armée et la gendarmerie sont mis à contribution. Les universités, les cités universitaires, les usines... et les hôpitaux sont occupés par les forces de répression. Des combats ont lieu. Les chiens policiers sont lâchés à la poursuite des étudiants qui tentent de s'échapper. D'autres étudiants, à moitié-nus, sautent par les étages des cités U. Des professeurs, des médecins et des infirmiers coupables d'avoir soigné les victimes sont arrêtés. Ces derniers seront remplacés par des médecins militaires. Les villes de Bougie et de Tizi Ouzou se mettent spontanément en grève, sans qu'aucun appel n'ait été lancé en ce sens. L'activité reprendra progressivement le 24 avril.
(*) Pags : Parti d'avant garde socialiste
(**) Ffs : Front des forces socialistes
(***) Ost : Organisation socialiste des travailleurs
(****) Gcr : Groupes communistes révolutionnaires
Le 12 mai, une grève est votée de nouveau par les étudiants d'Alger. Elle sera largement suivie à la satisfaction de ses initiateurs dont l'objectif est d' « excentrer » le mouvement sur Alger. Des étudiants diront : « Le pouvoir est loin, il n'entend pas la Kabylie, il faut donc aller chez lui pour se faire entendre.
Le 16 mai le quotidien El Moudjahid publie une liste de 24 détenus qui devront être jugés par la cour de sûreté de l'Etat. En même temps l'alerte grimpe au rouge. Le pouvoir instaure un état de siège qui ne dit pas son nom.
Le 19 mai est la Journée nationale de l'étudiant. Ce sera l'occasion d'autres « troubles ».
Le 24 mai se tient à la fac centrale d'Alger une assemblée générale. Les forces de l'ordre viennent « casser de l'intello. » Le 25 du même mois, alors que les populations de Bougie et Tizi Ouzou expriment massivement leur soutien aux détenus. L'Algérie presse service (Aps), agence de presse étatique, annonce leur mise en « liberté provisoire. » Le lendemain, plusieurs colonnes de véhicules affluent de toutes parts chercher les détenus à la prison de Berrouaghia. A leur retour ils sont accueillis par une liesse indescriptible. C'est la fin de la saison scolaire et universitaire, mais pas celle de l'action politique.
Evénements de l'été 1980
Certains acteurs du mouvement berbère et de spécialistes, acquis à la cause amazigh, dans les domaines de l'histoire, sociologie, linguistique..., se réunissent à Yakouren, un village boisé de la province d'Azazga, du 1er au 31 août. Cette rencontre prendra plus tard le nom de « Séminaire d'Yakouren . »
Ces Assises à pour tâche essentielle de « poser (...) clairement le problème de la culture en Algérie afin de dépasser les fausses accusations dont la presse nationale notamment s'est fait l'écho, et dont les propos incendiaires ont failli conduire à l'irréparable. »
La question de la culture en Algérie s'articule, selon les séminaristes, autour de trois axes principaux :
1- Le problème de l'identité culturelle du peuple algérien.
2- Le problème des libertés d'expression culturelle.
3- Le problème de la culture dans la politique de développement.
Les séminaristes sortent de cette rencontre avec un épais dossier qui constitue plus un programme politique qu'un manifeste culturel.XXXXXXXXXXxXXXXXXXXXXxxxxxxxxxx
Voir le texte imprimé
1981
A la rentrée de l'année 1981, le ministre de l'Enseignement supérieur, Abdelhak Brerhi, annonce la création de départements de « Culture et dialectes populaires » au sein des universités d'Alger, Annaba, Oran et Constantine. Une montagne qui accouche d'une souris. En même temps, le docteur Saïd Saâdi (**), médecin à l'hôpital de Tizi Ouzou et l'un des principaux animateurs du mouvement berbère, recevra un ordre d'affectation pour Khenchela, petite ville de l'Est située à plusieurs centaines de km de la province de Tizi Ouzou. Un mouvement de solidarité se crée autour de lui, mouvement auquel se joint la section Tizi Ouzienne de l'Union médicale algérienne (UMA)... organisation du Parti unique ! Cette section rebelle sera dissoute. Par ailleurs, des dizaines de travailleurs d'entreprises publiques ayant participé au mouvement de solidarité seront mutés hors de leur province
Face à l'agitation intense et « expanse » des milieux estudiantins, le pouvoir répond comme il l'a fait à chaque contestation populaire : il lâche ses forces de police et de gendarmerie. La franchise universitaire fut violée. , ce qui fait dire à certains étudiants, avec ce cruel sens de l'humour qu'on connaît aux Algériens : « Nous avons les flics les plus instruits du monde : ils fréquentent la fac. » A l'université d'Alger, les islamo-baâhistes, munis de barre de fer, de chaînes à vélo et diverses armes blanches, attaquent ouvertement les animateurs du mouvement berbère et les militants du Pags... sous l'œil indifférent des brigades anti-émeute, bien que des armes blanches furent utilisées. Des étudiants organisent des « Comités de vigilance. » L'auteur, ainsi que Smail Mahi, qui sera assassiné par les islamistes en 1992 et Slimane Laouari, actuellement rédacteur en chef du quotidien « La dépêche de Kabylie », constituant un des Comités de vigilance, contactèrent la section Pags des dockers qui vint à
(*) Il sera fondateur, en février 1989, du Rassemblement pour la culture et la démocratie
rescousse. La police et gendarmerie n'intervinrent que lorsqu'ils constatèrent que les « Berbéro-marxistes » avaient pris le dessus... pour arrêter ces derniers ! Cependant, il faut noter que cette même journée, alors que les Bérbèro-Pagsistes se défendaient contre l'agression islamo-baâthiste, deux directives provenant de la direction du Pags sous forme de tracts circulent : « Halte à la manipulation » et « Halte à la provocation. » Ces deux directives expliquaient, en substance, que les berbéristes étaient « manipulés par des forces occultes », pour la première directive, et pour la seconde, que ces mêmes manipulateurs tentaient de diviser la masse estudiantine ! La base militante du Pags et mit cette attitude, à juste titre, sur le compte du « soutien critique » au régime dans lequel s'est enferré le Pags (*). Mais cette même attitude signera pour le Pags le commencement de la fin. Ce dernier venait de s'engager sur la pente descendante, une pente savonneuse, de sa déchéance.
Après 5 mois de détention préventive, à la fin du mois d'octobre, les inculpés du 19 mai 1981 de Bougie comparaissent devant le tribunal correctionnel de cette ville. Ils seront condamnés à des peines allant de 10 mois à 4 ans de prison ferme. Deux enseignants du secondaire seront condamnés...à 5 ans d' interdiction d'enseigner. Le meme jour, à 100 km de là au tribunal de Tizi Ouzou, 3 étudiants seront condamnés à 4 ans de prison ferme.
Le reste de l'année universitaire est régulièrement ponctuée d'arrets de cous, rassemblement, distribution de tracts... jusqu'au 13 avril où les animateurs du Mouvement culturel berbère de Bougie et Tizou Ouzou appellent à commémorer la journée du 20 avril, deuxième anniversaire du printemps berbère, « pour rappeler à l'opinion qu'ensemble nous n'avons pas oublié (...) que le régime a laché ses chiens sur les travailleurs et étudiants de la Kabylie pour toute réponse à leur revendication culturelle pacifique.»
Une semaine culturelle sera programmée
(*) Quatorze ans après ces événements, l'auteur de cet ouvrage demanda le pourquoi de ces directives à Sadek Hadjeres, ex-premier secrétaire du Pags auto-dissous, invité à Bruxelles par l'association Awal oua thakafa (Parole et culture). Ce dernier répondra : « Je ne sais pas... J'étais à Oran ce jour-là ! »
(¨¨)Qui sera fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie. Ce parti prendra une orientation sociale-démocrate.
Des vigiles furent employés « à plein temps » dans les universités de ces quatre villes. Cependant, dans l'université d'Alger, Des arrestations eurent lieu, notamment à Alger et Tizi Ouzou. La Cour de la sûreté de l'Etat condamna 24 « agents de l'étranger » à plusieurs mois d'incarcération dans la prison de Berrouaghia. Des vigiles furent employés « à plein temps » dans les universités de Bougie, Tizi Ouzou, Bouira et Alger.
Le 12 mars 1981 s'ouvre une session du Comité central du Parti consacrée à la politique culturelle. Auparavant, l'appareil du Parti a déclenché une « campagne d'explication et de sensibilisation » qui s'est transformée en diatribes contre « les séparatistes » et « les nostalgiques de l'ordre colonial. » Il est coutumier au Parti de réactiver l'épouvantail colonial devant les revendications berbéristes ou « l'urgence de la cause palestinienne » pour faire échec à tout mouvement de masse qui incluait les arabophones et les berbérophones.
La session du Comité central du Parti fut rondement menée et, comme si attendaient les Algériens, fut réaffirmé avec force « l'unicité de la langue arabe, langue qui, aux côtés de l'islam religion d'Etat, demeure l'une des constantes qui constituent la personnalité nationale. »
Les résolutions finales de cette session provoquent une grève générale de protestation dans les provinces rebelles de Bougie et de Tizi Ouzou.
Les 19 et 20 avril sont commémorés dans ces deux provinces et à la fac' centrale d'Alger le premier anniversaire du printemps berbère à travers de gigantesques manifestations, répondant ainsi à l'appel lancé par une coordination regroupant des comités d'étudiants, de lycéens, d'enseignants, des parents d'élèves et d'ouvriers.
Un mois plus tard, le 29 avril, un comité d'intellectuels de renommée mondiale dont le poète Kateb Yacine, l'écrivain et historiographe de la culture berbère Mouloud Mammeri, l'artiste peintre M'Hammed Issiakem, déposent au ministère de l'Intérieur une demande d'agrément d'une association qu'ils ont dénommée « Amuger » (Rencontre). Aujourd'hui, vingt cinq ans après, nombre de ces personnalités sont décédées, plusieurs ministres de l'Intérieur se sont succédés, mais l'agrément de cette association n'a toujours pas été accordé.
Le 19 mai est la Journée nationale de l'étudiant (*)
Les autorités instaurent dans l'ensemble de la province un couvre-feu a partir de 18 h 30 jusqu'à 5 h du matin. Des arrestations touchent 31 militants du mouvement culturel berbère qui seront jugés pour ce qui devint une antienne :
- Rassemblement
- Incitation au rassemblement
- Distribution de tracts
Il faudrait peut-être signaler au passage qu'aux yeux du régime le tract, nonobstant son contenu, est en lui-même un délit !
Les étudiants berbéristes de la faculté d'Alger tiennent un meeting d'information. Des militants arabo-islamistes ainsi que des repris de justice sont appelés en renfort pour « casser » le rassemblement. Des heurts violents surviennent. Une fois de plus la police intervient et, une fois de plus, seuls les militants berbéristes sont arrêtés. Les nervis arabo-islamistes quittent l'enceinte universitaire sous la protection vigilante des forces de l'ordre. Les étudiants berbéristes arrêtés, au nombre de vingt deux, seront présentés au parquet judiciaire pour :
- Atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat
- Atteinte à l'unité nationale
- Constitution de collectif à caractère subversif
- Atteinte à la personnalité nationale
- Complot - Rébellion
- Rédaction, détention et diffusion de tracts
- Association de malfaiteurs
- Destruction de biens publics et monuments
- Attroupement
La répression crée un temps de désarroi au sein de la mouvance activiste du mouvement culturel berbère. Cependant un ressaisissement rapide s'opère sous la pression des masses et ils décident d'organiser une université d'été qui devrait se tenir du 31 août au 15 septembre au Centre universitaire de Tizi Ouzou. Mais le 31 août à l'aube, les forces de l'ordre sont aussi au rendez-vous. Ils font évacuer manu-militari le centre universitaire et le transforment en caserne.
(*) Cette date a été instituée Journée nationale de l'étudiant en hommage au 19 mai 1956, journée où les étudiants et lycéens désertèrent les bancs de leurs universités et lycées pour rejoindre les maquis de la résistance anti-coloniale.
(5) Armée de libération nationale
(5) Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, couverture légale du PPA
(7) Lire « Les porteurs de valises » d'Hervé Hamon et Patrick Rotman, préface de Pierre Vidal-Naquet(. Editions Albin Michel 1879 (réédition)
(8) Mouvement national « algérien », dirigé par Messali Hadj. Les guillemets sont de mise.
(9) Idir veut dire en kabyle « vivra » .
El Watani se traduit en arabe par «]le patriote »
(10) Gouvernement Provisoire de la République Algérienne
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Posté le mercredi 19 avril 2006 à 11:45
Par Djamal Benmerad
Le 20 avril était-il un coup de tonnerre dans un temps paisible ? Pour les rares observateurs attentifs, le feu couvait sous la cendre. Il faut dire que la question Tamazight ( la question berbère ) a été posée dès 1949 et qu'elle fut l'objet d'un violent débat certains historiens l'appelèrent la crise « berbéro-marxiste » , mais elle fut ensuite mise en veilleuse, la priorité fut donnée à la lutte contre l'occupant français. Plus récemment, dans les années 1970, la contestation et la revendication ont pris, d'abord, des formes culturelles. Chansons, poésie, pièces de théâtre... Le lycée Colonel Amirouche de Tizi Ouzou, chef-lieu de province de la Grande Kabylie, était l'un des foyers de cette agitation et des incidents y avaient régulièrement lieu. Ces lycéens se mirent plusieurs fois en grève parce qu'on leur demandait de jouer en arabe une pièce qu'ils ont écrite en kabyle !
En remontant de deux siècles on rencontre aussi un lycéen, le premier à avoir posé la question berbère d'une manière franche mais non dénuée de talent. Elève au lycée Ben Aknoun, dans la banlieue d'Alger, le jeune Mohand Idir Aït Amrane écrit en 1945 un poème qui aura l'effet d'un orage d'été. L'intitulé du poème dit tout : « Eker a-mis ou mazigh ! » (« Debout fils d'Homme libre ! »). Le jeune auteur évoquera dans sans son texte les fondateurs de la nation Kahina, Jugurtha... Et terminera son poème par un appel au soulèvement. On remarquera en passant le rôle joué par la poésie dans la rébellion amazigh. Les événements et le sursaut identitaire que nous traitons ici ont le même prétexte : la poésie. La même année, Ouali Bennaï, responsable du Parti du peuple algérien (PPA) demande à l'occasion d'une réunion du Part, l'unification en une seule région de la Petite Kabylie et la Grande Kabylie que le colonialisme avait scindées pour des raisons géopolitiques. Il essuiera un refus de la part de la direction du parti. Ce problème sera reposé au sein du Comité révolutionnaire d'unité et d'action ((CRUA) qui donnera naissance au premier jour du mois de toutes les espérances, le 1er novembre 1954, au FLN mais surtout à l'ALN 5. Il faudra noter que 60 ans après ces faits et 43 ans après l'indépendance de l'Algérie, il existe toujours 2 Kabylie ! Le printemps 1947 voit fleurir « Le message de Jugurtha » ouvrage de Mohand-Chérif Sahli (*). L'ouvrage au nom évocateur est diffusé par l'Union démocratique du manifeste algérien, parti libéral, « parlementariste, qui prononcera son auto dissolution néanmoins pour les rangs du Fln. La diffusion de l'ouvrage est subira les entraves musclées du MTLD 6. En novembre 1957, une vingtaine d'hommes, dont font partie le jeune poète et militant Mohand Idit Aît Amrane, Ouali Bennaï, Amar Ould Hamouda, Saïd Ali Yahia, Saïd Oubouzar, Mohand Sid Ali Yahia, Sadek Hadjeres, tous membres du PPA-MTLD, se réunissent à l'insu du parti au village Arous, non loin de Larbâa Naït Irathen, durant prés d'une semaine. Il faut dire que l'objet de la rencontre n'était pas des plus aisées. Il s'agissait :
- de condamner la politique réformiste et louvoyante du MTLD et « pousser » à la préparation de la lutte armée
- d'introduire la dimension berbère dans l'organisation de la future Algérie indépendante
De cette réunion sortira un rapport dense que Ouali Bennaï doit exposer devant le Comité central du parti. Mohand Idir Aït Amrane (il est partout ce poète !) est chargé de prendre contact avec Mouloud Mammeri en vue de le charger d'une étude sur la langue berbère.
En novembre 1948 Ali Yahia Rachid est, étudiant à Paris, membre actif du groupe berbèriste, est élu au Comité fédéral de la Fédération de France du MTLD 6. Cette Fédération de France, dont traitera
(*) Voilà ce qu'en dit Mustapha Lacheraf : « ...Trouvant même dans la référence historique à la personnalité écrasante d'énergie et de patriotisme de Jugurtha l'occasion d'un modèle exemplaire de lutte armée et de direction responsable du peuple algérien dans son lointain passé (...) Sahli marquait par-là ce que devait être, non seulement la pièce maîtresse de l'idéologie nationaliste de combat libérateur, savoir : l'action directe, la part de l'homme, de son éthique, de sa modestie, de sa capacité à diriger ses semblables tout en restant leur serviteur. »
« Littératures de combat » Mustapha Lacheraf, Editions. Bouchène, Alger 1991
Quelques décennies plus tard Ali Haroun (*) dans un ouvrage qui demeure jusqu'à présent l'unique référence sur cette structure, jouera déterminant pour la guerre d'indépendance 7.
En décembre 1948 le ver est dans le fruit : le MTLD diffuse largement, en Algérie et en France notamment, une brochure de 50 intitulée « Mémorandum à l'ONU. » Il y est dit en introduction : « La nation algérienne, arabe et musulmane, existe depuis VIIeme siècle. » On ne peut mettre cette phrase d'une gravité extrême sur le compte de l'ignorance mais plutôt d'une amnésie entretenue et d'un déni politico-identitaire. Mais l'Histoire est impitoyable : durant la guerre d'Algérie, les concepteurs et promoteurs de ce « mémorandum », les MNA 8 et autres « bellounistes » combattront aux côtés de l'armée française, les armes à la main, les indépendantistes algériens. Cette brochure soulève une tempête sans précédent au sein du mouvement national dont les derniers à être indignés ne furent pas les berbèro-nationalistes.
Durant l'été 1949, trois étudiants entreprennent rédigent et diffusent une brochure « L'Algérie libre vivra ! » sous le pseudonyme d'Idir El Watani. La brochure, qui circule largement au sein du MTLD, soutient que «La nation algérienne ne suppose ni une communauté de race, ni de religion, ni de langue. Cette nation repose sur quatre éléments essentiels : « le territoire, l'économie, le caractère national qui se traduit dans le mode de vie, la mentalité et la culture, le culte d'un même passé et le souci d'un même avenir. » Les auteurs de la brochure rappellent l'existence d'une Algérie antérieure à l'avènement de l'Islam, une nation plusieurs fois millénaire et réfutent l'affirmation de Messali Hadj qui limite l'histoire de l'Algérie au VIIème siècle.
En août 1949 survient un « incident » : Ferhat Ali, militant du MTLD et néanmoins opposant à Messali Hadj concernant la question de la lutte armée et le problème berbère est atteint d'une balle par Krim Belkacem, futur membre du GPRA. Le lendemain, « L'Echo d'Alger », journal des ultra colonialistes, titre « Des membres dissidents du PPA veut créer le PPA kabyle. », déclaration supposée provenir de la victime. Deux jours après, le groupe des étudiants berbèro-nationalistes demandent à la même victime de rédiger une mise au point. L'Echo d'Alger refuse de la publier. C'est Alger républicain, journal avant-gardiste qui s'en charge... et en caractères gras. Mais nous arrivons au printemps 1949 et à la fameuse « crise berbèro-marxiste. » Au mois de mars, le bouillonnant Ali Yahia Rachid, étudiant en droit à l'université de Paris et, nous l'avons vu plus haut, membre élu du Comité directeur de la Fédération de France, réussit à faire voter une motion dénonçant le mythe d'une Algérie arabo-islamique et défend la thèse de l'Algérie algérienne. La motion est votée à une large majorité : 28 pour sur 32.
Moins d'un mois après, le 15 avril 1949 , Messali Hadj ordonne à un militant, Embarek Filali, d'organiser un commando pour reprendre en force la Fédération de France. Celui-ci s'exécute et pousse le zèle jusqu'à diffuser un tract (d'inspiration messaliste) condamnant le berbèrisme. Mustafa Radjef, ancien de l'ENA et membre du Conseil de la Fédération de France, originaire de Kabylie, réunit le Comité fédéral et fait voter une motion intitulée « Condamnation de la déviation politique du Comité fédéral . » Echec : la motion recueille 12 voix pour et 1 voix contre. Mustafa Radjef décide alors, avec quelques kabyles de service dont le Dr Mustapfa Chawki et Sadek Saïdi, d'organiser d'autres commandos pour « reprendre » la Fédération de France « des mains des scissionnistes. » L'effectif initial de ces commandos est de 70 hommes, selon Mustafa Radjef. Des affrontements ont lieu entre les « arabo-islamistes » et les tenants de « l'Algérie algérienne. » pour la récupération des moyens logistiques, des locaux et des véhicules du Parti, particulièrement dans les 18ème et 20ème arrondissements de Paris notamment.
Ali Yahia Rachid, pressentant le danger, lance un appel à Ouali Bennaï à Oran. Ce dernier, conscient du danger, s'apprête à embarquer pour Marseille lorsqu'il est étrangement arrêté au port d'Oran par la police française. Ce sera le début d'une campagne d'arrestations mais ciblant uniquement les partisans de l'Algérie algérienne.
Ainsi nombre de cadres importants du MTLD, dont Omar Boudaoud, responsable de l'OS en Basse Kabylie, et dirigeant de la Féderation de France de l'ALN pendant la guerre), Saïd Oubouzar, responsable politique de la région de Tizi Ouzou, Amar Ould Hamouda, un des responsables de l'OS. et membre du Comité central du MTLD, Omar Oussedik, membre du Comité central et adjoint d'Ahmed Bouda, connaîtront la torture et la prison.
(*) Ali Haroun « La 7ème Wilaya » La guerre du FLN en France 1954-1962. Ed. du seuil, Paris,1986
Ces arrestations provoquent un profond malaise au sein des militants kabyles qui accusent leurs dirigeants du MTLD de « complicité » avec l'administration coloniale. Messali Hadj pousse le cynisme à accuser ces cadres et permanents du MTLD, alors qu'ils sont déjà en prison, jusqu'à les accuser de « régionalisme » et d' « antinationalisme.» Ils seront tous exclus du Parti. Idir Aït Amrane, l'auteur nous l'avons vu, de « Ekker a-mis ou mazigh » , leur composera un chant tout aussi émouvant : « Si l' Dzaïr ar Tizi Ouzou. »
Après « la récupération » musclée de la logistique de la Féderation de France par les arabo-islamiques, une « mise au point » se fait à Alger, dans la Medersa « Errachid ». Les principaux responsables du mouvement berbère, en prison ou sous mandat d'arrêt, à l'exception d'Aït Ahmed activement rechérché par la police coloniale, furent exclus du Parti.
Du fond de sa prison, Ouali Bennai envoie, par l'intermédiaire me Me Abdrrahmane Kiouane, avocat du Parti, une lettre à Ali Yahia Rachid. Il lui demande explicitement : « Que devient le M. R. B. ? » Cette lettre lue et photographiée parla direction du Parti, est distribuée à toutes ses sections. Une aubaine pour la direction du Parti qui y voit là une preuve irréfutable de la présence d'une organisation secrète à l'intérieur du Parti, dite « Mouvement révolutionnaire Berbère. » Elle redynamise sa campagne anti-berbère. Des délégués sont envoyés à travers toute l'Algérie. Leur mission est de faire condamner le berbèrisme par les sections de base. Dans certains quartiers d'Alger, des bagarres éclatent entre les arabo-islamistes et les berbèro-nationalistes.
L'année 1952 commence par l'assassinat de Ali Rabia, militant du Parti. La campagne de liquidations physiques vient d'être inaugurée.
Le MTLD dénonce, à travers son organe central « L'Algérie libre » et avec l'aide de ses porte-voix, la pièce de théâtre de Abdellah Nakil intitulée « El Kahina. » La pièce, mise en scène le 27 novembre 1953 par celui qui deviendra le célèbre dramaturge, Mustapha Kateb, retrace l'histoire de l'invasion arabe et la résistance des berbères conduits par Kahina, la reine berbère. Jouée en arabe populaire, elle connaît un vif succès auprès des populations.
En mars 1954, une association culturelle se nommant Tiwwizi n'tamazight (solidarité pour tamazight) est crée à Paris par un groupe de berbèristes . Son objectif est le développement de la langue berbère. L'association publiera une revue du même nom. Ce sera l'une structures réellement démocratiques d'avant-guerre. Le poète Idir Aït Amrane,, décidément incontournable, leur dédiera un chant intitulé « Akker Wer neggan udhan » (Debout toi qui ne dort point) Après le 1er Novembre 1954, l'association s'auto-dissout en assemblée générale et décide de rejoindre le combat armé.
La guerre d'Algérie est entamée depuis deux ans lorsque les résistants, qu'on appelait « maquisards » apprennent que Amar Ould Hamouda, ancien responsable de l'Organisation spéciale est « exécuté » avec Mbarek Aït Menguellat. Ils sont accusés d'avoir constitué un groupe qui prônait le communisme en Kabylie. La même année verra l'assassinat, à Demâa N'Sharidj, de Boualem Bennai, militant infatigable de la cause nationale et partisan de l « Algérie Algérienne. » L'ordre de l'exécution a été donné par Krime Belkacem, furur négociateur des accords d'Evian. Selon l'historien Mohamed Harbi « Le colonel Ouamrane l'avait fait avertir par Rabah Bouaziz de ne pas se rendre dans sa région et de rejoindre le maquis de la wilaya IV. Il savait qu'en Kabylie son sort était scellé. »
Le 27 décembre 1957, Abane Ramadane, stratège politico-militaire, « cerveau » de la révolution algérienne, concepteur et organisateur du Congrès de la Soummam, se rend au Maroc où est réfugiée la direction de la résistance, rappeler aux cadres de cette résistance les décisions du Congrès de la Soummam : primauté de l'intérieur sur l'extérieur et primauté du civil sur le militaire. Il est exécuté par les siens au Maroc. Il a été jugé et condamné en secret par les 3 « B » : Boussouf, Bentobal et Belkacem, trois « dirigeants extérieurs » de la résistance.
Le mouvement berbère dans l'Algérie post-indépendante
E n 1962, quelques semaines après l'indépendance, à sa sortie de prison, Ben Bella donne le ton à partir de Tunis où il fait un discours : « Nous sommes Arabes, des Arabes, dix millions d'Arabes . » Pour le premier président de l'Algérie indépendante, « ... Il n'y a d'avenir pour ce pays que dans l'arabisation. »
En septembre de la même année l'écrivain Mouloud Mammeri tente d'obtenir de Si Mohammedi, ministre de l'éducation, la réouverture de la chaire berbère de l'université d'Alger. Le ministre lui répond : « Mais voyons tout le monde sait que ce sont les pères Blancs qui ont inventé le berbère . »
Quelques jours après ce refus méprisant, Ben Bella insiste dans un discours prononcé du haut du Parlement : « ... L'Algérie s'est définie comme nation arabe, recherchant par tous les moyens le resserrement des liens avec les pays frères en vue d'aboutir à l'unité arabe... »
Le 21 août de l'année suivante, au cinquième congrès de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), organisation née pendant la guerre et qui se transformera en UNEA dès l'indépendancce, les congressistes soulèvent la question de l'arabisation et le statut de la langue berbère, et particulièrement « ... la nécessité du développement de la langue berbère et la création d'un institut d'enseignement du berbère. »
29 septembre 1963 des militants créent le Front de forces socialistes (FFS). Cette formation est essentiellement à ancrage kabyle. Le FFS prône une opposition armée contre le régime du Président Ahmed Ben Bella. La Kabylie devient le théâtre d'affrontement militaires.Onze mois plus tard, Ait Ahmed sera arreté, condamné à mort puis gracié par Ben Bella.
En 1964 le chanteur kabyle Slimane Azem est interdit d'antenne. Certains présentateurs radio connaîtront « le placard » pour un temps indéterminé. L'Etat réduit les horaires de la chaîne kabyle. Avril 1968 se penche sur la naissance du premier Cercle culturel berbère (semi-légal) à la cité universitaire de Ben Aknoun (Alger). Ses activités comprennent des cours de berbère dispensés par Mouloud Mammeri et la publication de la revue Tafsut.
Dans son discours inaugural au premier Festival culturel panafricain tenu à Alger le 22 juillet 1969,
Le Président Houari Boumédiène rappelle que « Longtemps contraints de nous taire ou de parler la langue du colonisateur, c'était un devoir essentiel et premier que de retrouver nos langues nationales, les mots hérités de nos pères et appris dès l'enfance. » Il ajoute qu' « il n'y a pas de langue qui, au départ, soit plus apte qu'une autre à être le support de la science et du savoir. »
Ces propos n'empêchera pas son ministre de la culture d'interdire à Taos Amrouche, célèbre romancière et chanteuse berbérophone de représenter l'Algérie à ce festival. Cependant elle sera invitée par les animateurs du Centre culturel berbère de la cité universitaire de Ben Aknoun où elle se produira devant les étudiants.
Pendant ce temps on assiste à l'explosion de la chanson kabyle. Des étudiants comme Ferhat M'Henni créent le groupe au nom évocateur d' « Imazighen Imoula » pendant qu'Idir va « internationnaliser » la chanson kabyle avec « A vava inouva .» Le thème de ces chansons n'est plus à la mièvrerie. Un autre temps est venu, celui de la revendication identitaire, la liberté de la femme, la contestation...
Le ministre de l'Intérieur dresse une liste, sous forme de circulaire adressée à l'état civil des communes, de prénoms arabo-musulmans à attribuer aux nouveau-nés, à l'exclusion de tout autre prénom. Ainsi le citoyen berbère sera dépossédé, dès la naissance, d'une part de son identité.
16 avril 1976. A l'occasion de la célébration de Youm El Ilm (journée du savoir) qui est en même temps la journée commémorative de la mort du cheih Abdelhamid Benbadis, président de l'Association des ulémas, Boumediène signe une ordonnance qui stipule que « ... l'enseignement est assuré en langue nationale (comprendre la langue arabe) à tous les niveaux d'éducation et de formation et dans toutes les disciplines. » Deux mois plus tard, le Parti de la révolution socialiste (PRS) fondé par Mohamed Boudiaf en exil critique durement le pouvoir algérien à qui il reproche de faire l'impasse sur la question berbère. Ainsi, comme le note la revue Tafsut, le PRS, avec à sa tête Mohamed Boudiaf, est la première formation politique à se prononcer en faveur de la culture berbère.
Eté 1976, pour avoir ronéoté des textes littéraires en tifinagh (alphabet berbère), 200 jeunes, lycéens pour la plupart, sont arrêtés et emprisonnés. Ils seront, pour quelques uns, condamnés jusqu'à 24 mois de prison.
En 1977, le gouvernement a fait coïncider la finale de la coupe d'Algérie de football qui devait opposer la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) au Nast Atlethic d'Hussein Dey (NAHD), équipe algéroise dont les supporters étaient aussi d'origine berbère, avec le 12ème anniversaire du « redressement révolutionnaire », euphémisme pour désigner le putsch de Boumédiène de 1965. Dans les tribunes, les spectateurs face à la tribune présidentielle hurlent des slogans tels que « La langue berbère vivra », « Liberté d'expression », « Nous sommes des Imazighen... » La retransmission en direct de la rencontre cause un effet d'amplification. Le match est remporté par la JSK.
La rentrée verra l'ouverture du centre universitaire de Tizi Ouzou (CUTO) qui regroupera les étudiants et les enseignants jusque là éparpillés dans divers instituts d'Alger.
En novembre, la direction du PRS de Boudiaf met en place une cellule de réflexion pour étudier le dossier berbère et élaborer des propositions concrètes.
Quelques jours après, Aït Ahmed, secrétaire général du FFS demande la « reconnaissance de la langue berbère au même titre que la langue arabe. »
Cependant des interdictions sont notifiées àe plusieurs chanteurs kabyles comme I'Idir , Ferhat, et d'autrss « perturbateurs »de se produire devant leur public. Cependant un fait d'une grave importance vient détourner l'opinion nationale.
Le 10 décembre 1978, alors que Boumédiène agonisait des suites d'une maladie jusque là inconnue, un lot d'armes est parachuté au Cap Sigli, non loin de la ville de Bougie. Il s'agissait de créer un maquis qui aboutirait plus tard à un soulèvement kabyle contre le régime. Avec la complicité de quelques conjurés, anciens résistants tels que Ferhat Abbas, ancien Président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), Belarbi, Boudjeloud, Ahmed Kadri, Mohamed Benyahia, les services secrets français ont fournit, via le Maroc, « la logistique. » Là où le complot a tourné à un scénario sur la famille Dalton, c'est que la conjuration a été éventée par la puissante et redoutable Sécurité militaire (services spéciaux) algérienne. Ce pourrait même être une manipulation de leur part, ayant une grande connaissance des services français et marocains, pour « resserrer l'unité nationale » contre l'ennemi héréditaire : la France. Il n'en demeure pas moins que le parachutage fut réceptionné par cette Sécurité militaire.M. et les conjurés arrêtés. Quelques jours plus tard, le chanteur contestataire Lounis Aït Menguellet est interdit de chanter. C'est la première d'une langue série d'interdictions. L'auteur de cet ouvrage va ronéoter et distribuer un célèbre poème de Nazim Hikmet : « Ils ne nous laissent pas chanter. » Il connaîtra à cette occasion l'humidité des geôles du commissariat central du Grand Alger. Une semaine plus tard verra l'interdiction de jouer d'une pièce de théâtre de Kateb Yacine, traduite en berbère : « La guerre des 2000 ans. »
Ce flash back était nécessaire pour démontrer que le mouvement berbère n'est pas issu d'une génération spontanée.
Le 27 décembre 1978, Houari Boumediène décède.
L'armée impose Chadli Benjeddid comme candidat unique comme à la succession de Boumediène.
Chadli est « élu » le 9 février 1979. Il sera le 5ème président de l'Algérie indépendante.
Evènements de l'année 1980
Le péril jeunes : Là encore, à l'origine était la poésie.
Le 10 mars 198O, l'écrivain de notoriété mondiale Mouloud Mammeri, concepteur et animateur de la revue Awal (parole), devait donner à l'université de Tizi Ouzou une conférence sur les « Les poèmes kabyles anciens » Quelques mois auparavant Mouloud Mammeri a publié chez Maspero un ouvrage portant le même intitulé. Quelques heures avant la tenue de la conférence, le commissaire politique régional du Parti unique donna l'ordre d'interdire la conférence, cette conférence hautement subversive. La poésie kabyle prohibée ? Une délégation d'étudiants sollicite un entretien avec l'auteur de cet ukase. En vain. On improvise alors une assemblée générale au campus de l'université. Y participent 1.500 étudiants sur les 1.700 que compte l'université, qui votent la grève et un sitting devant le siège régional du Parti unique. Le lendemain ils sont là à crier des slogans nouveaux : « Tamazight est notre langue ! »,« Halte à la répression culturelle ! », « Culture berbère, culture algérienne ! ... » Le lendemain 12 mars les lycéens de la ville se mettent en grève. Le 13 on voit apparaître des tags, certains du FFS : « Démocratie », « culture berbère nationale », « langue populaire, langues nationales ...» A Larbâa Nath Irathen, les enseignes et les plaques d'indication routière sont arrachées par les lycéens, d'autres sont bariolées. A leurs places on lit « Anerrez Ouala N'Eknou » (« Plutôt rompre que plier », vers du poète Si Muhand U'Mhand.) La caserne est envahie et les soldats, pour une grande partie des jeunes appelés du service militaire, fraternisent avec les manifestants. Le commissaire de la police locale est bloqué dans sa voiture. Il est obligé par les jeunes surchauffés de répéter leurs slogans. Le Président de la république, qui devait faire une visite officielle à Tizi Ouzou le 15, c'est à dire deux jours plus tard, annule son voyage. Le préfet convoque une réunion des chefs d'établissements scolaires. Lors de cette réunion, le directeur de l'institut islamique prononça cette phrase qui, sous d'autres cieux, serait passible des tribunaux pour « incitation au crime» : « Il faut tirer sur la foule ! » L'agitation continue, chaque fois renforcée avec « de nouvelles troupes. » Le lendemain, A Alger, quelques 5OO étudiants marchent dans la rue Larbi Ben M'Hidi, l'une des artères les plus importantes de la capitale. Ils sont violemment dispersés par la police. Quelques manifestants sont interpellés. Cinq d'entre eux font connaissance avec les geôles souterraines du commissariat central. Ce devint, de part et d'autre, le début du cycle manifestation-arrestations.
Le 18 mars, le préfet de Tizi Ouzou fait une « incursion » à Azazga, un bourg située à une trentaine de km du chef-lieu de province. La population le reçoit « chaudement » à coups de jets pierres et en hurlant son mécontentement. Il doit vite rebrousser chemin. Le siège local du parti unique est saccagé, la gendarmerie attaquée. Les rues sont inondées par la foule. Dans la localité de Ain El Hammam, les ouvriers se solidarisent avec les jeunes et se mettent en grève illimitée tout en assurant le service minimum. A Drâa El Mizan la ville est en turbulence. La police y opère 70 arrestations chez les lycéens.
La population de la province de Bougie, deuxième capitale de la Kabylie, s'enflamme. Des bourgs à forte concentration de populations, Amizour, El Kseur, Sidi Aich, Akbou et leurs environs voient leurs habitants, y compris des dames du troisième âge, occuper les rues. C'est l'alerte orange : des troupes supplémentaires sont rameutées en renfort. La Kabylie est quasiment en état de siège.
Dix huit jours après, le feu aux poudres, El Moudjahid, organe officiel de l'Etat et du Parti unique, se fend d'un article, où la haine se substitue au journalisme, intitulé « Les donneurs de leçons. » Il est signé Kamel Belkacem. Ce plumitif se singularisera quelques mois plus tard où, en qualité de directeur d'Algérie Actualités, hebdomadaire également étatique, publiera une interview de Bigeard de triste mémoire, où l'occasion sera donnée à ce dernier de justifier la pratique de la torture qu'il a ordonnée à ses subordonnées durant la guerre d'Algérie. Des personnes, dont l'auteur, se chargeront de lui rappeler à cet effet que pour des faits similaires (crimes de guerre), Adolf Eichmann a été kidnappé par les Israéliens qui lui ont fait traverser clandestinement plusieurs frontières et l'ont jugé à Tel Aviv. Il s'avèrera, quelques mois plus tard, que ladite interview a été ordonnée par Larbi Belkheir, directeur de cabinet à la Présidence de la république et qui, de notoriété publique, a été placé à ce poste par la France pour veiller sur les intérêts de l'ancienne métropole, fut-ce au prix de quelques coups tordus. A la date où nous écrivons... il est directeur de cabinet de Abdelaziz Bouteflika ! L'Histoire bégaie, dit-on. Tout au cours de la semaine qui suit la publication de cet « article », des lettres et des pétitions de protestation émanant de différents les milieux affluent chez les autorités.
26 mars : nouvelle manifestation à Tizi Ouzou. Etrangement, la police n'intervient pas. Le 8 avril, en Kabylie, on assiste à une déferlante de plusieurs milliers de paysans qui marchent sut Tizi Ouzou. L'armée bloque les routes. Le mouvement s'étend à toute la Kabylie. Bouira est contaminée. Le 9 avril un concert que devait donner Ferhat Imazighen Imoula à Sidi Aïch est interdit. Des troubles ont lieu. Quelques jours après, le 11 avril, est envoyée à El Moudjahid la mise au point de Mouloud Mammeri suite à l'articulet « Les donneurs de leçons. » Au mépris de toute éthique, de toute déontologie et du Droit, ce quotidien dans lequel, durant les années de feu et de la résistance, écrivaient des héros tels que Abane Ramdane, Ben M'Hidi, Boudiaf et tant d'autres noms illustres, ce quotidien devenu aux mains de la « françafrique », refuse de publier la mise au point. Qu'à cela ne tienne : des ronéo tournent de plus belle. La mise au point est lue dans les endroits les plus reculés d'Algérie...et en France où le quotidien « Le matin » la reproduit dans son intégralité. C'en est trop pour Chadli Bendjeddid et son éminence grise Larbi Belkheir : que l'Algérie soit à feu et à sang est perçu comme « un chahut de gamins », mais un seul article publié dans la presse de l'ancienne métropole en défaveur du régime provoque la panique. Cela restera une règle pour tous les régimes qui se succèderont, hormis « la parenthèse » Boudiaf. Une semaine plus tard se tient une assemblée générale des étudiants de l'université de Hasnaoua qui votent l'occupation de la salle de reprographie et qui lancent un appel à une manifestation pour le 20 avril à Alger. Cet appel est, dans l'esprit de ses initiateurs, lancé pour « décentraliser » le mouvement. Il sera, tout au début, modérément suivi : le 20 avril, à 10 heures du matin, 500 à 700 étudiants et quelques enseignants, tout au plus, se rassemblent à Alger autour de la Place du 1er Mai, portant des banderoles où sont expliquées leurs revendications et où sont griffonnés des slogans : « Liberté d'expression », Démocratie culturelle ...» Face à l'intervention de la police, les manifestants entonnent le chant des résistants : « Min Djibalina talâa saout el ahrar » (De nos montagnes s'est élevé le chant des Hommes Libres). La police réplique à ce chant avec une charge inouïe. Prés de 200 manifestants sont jetés de force dans les paniers à salade, plusieurs d'entre eux sont blessés dont 5 dans le coma. Un étudiant meurt sous les coups de matraques. Une grève est votée à l'université d'Alger. A 1 3 heures se tient un meeting dans le campus. Des étudiants militants de divers partis, tous clandestins, prennent la parole. Parmi eux, on note la présence du Pags (*), Ffs (**), Ost (***) et Gcr (****). Le deuil se mue en grève. Le même jour, en Kabylie, l'opération « Mizrana » (de son nom de code) est déclenchée. L'armée et la gendarmerie sont mis à contribution. Les universités, les cités universitaires, les usines... et les hôpitaux sont occupés par les forces de répression. Des combats ont lieu. Les chiens policiers sont lâchés à la poursuite des étudiants qui tentent de s'échapper. D'autres étudiants, à moitié-nus, sautent par les étages des cités U. Des professeurs, des médecins et des infirmiers coupables d'avoir soigné les victimes sont arrêtés. Ces derniers seront remplacés par des médecins militaires. Les villes de Bougie et de Tizi Ouzou se mettent spontanément en grève, sans qu'aucun appel n'ait été lancé en ce sens. L'activité reprendra progressivement le 24 avril.
(*) Pags : Parti d'avant garde socialiste
(**) Ffs : Front des forces socialistes
(***) Ost : Organisation socialiste des travailleurs
(****) Gcr : Groupes communistes révolutionnaires
Le 12 mai, une grève est votée de nouveau par les étudiants d'Alger. Elle sera largement suivie à la satisfaction de ses initiateurs dont l'objectif est d' « excentrer » le mouvement sur Alger. Des étudiants diront : « Le pouvoir est loin, il n'entend pas la Kabylie, il faut donc aller chez lui pour se faire entendre.
Le 16 mai le quotidien El Moudjahid publie une liste de 24 détenus qui devront être jugés par la cour de sûreté de l'Etat. En même temps l'alerte grimpe au rouge. Le pouvoir instaure un état de siège qui ne dit pas son nom.
Le 19 mai est la Journée nationale de l'étudiant. Ce sera l'occasion d'autres « troubles ».
Le 24 mai se tient à la fac centrale d'Alger une assemblée générale. Les forces de l'ordre viennent « casser de l'intello. » Le 25 du même mois, alors que les populations de Bougie et Tizi Ouzou expriment massivement leur soutien aux détenus. L'Algérie presse service (Aps), agence de presse étatique, annonce leur mise en « liberté provisoire. » Le lendemain, plusieurs colonnes de véhicules affluent de toutes parts chercher les détenus à la prison de Berrouaghia. A leur retour ils sont accueillis par une liesse indescriptible. C'est la fin de la saison scolaire et universitaire, mais pas celle de l'action politique.
Evénements de l'été 1980
Certains acteurs du mouvement berbère et de spécialistes, acquis à la cause amazigh, dans les domaines de l'histoire, sociologie, linguistique..., se réunissent à Yakouren, un village boisé de la province d'Azazga, du 1er au 31 août. Cette rencontre prendra plus tard le nom de « Séminaire d'Yakouren . »
Ces Assises à pour tâche essentielle de « poser (...) clairement le problème de la culture en Algérie afin de dépasser les fausses accusations dont la presse nationale notamment s'est fait l'écho, et dont les propos incendiaires ont failli conduire à l'irréparable. »
La question de la culture en Algérie s'articule, selon les séminaristes, autour de trois axes principaux :
1- Le problème de l'identité culturelle du peuple algérien.
2- Le problème des libertés d'expression culturelle.
3- Le problème de la culture dans la politique de développement.
Les séminaristes sortent de cette rencontre avec un épais dossier qui constitue plus un programme politique qu'un manifeste culturel.XXXXXXXXXXxXXXXXXXXXXxxxxxxxxxx
Voir le texte imprimé
1981
A la rentrée de l'année 1981, le ministre de l'Enseignement supérieur, Abdelhak Brerhi, annonce la création de départements de « Culture et dialectes populaires » au sein des universités d'Alger, Annaba, Oran et Constantine. Une montagne qui accouche d'une souris. En même temps, le docteur Saïd Saâdi (**), médecin à l'hôpital de Tizi Ouzou et l'un des principaux animateurs du mouvement berbère, recevra un ordre d'affectation pour Khenchela, petite ville de l'Est située à plusieurs centaines de km de la province de Tizi Ouzou. Un mouvement de solidarité se crée autour de lui, mouvement auquel se joint la section Tizi Ouzienne de l'Union médicale algérienne (UMA)... organisation du Parti unique ! Cette section rebelle sera dissoute. Par ailleurs, des dizaines de travailleurs d'entreprises publiques ayant participé au mouvement de solidarité seront mutés hors de leur province
Face à l'agitation intense et « expanse » des milieux estudiantins, le pouvoir répond comme il l'a fait à chaque contestation populaire : il lâche ses forces de police et de gendarmerie. La franchise universitaire fut violée. , ce qui fait dire à certains étudiants, avec ce cruel sens de l'humour qu'on connaît aux Algériens : « Nous avons les flics les plus instruits du monde : ils fréquentent la fac. » A l'université d'Alger, les islamo-baâhistes, munis de barre de fer, de chaînes à vélo et diverses armes blanches, attaquent ouvertement les animateurs du mouvement berbère et les militants du Pags... sous l'œil indifférent des brigades anti-émeute, bien que des armes blanches furent utilisées. Des étudiants organisent des « Comités de vigilance. » L'auteur, ainsi que Smail Mahi, qui sera assassiné par les islamistes en 1992 et Slimane Laouari, actuellement rédacteur en chef du quotidien « La dépêche de Kabylie », constituant un des Comités de vigilance, contactèrent la section Pags des dockers qui vint à
(*) Il sera fondateur, en février 1989, du Rassemblement pour la culture et la démocratie
rescousse. La police et gendarmerie n'intervinrent que lorsqu'ils constatèrent que les « Berbéro-marxistes » avaient pris le dessus... pour arrêter ces derniers ! Cependant, il faut noter que cette même journée, alors que les Bérbèro-Pagsistes se défendaient contre l'agression islamo-baâthiste, deux directives provenant de la direction du Pags sous forme de tracts circulent : « Halte à la manipulation » et « Halte à la provocation. » Ces deux directives expliquaient, en substance, que les berbéristes étaient « manipulés par des forces occultes », pour la première directive, et pour la seconde, que ces mêmes manipulateurs tentaient de diviser la masse estudiantine ! La base militante du Pags et mit cette attitude, à juste titre, sur le compte du « soutien critique » au régime dans lequel s'est enferré le Pags (*). Mais cette même attitude signera pour le Pags le commencement de la fin. Ce dernier venait de s'engager sur la pente descendante, une pente savonneuse, de sa déchéance.
Après 5 mois de détention préventive, à la fin du mois d'octobre, les inculpés du 19 mai 1981 de Bougie comparaissent devant le tribunal correctionnel de cette ville. Ils seront condamnés à des peines allant de 10 mois à 4 ans de prison ferme. Deux enseignants du secondaire seront condamnés...à 5 ans d' interdiction d'enseigner. Le meme jour, à 100 km de là au tribunal de Tizi Ouzou, 3 étudiants seront condamnés à 4 ans de prison ferme.
Le reste de l'année universitaire est régulièrement ponctuée d'arrets de cous, rassemblement, distribution de tracts... jusqu'au 13 avril où les animateurs du Mouvement culturel berbère de Bougie et Tizou Ouzou appellent à commémorer la journée du 20 avril, deuxième anniversaire du printemps berbère, « pour rappeler à l'opinion qu'ensemble nous n'avons pas oublié (...) que le régime a laché ses chiens sur les travailleurs et étudiants de la Kabylie pour toute réponse à leur revendication culturelle pacifique.»
Une semaine culturelle sera programmée
(*) Quatorze ans après ces événements, l'auteur de cet ouvrage demanda le pourquoi de ces directives à Sadek Hadjeres, ex-premier secrétaire du Pags auto-dissous, invité à Bruxelles par l'association Awal oua thakafa (Parole et culture). Ce dernier répondra : « Je ne sais pas... J'étais à Oran ce jour-là ! »
(¨¨)Qui sera fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie. Ce parti prendra une orientation sociale-démocrate.
Des vigiles furent employés « à plein temps » dans les universités de ces quatre villes. Cependant, dans l'université d'Alger, Des arrestations eurent lieu, notamment à Alger et Tizi Ouzou. La Cour de la sûreté de l'Etat condamna 24 « agents de l'étranger » à plusieurs mois d'incarcération dans la prison de Berrouaghia. Des vigiles furent employés « à plein temps » dans les universités de Bougie, Tizi Ouzou, Bouira et Alger.
Le 12 mars 1981 s'ouvre une session du Comité central du Parti consacrée à la politique culturelle. Auparavant, l'appareil du Parti a déclenché une « campagne d'explication et de sensibilisation » qui s'est transformée en diatribes contre « les séparatistes » et « les nostalgiques de l'ordre colonial. » Il est coutumier au Parti de réactiver l'épouvantail colonial devant les revendications berbéristes ou « l'urgence de la cause palestinienne » pour faire échec à tout mouvement de masse qui incluait les arabophones et les berbérophones.
La session du Comité central du Parti fut rondement menée et, comme si attendaient les Algériens, fut réaffirmé avec force « l'unicité de la langue arabe, langue qui, aux côtés de l'islam religion d'Etat, demeure l'une des constantes qui constituent la personnalité nationale. »
Les résolutions finales de cette session provoquent une grève générale de protestation dans les provinces rebelles de Bougie et de Tizi Ouzou.
Les 19 et 20 avril sont commémorés dans ces deux provinces et à la fac' centrale d'Alger le premier anniversaire du printemps berbère à travers de gigantesques manifestations, répondant ainsi à l'appel lancé par une coordination regroupant des comités d'étudiants, de lycéens, d'enseignants, des parents d'élèves et d'ouvriers.
Un mois plus tard, le 29 avril, un comité d'intellectuels de renommée mondiale dont le poète Kateb Yacine, l'écrivain et historiographe de la culture berbère Mouloud Mammeri, l'artiste peintre M'Hammed Issiakem, déposent au ministère de l'Intérieur une demande d'agrément d'une association qu'ils ont dénommée « Amuger » (Rencontre). Aujourd'hui, vingt cinq ans après, nombre de ces personnalités sont décédées, plusieurs ministres de l'Intérieur se sont succédés, mais l'agrément de cette association n'a toujours pas été accordé.
Le 19 mai est la Journée nationale de l'étudiant (*)
Les autorités instaurent dans l'ensemble de la province un couvre-feu a partir de 18 h 30 jusqu'à 5 h du matin. Des arrestations touchent 31 militants du mouvement culturel berbère qui seront jugés pour ce qui devint une antienne :
- Rassemblement
- Incitation au rassemblement
- Distribution de tracts
Il faudrait peut-être signaler au passage qu'aux yeux du régime le tract, nonobstant son contenu, est en lui-même un délit !
Les étudiants berbéristes de la faculté d'Alger tiennent un meeting d'information. Des militants arabo-islamistes ainsi que des repris de justice sont appelés en renfort pour « casser » le rassemblement. Des heurts violents surviennent. Une fois de plus la police intervient et, une fois de plus, seuls les militants berbéristes sont arrêtés. Les nervis arabo-islamistes quittent l'enceinte universitaire sous la protection vigilante des forces de l'ordre. Les étudiants berbéristes arrêtés, au nombre de vingt deux, seront présentés au parquet judiciaire pour :
- Atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat
- Atteinte à l'unité nationale
- Constitution de collectif à caractère subversif
- Atteinte à la personnalité nationale
- Complot - Rébellion
- Rédaction, détention et diffusion de tracts
- Association de malfaiteurs
- Destruction de biens publics et monuments
- Attroupement
La répression crée un temps de désarroi au sein de la mouvance activiste du mouvement culturel berbère. Cependant un ressaisissement rapide s'opère sous la pression des masses et ils décident d'organiser une université d'été qui devrait se tenir du 31 août au 15 septembre au Centre universitaire de Tizi Ouzou. Mais le 31 août à l'aube, les forces de l'ordre sont aussi au rendez-vous. Ils font évacuer manu-militari le centre universitaire et le transforment en caserne.
(*) Cette date a été instituée Journée nationale de l'étudiant en hommage au 19 mai 1956, journée où les étudiants et lycéens désertèrent les bancs de leurs universités et lycées pour rejoindre les maquis de la résistance anti-coloniale.
(5) Armée de libération nationale
(5) Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, couverture légale du PPA
(7) Lire « Les porteurs de valises » d'Hervé Hamon et Patrick Rotman, préface de Pierre Vidal-Naquet(. Editions Albin Michel 1879 (réédition)
(8) Mouvement national « algérien », dirigé par Messali Hadj. Les guillemets sont de mise.
(9) Idir veut dire en kabyle « vivra » .
El Watani se traduit en arabe par «]le patriote »
(10) Gouvernement Provisoire de la République Algérienne
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Posté le mercredi 19 avril 2006 à 11:45